Clément Pairot (E13), auteur de Démocrazies : « Bernie Sanders peut gagner en 2020 »
En 2016, Clément Pairot (E13) se retrouve immergé dans la campagne de Bernie Sanders. À la lumière de cette expérience, il publie le livre Democrazies, en prévente sur KissKissBankBank, pour expliquer l’élection de Trump et préparer la prochaine présidentielle américaine.
ESSEC Alumni : Comment votre parcours vous a-t-il conduit à vous intéresser au personnage de Bernie Sanders ?
Clément Pairot : Fin 2015, je travaille pour la Marche Mondiale pour le Climat qui doit se tenir la veille de l’ouverture de la COP21 à Paris. Après les attentats du 13 novembre, l’événement est annulé. C’est un coup de massue. Je demande à mon supérieur – un Américain qui a fait les campagnes de Barack Obama en 2008 et 2012 – s'il compte s'engager dans la campagne d'un des candidats à la primaire démocrate après la COP. De fil en aiguille, il me propose de rejoindre l’équipe de Bernie Sanders. Il le fait certes sur le ton de la blague, mais je le prends au mot. Et me voilà pour six mois de l’autre côté de l’Atlantique !
EA : Pourquoi décider d’écrire un livre à partir de cette expérience ?
C. Pairot : J'ai collecté beaucoup de matière pendant la campagne en 2016, ce qui m'a permis de comprendre le fonctionnement de la démocratie américaine et ses nombreuses faiblesses. Puis Hillary Clinton a perdu, et 2 ans plus tard, on manque toujours d'explications sur les causes internes qui ont mené à ce résultat inattendu. Comment cette ancienne secrétaire d’État rodée à l’exercice a-t-elle pu perdre face à Donald Trump ? Les hackers russes et les fake news ont probablement joué un rôle, mais ne suffisent pas à expliquer les résultats. Pourquoi l’abstention a-t-elle été si haute ? Pourquoi tant d’Américains ont-ils une défiance chronique envers les médias mainstream ? Pourquoi peut-on considérer que le parti démocratique n’est pas si démocratique ? Si l’on ne comprend pas cela, on ne comprendra pas l’élection de 2020. C’est pourquoi j’ai décidé l'an dernier de reprendre les éléments que j'avais collectés en 2016 et d'écrire ce livre – pour expliquer les causes profondes de la situation politique aux États-Unis. Et aussi pour montrer qu’il existe une autre Amérique, pro-sécurité sociale, pro-écologie et pro-migrants.
EA : Qu’est-ce qui fait la singularité de Bernie Sanders selon vous ?
C. Pairot : Premièrement, Sanders a réussi à se tenir à distance du bipartisme et de ses postures durant plusieurs décennies, en se faisant élire sous une étiquette d’« indépendant », notamment au Sénat. Deuxièmement, il fait preuve d’une grande constance dans ses convictions depuis 40 ans – quand on a pu reprocher à Hillary Clinton ses retournements de veste sur le mariage homosexuel, sur la sécurité sociale universelle ou encore sur la guerre en Irak. Troisièmement, il arrive à se financer sans lever de fonds auprès des grandes entreprises de Wall Street, grâce à un système de micro-dons qui lui a permis en 2016 de collecter plus de 200 millions de dollars – soit autant que Clinton. Enfin, il refuse catégoriquement de se poser en homme providentiel : en meeting, quand les gens scandent son nom, il les coupe et rappelle : « Not me, us ! ».
EA : Pensez-vous que Bernie Sanders ait des chances d’être élu en 2020 ?
C. Pairot : Oui, bien plus qu’en 2016. L’équipe de campagne de Sanders a beaucoup appris de la précédente élection. Par ailleurs, le « défaut » structurel d’être un vieil homme blanc ne peut pas vraiment lui être reproché pour le moment : ses principaux concurrents aujourd’hui sont Joe Biden, 76 ans, et Trump, 73 ans. Il y a certes des candidat(e)s plus jeunes et issu(e)s des minorités, mais Sanders a l’avantage d’être totalement identifié au sein de l’électorat. En outre, je doute que les Américains tiennent encore à élire un symbole. Les deux mandats d’Obama ont créé beaucoup de désillusions sur ce plan, notamment parmi les Afro-américains.
EA : Quelles leçons peut-on tirer de la trajectoire de Bernie Sanders ?
C. Pairot : Sanders est la preuve qu’une personnalité politique peut rassembler avec un discours sans concession sur les enjeux climatiques, sociaux et diplomatiques : en témoignent d'un côté son soutien de la première heure à la proposition de loi d’un Green New Deal portée par la représentante Alexandria Occasio Cortez, et de l'autre sa popularité qui ne se dément pas. Sa posture de mentor qui fait émerger des talents et qui refuse le culte de la personnalité peut en outre inspirer bien au-delà de la politique, dans toutes les structures de management et d’entreprise.
EA : Vous êtes édité par un camarade, Siméon Saint-Louis (E15), dans la maison qu’il a créée, Qui Mal Y Pense…
C. Pairot : Je souhaitais m’entourer d’une maison à taille humaine, au sein de laquelle je pourrais faire grandir et évoluer mon manuscrit grâce aux conseils d’un éditeur passionné. J’ai considéré que Siméon, qui me connaissait et avait suivi mes aventures américaines, saurait cheminer tout au long du récit et m’aider à trouver le juste ton. Il a pensé la même chose en découvrant la première version. L’aventure était lancée !
EA : Pourquoi avoir lancé une campagne de crowdfunding pour appuyer la sortie du livre ?
C. Pairot : Éditer un ouvrage papier en 2019 est une vraie prise de risque. Elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un récit hybride, donc difficilement classifiable, comme l’est ce road-trip politique mêlant carnet de bord, analyse de fond et interviews d’experts. La campagne de crowdfunding permet à la fois de communiquer, de fédérer une communauté de lecteurs engagés autour du projet, d’assurer une première série de préventes, de calibrer plus finement le tirage à effectuer, et de rassurer les diffuseurs-distributeurs en leur confirmant l’intérêt du public. Pour une maison jeune et de caractère comme les éditions Qui Mal Y Pense, c’est un vrai plus.
EA : Votre campagne de crowdfunding s’achève le 25 juin. Êtes-vous proche de votre objectif ?
C. Pairot : Nous revoyons déjà nos ambitions à la hausse : après avoir atteint 125 % de l’objectif d’origine de notre campagne de crowdfunding, nous visons les 200 % d’ici le 25 juin pour financer la traduction en anglais, et espérons atteindre les 300 % pour une diffusion à l’étranger. Amis ESSEC, soutenez-nous !
EA : Quelles suites comptez-vous donner à ce projet ?
C. Pairot : Je ne sais pas encore si je repartirai en campagne pour 2020, mais la mobilisation citoyenne est clairement un axe structurant de mon parcours professionnel. Actuellement je travaille pour l’ONG « Pour une autre PAC », qui fédère une quarantaine d’acteurs militant pour une Politique Agricole Commune juste et saine pour les agriculteurs comme pour les consommateurs, et durable pour la planète. Nous avons moins deux ans pour mobiliser largement et rallier les décideurs nationaux et européens à notre cause. Sacré pari, mais la campagne de Sanders m’a appris qu’on ne perd jamais à viser haut.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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