Jean-François Tual (E98), ice-coach : « Prendre des bains glacés a changé ma vie »
Dans Reflets #128, Jean-François Tual (E98) raconte son parcours d’autodidacte, des clubs chauds de Paris aux bains de glace dans la montagne, en passant par les mines d’or de la Sierra Leone. On vous met son portrait en accès libre… abonnez-vous pour lire le reste du numéro !
Dès ses études, Jean-François Tual se démarque de ses camarades. Il finance ses études en faisant du gogo-dancing dans les clubs de la capitale et valide l’intégralité de ses stages en tant que GO au Club Med. « J’ai coché toutes les cases : GO pique-nique, GO barman, GO ski nautique… »
Une fois diplômé, il essaie sans grande conviction d’entrer dans le rang – d’abord en rejoignant une start-up d’import export alimentaire créée par des Français à San Francisco. Résultat : « La bulle Internet a explosé et j’ai dû rentrer en France. » Deuxième tentative dans le salariat, cette fois au sein d’une agence de conseil à La Défense : « Je n’avais aucune motivation. Je passais mes journées à déambuler de bureau en bureau pour éviter mon équipe et échapper aux missions. Le pire, c’est que ça marchait. » Une situation qui l’amuse et le consterne à la fois. Il pose sa démission au bout de quelques mois.
Nouveau départ
Sa voie, Jean-François Tual finit par la trouver en sortant à nouveau des sentiers battus. Littéralement : « Je me suis mis à parcourir l’Afrique et le Proche-Orient pour réaliser des publireportages. Je débarquais à l’aéroport avec un sac à dos et un ordinateur, et je me débrouillais pour rédiger et vendre des articles sur les activités économiques locales. » Il prend rapidement goût à ce métier où le sens du relationnel et l’intelligence émotionnelle priment. « Mes informations, je les obtenais en acquérant la confiance de gens bien renseignés, pas en faisant des recherches à la bibliothèque. Et mes contrats, je les signais sur une table de restaurant, pas dans un bureau. C’était très éclairant de se rendre compte que les professionnels avec lesquels j’échangeais ne fondaient pas leurs choix sur des calculs logiques et raisonnés, mais fonctionnaient à l’affect. »
Trouée vers l’or
Au bout de quelques années, Jean-François Tual se retrouve en Sierra Leone, à l’heure de la reconstruction après la guerre civile. Il y voit une terre d’opportunités. « Tous les investisseurs étaient partis en catastrophe en laissant le champ libre derrière eux. J’ai tout plaqué et je me suis mis à la recherche d’une mine d’or à reprendre. » Il fait l’acquisition de deux concessions dans une des provinces les plus reculées du pays. « J’étais le seul Occidental à des kilomètres à la ronde. Je vivais sans eau ni électricité, je faisais du troc avec des sacs de sable et de sel, je négociais avec des chefs militaires et des chefs tribaux, je ne me déplaçais jamais sans garde du corps… Bienvenue à Koh Lanta ! » Il tient une année entière dans ces conditions. « Je croyais sincèrement que je réussirais à mettre de l’ordre dans ce chaos en appliquant les principes de gestion appris en école de commerce. Mais après avoir contracté la malaria une douzaine de fois et dépensé l’intégralité de mes économies, j’ai dû me rendre à l’évidence : j’avais fait fausse route. »
Enquêteur tout terrain
Jean-François Tual reprend les publireportages pendant deux années supplémentaires, cette fois en Amérique latine. Puis il pose enfin ses valises pour prendre la direction de deux bureaux de correspondants, l’un à Pékin et l’autre à Moscou, qu’il coordonne depuis la France. « J’ai découvert les joies du management interculturel à distance… et à mi-temps. » Car en parallèle, il réalise des missions d’intelligence économique pour des agences de conseil en risque et sécurité comme Kroll ou ControlRisk. « J’étais chargé d’obtenir des renseignements confidentiels sur les orientations stratégiques de diverses entreprises. » Pour arriver à ses fins, il met en application les mêmes principes que lors de ses enquêtes journalistiques à l’étranger : « L’essentiel, c’est de savoir à quelle personne s’adresser, et comment créer du lien avec elle. Ça demande de la patience, de l’attention, un peu d’intuition aussi. Mais une fois la confiance établie, c’est étonnant comme les gens peuvent livrer leurs secrets ! »
Formation à la transformation
Sensibilité, écoute, aisance à l’international… Le profil de Jean-François Tual s’avère également intéressant pour un organisme de formation, qui lui propose d’accompagner des expatriés sur des problématiques multiculturelles. Une nouvelle dynamique s’enclenche. « Je me suis mis à mon compte, et j’ai progressivement fait mes armes en tant que coach et conférencier, pour finir par me spécialiser dans le management de la complexité et des entreprises en transformation. » Il intervient au sein d’organisations souhaitant rompre avec la verticalité et la hiérarchie pour privilégier la transversalité et la mutualisation des expertises. « Ce type de renversement, aussi positif soit-il, peut poser beaucoup de problèmes aux collaborateurs, qui doivent composer avec des méthodes de travail et des environnements radicalement différents. » Jean-François Tual aide les plus déboussolés à retrouver leurs repères. L’ironie du sort, c’est que lui aussi va bientôt connaître un profond bouleversement.
Choc thermique
Un lendemain de réveillon un peu arrosé, Jean-François Tual se lance une série de défis pour la nouvelle année. Parmi ceux-ci : s’immerger une minute dans une eau à zéro degré. « Au départ, c’était juste un pari idiot. Mais ça a changé ma vie. » Il se prend au jeu, réitère l’expérience à plusieurs reprises, repousse toujours plus loin ses limites. « Au bout de trois mois, j’en étais à m’immerger 20 minutes dans la glace, et à escalader des montagnes en short par -20°. »
Jean-François Tual atteint ces performances grâce aux enseignements d’un certain Wim Hof, également connu sous le nom d’IceMan, détenteur de 26 records du monde de résistance au froid. « Wim Hof propose diverses techniques de conditionnement physiologique permettant de s’exposer à des températures extrêmement basses – le tout dans le but de stimuler le système immunitaire et de développer une santé de fer. » Mais pour Jean-François Tual, cette pratique n’est pas seulement bénéfique pour l’organisme humain ; elle constitue aussi un puissant outil pédagogique.
Leçons de glaçons
« Au début, je visais surtout la performance, le sentiment de puissance ; je trouvais valorisant de parvenir à supporter la souffrance, un peu comme ces quadras qui se défoncent au marathon ou en salle de crossfit… Mais je ne me faisais pas moins du mal, et je me heurtais très vite à mes limites. Alors j’ai changé d’approche. Au lieu de chercher à lutter contre la douleur, je me suis efforcé de mieux l’accepter. J’ai entraîné mon corps à s’adapter aux conditions inhabituelles que je lui imposais, en concentrant mon attention sur ma respiration, sur la tension de mes muscles – sur mes réactions réflexes face au froid, pour mieux les comprendre, les maîtriser, et finalement les modifier. Peu à peu, je suis devenu plus serein, donc plus solide, et vice versa. »
Un cercle vertueux dont Jean-François Tual tire une véritable leçon de vie, déclinable sur le plan personnel comme professionnel : « Celui qui tient dans l’épreuve, c’est celui qui lâche prise, qui admet ce qui lui arrive et qui se recentre sur lui-même et sur le présent. C’est d’ailleurs ce qu’enseignent le bouddhisme, la méditation ou encore la psychanalyse. L’avantage quand on prend un bain glacé, c’est qu’on intègre ce principe en quelques minutes, plutôt qu’en plusieurs années d’études ! »
C’est pourquoi Jean-François Tual organise désormais des ateliers d’initiation aux pouvoirs du froid, visant à décupler la force mentale et à libérer le potentiel de chacun. Il propose notamment aux particuliers des demi-journées de découverte à l’Hôtel Kube à Paris et des week-ends d’approfondissement, à Paris toujours, ainsi qu’en Normandie et dans les Pyrénées. Mais il cible également les entreprises, avec une offre en trois volets.
Premier axe d’action : le team building. « Un groupe ne se soude jamais mieux que dans l’adversité. Face au froid extrême, les différences culturelles hier encore irréconciliables perdent toute pertinence. On découvre qu’on est tous égaux, tous aussi fragiles les uns que les autres, et on se serre les coudes, on s’accepte et on se soutient mutuellement. C’est un levier très puissant pour générer en un temps record de l’empathie et de la cohésion au sein d’un groupe disparate.»
Deuxième axe : le coaching individuel. « Je travaille en particulier sur le contrôle des émotions et la gestion du stress. En contraignant mes clients à s’exposer au froid, je les engage à identifier les mécanismes à l’œuvre derrière leur sentiment d’appréhension, puis je leur explique comment ces mécanismes impactent leur capacité à réfléchir et à prendre des décisions, et enfin je leur montre très concrètement sur quels leviers corporels agir pour les désamorcer. Cette approche s’avère particulièrement efficace avec les hauts potentiels et les cadres dirigeants. On retrouve chez ces deux populations l’association détonante d’une intelligence pointue et d’un attachement cartésien à la séparation du corps et de l’esprit, croyance qui les condamne quasi inéluctablement à une vie professionnelle passée sous stress chronique. Dans la glace, ils n’ont pas d’autre choix que de reconnaître leur erreur d’appréciation, et d’accepter humblement que pour performer en situation de tension, l’intellect seul ne suffit pas. Il faut comprendre comment fonctionne le système nerveux autonome, et apprendre à réguler ses influx. De là, on peut se défaire du stress chronique, qui déstabilise, qui paralyse, et atteindre au stress hormétique, qui stimule, motive, et dope la performance. »
Troisième et dernier axe : l’accompagnement des organisations en mutation. « Transversalité, horizontalité, agilité… Autant de notions aussi fondamentales qu’incomprises – parce que l’on n’offre pas aux gens l’opportunité de constater par eux-mêmes, en situation réelle, la supériorité des approches collaboratives organiques et émergentes sur les anciens fonctionnements verticaux et centralisés, quand il s’agit de faire face aux défis de l’entreprise moderne. Plongés dans des situations anxiogènes par la globalisation et la digitalisation, nombreux sont ceux qui se replient sur leur zone de confort plutôt que de se jeter à corps perdu vers ce qu’ils interprètent comme une énième mode managériale déconnectée des réalités opérationnelles. Qui leur en voudrait ? Dans la glace, pourtant, les plus cyniques et réticents d’entre nous constatent les limites des logiques centralisatrices, où tout se joue dans la tête, et comprennent qu’il ne peut y avoir de salut sans l’adoption d’une démarche plus organique et collaborative, qui délègue au corps la responsabilité de trouver, au fil de l’eau, les ajustements nécessaires. Une parfaite mise en abyme – et un ancrage psychologique aussi puissant qu’inoubliable pour les équipes désireuses de basculer d’un management vertical à une philosophie de l’horizontalité, de l’agilité et du réseau. »
De fait, le concept de Jean-François Tual séduit. « J’ai déjà plusieurs comités de direction qui se sont jetés à l’eau avec moi – ainsi que l’équipe de France de ski. » Et les éditions Larousse viennent de publier son livre Le froid m’a sauvé, dans lequel il détaille son parcours, ses convictions et sa démarche d’« ice-coaching ». Un ouvrage qui ne devrait pas vous laisser de glace…
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
Paru dans Reflets #128. Pour accéder à l’intégralité des contenus du magazine Reflets ESSEC, cliquez ici.
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