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Guillaume Heim (E21) : « La planification écologique n’aboutira pas sans contrainte »

Interviews

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11/01/2023

Dans une note pour l’Institut Rousseau, Guillaume Heim (E21) estime que la planification écologique voulue par l’État est nécessaire, mais que son succès dépendra de conditions juridiques et budgétaires qui restent à réunir. Explications.

ESSEC Alumni : Comment en êtes-vous venu à vous pencher sur les enjeux de la planification écologique ? 

Guillaume Heim : J’ai toujours été passionné par les enjeux de l’action publique, en particulier sous l’angle légistique, c’est-à-dire la façon dont les normes juridiques sont rédigées pour mettre en œuvre une politique. De ce point de vue, le droit de la transition écologique m’intéresse particulièrement, car s’il est par essence technique, il recroise également des considérations bien plus larges, comme la légitimité du Parlement, les enjeux de la participation citoyenne ou encore l’acceptabilité de la transition énergétique.

EA : Pourquoi avoir choisi l’Institut Rousseau pour porter votre réflexion sur le sujet ?

G. Heim : L’Institut Rousseau compte parmi les cercles de réflexion les plus prolifiques en matière de transition écologique, et j’adhère à leur approche. J’invite d’ailleurs tous les ESSEC sensibles à ces questions à consulter notamment leur rapport 2 % pour 2°C, qui estime, secteur par secteur, les besoins d’investissements publics et privés nécessaires pour faire advenir un monde décarboné.

EA : Historiquement, comment la France se positionne-t-elle sur les enjeux de planification ? 

G. Heim : Dans notre pays, la planification reste largement associée à l’imaginaire des Trente Glorieuses : elle ressuscite l’esprit des grands plans industriels et technologiques, du plan Monet élaboré pour accompagner la reconstruction au lendemain de la Libération. Ce n’est donc pas un hasard que ce mode d’action publique ait été remis au goût du jour depuis la crise sanitaire, avec le Haut-Commissariat au Plan puis le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE).

EA : La planification avait pourtant été assez largement oubliée depuis les années 1990… 

G. Heim : En 1993, le député Jean de Gaulle a remis au Premier ministre Édouard Balladur un rapport qui a marqué un tournant. Il affirmait qu’à partir des années 1975, les Plans s’étaient systématiquement soldés par des échecs, et plus fondamentalement, que la planification était désormais incompatible avec le contexte de mondialisation et de désengagement de l’État dans l’économie, marqué par les vagues de privatisations. C’est ce qui explique qu’à partir des années 2000, la planification n’ait survécu que dans sa dimension prospective, avec le Centre d'analyse stratégique, transformé en France Stratégie.

EA : Votre note rappelle cependant que la France fait de la planification écologique depuis de nombreuses années. À quels dispositifs faites-vous référence ?

G. Heim : Paradoxalement, comme le relève France Stratégie, « il n’y a jamais eu autant de ‘plans’ que depuis qu’il n’y a plus de ‘Plan’ ». À l’échelle nationale, les outils les plus emblématiques sont sans doute les programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) et la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) qui énoncent des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre censés s’imposer aux pouvoirs publics, à leur échelle. Surtout, les acteurs publics doivent prendre en compte la SNBC dans leurs propres documents de planification pour s’y conformer. Existent également de nombreux plans sectoriels : plan de déploiement de l’hydrogène, plan biomasse…

EA : Et à l’échelle territoriale ? 

G. Heim : Les régions sont chargées d’élaborer des plans climat-air-énergie territorial (PCAET) ainsi que des schémas d’aménagement et de développement durable (SRADDET et SRCAE). Ces documents visent à traduire, à l’échelle de chaque territoire, la déclinaison d’objectifs en matière d’énergie, d’aménagement…

EA : Quels résultats ces dispositifs ont-ils obtenu jusqu’ici ? 

G. Heim : Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de protection de la biodiversité n’ont pas été atteints : le Haut Conseil pour le Climat le rappelle dans ses rapports, tout comme les groupes de réflexion consacrés au changement climatique. Les pouvoirs publics sont même allés jusqu’à adapter a posteriori les outils de planification pour se conformer aux résultats ; en d’autres termes, c’est la planification qui s’adapte a posteriori à la réalité…

EA : À l’aune de ce bilan, votre rapport émet trois propositions. La première : améliorer la lisibilité de l’arsenal planificateur. Par quels principaux moyens ? 

G. Heim : Qu’on soit citoyen ou spécialiste, comment ne pas se perdre parmi la PPE, la SNBC, le SRADDET, SRCAE, PLU, SCOT ? À la faveur de la décentralisation, particulièrement marquée en matière environnementale, se sont multipliés les schémas locaux, les plans sectoriels, les documents de planification en matière d’urbanisme… Et cela sans compter les plans européens en matière d’énergie et de climat. Nous proposons de rationnaliser l’ensemble de ces outils autour d’un vrai Plan climatique national, qui serait décliné par secteur et par territoire. Cela tombe bien, la France doit justement adopter, d’ici le 1er juillet 2023, une Loi de programmation énergie climat ; saisissons cette opportunité !

EA : Deuxième proposition : améliorer le contrôle des outils de planification. Quelles sont vos principales recommandations en la matière ? 

G. Heim : Selon nous, la planification écologique ne pourra porter ses fruits si elle n’est pas contraignante. Or il faut bien comprendre que la contrainte demeure un angle mort de nos politiques publiques. Juridiquement, les différents outils de planification territoriaux existants sont liés par un rapport dit de « prise en compte » : en pratique, ce terme signifie que les schémas régionaux doivent « prendre en compte » la planification nationale mais n’ont pas l’obligation de se conformer strictement aux objectifs fixés. Bien sûr, il faut savoir adapter la planification aux spécificités locales, c’est le sens de la décentralisation ; mais si on ne fixe aucune limite à cette marge de manœuvre, on encourt le risque diluer l’effectivité de la planification fixée au niveau national. C’est à nos yeux une fragilité du plan France Nation Verte récemment présenté par la Première ministre Élisabeth Borne, qui donne comme seul maître mot la concertation avec les parties prenantes, sans évoquer de contrainte.

EA : Comment expliquez-vous cette réticence à la contrainte juridique ?

G. Heim : Peut-être parce que la France, comme évoqué précédemment, reste marquée par les modalités du succès de la planification dans les Trente Glorieuses. Ce succès reposait sur deux facteurs. D’une part, l’économie française était nettement moins ouverte sur l’international. D’autre part, le secteur public était beaucoup plus étendu ; la planification pouvait se permettre de ne pas être juridiquement contraignante, puisqu’il suffisait à l’État de gérer directement les nombreuses entreprises qu’il contrôlait pour conformer leurs activités aux orientations du Plan. Aujourd’hui, la situation a radicalement changé – mais il semble que nos politiques n’en prennent pas toujours la pleine mesure.

EA : Troisième et dernière proposition : donner des armes à la planification écologique. Quelles sont les principales solutions que vous avancez ?

G. Heim : La planification ne peut pas se contenter d’outils juridiques ou politiques. Il faut aussi lui donner des moyens financiers, humains et techniques. Plusieurs estimations existent, mais on peut retenir qu’entre 30 et 50 milliards d’euros d’investissements annuels supplémentaires (publics et privés) seront nécessaires – rien qu’en France – pour assurer la transition écologique. Les dépenses publiques doivent être réexaminées à cette aune. 

EA : La planification écologique repose-t-elle nécessairement et uniquement sur l’action publique ? 

G. Heim : Traditionnellement, il revient aux pouvoirs publics d’élaborer et de mettre en œuvre la planification. Planifier implique de faire des choix forts en matière de société ; en France, en vertu de la Constitution et de l’esprit du modèle national, c’est au Parlement et à l’État qu’est reconnue cette légitimité. Cependant, certains contentieux climatiques récents, comme l’Affaire du Siècle ou l’Affaire Grande-Synthe, ont montré que l’implication des associations et des parties prenantes pouvait s’avérer utile, voire nécessaire, pour faire aboutir la planification écologique en condamnant l’État pour ses manquements en la matière. Bien sûr, le secteur privé constitue une autre force motrice de la planification, via les investissements verts, l’innovation, l’évolution des modes de production…

EA : Quelles ressources recommandez-vous aux ESSEC qui souhaiteraient approfondir le sujet ?

G. Heim : France Stratégie a récemment publié une intéressante note de réflexion intitulé « La planification : idée d’hier ou piste pour demain ? » qui permet d’aborder le sujet sous un angle historique et propose plusieurs séminaires consacrés au thème. Je conseille aussi l’ouvrage L’État post-moderne de Jacques Chevalier, souvent considéré comme une référence doctrinale pour comprendre la mutation du rôle et de la légitimité de l’État depuis les années 1990 ainsi que l’incompatibilité de la planification d’antan avec le nouveau contexte économique et politique – même si elle peut servir d’inspiration. Et bien sûr, vous pouvez consulter ma note pour l'Institut Rousseau.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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