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La raison d’être : une nouvelle raison de donner la priorité au client

Avis d'experts

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04/08/2020

En partenariat avec le cabinet de conseil No Com, la société d’investissement Tikehau Capital et l’IFOP, l’ESSEC a mené une étude auprès des salariés de grandes sociétés sur leur perception du concept de raison d’être des entreprises. Principal enseignement : à leurs yeux, la raison d’être doit avant tout constituer un levier de décisions stratégiques dans l'intérêt des clients. Explications par Charles de Beistegui, directeur associé de No Com.  

Bruno Le Maire, Ministre en charge de la loi PACTE, a fait de la raison d’être la clé de voûte d’un « nouveau capitalisme ». Le 5 septembre 2019, dans La Croix, il observe que « le capitalisme du XXème siècle n’est plus viable », et affirme que « l’entreprise ne se limite pas à la recherche du profit, mais [qu’]elle a aussi un rôle social et environnemental. Ce dernier repose sur un élément clé : la raison d’être de l’entreprise. »

La raison d’être est le sens profond qu’une entreprise donne à son activité, et la manière dont elle définit son utilité. Bien que le concept ne soit pas nouveau (en particulier aux États-Unis où de grandes entreprises ont depuis bien longtemps formulé leur « purpose »), il est appelé à connaître une notoriété croissante, car l’exigence de sens grandit dans l’opinion publique, notamment chez les jeunes diplômés. La loi PACTE est venue opportunément encourager les entreprises, privées et publiques, à s’engager dans cette démarche, offrant même la possibilité de la faire figurer dans leurs statuts. On a ainsi vu, dans les derniers mois, de grands groupes se doter de raison d’être – certes sans forcément l’inscrire dans les statuts – à l’instar d’Atos, d’Orange, de la SNCF ou de la Société Générale tout récemment. 

À l’heure où ce concept s’installe progressivement et gagne en importance dans le pilotage stratégique des entreprises, il semblait important d’établir un état des lieux auprès des salariés, premiers concernés et premiers acteurs de cette démarche. Le Baromètre de la raison d’être, sondage mené auprès des employés d’entreprises de plus de 500 salariés, explore l’attitude de ceux-ci selon trois axes majeurs : leur niveau de motivation et d’engagement à l’égard de leur entreprise ; leur perception de sa stratégie de communication ; et, enfin, leur vision de l’enjeu de la raison d’être. 

L’entreprise, dernier bastion de confiance dans une société de la défiance

Rappelons d’abord que, comme le souligne notre enquête, dans une société marquée par la méfiance envers les pouvoirs et les institutions, l’entreprise fait figure de refuge. Ainsi, plusieurs indicateurs révèlent l’engagement des salariés : ils se disent attachés à leur entreprise (68 %), fiers d’y appartenir (66 %), et une large majorité déclare même l’aimer (79 %). 

L’enquête souligne également une forte conscience du rôle social et sociétal de l’entreprise. Les salariés considèrent que leur entreprise joue, au-delà de son activité économique, un rôle important au sein de la société (77 %), et qu’il est désormais de leur responsabilité de défendre ce rôle (73 %). Il apparaît donc comme un territoire de consensus sur lequel construire de la cohésion et un outil de mobilisation dans les entreprises. 

La raison d’être, un sujet prioritairement « business »

Bien que récente, la thématique de la raison d’être bénéficie déjà d’un niveau de notoriété relativement significatif. Quatre salariés sur dix disent en avoir entendu parler. Cependant le défi est d’aller vers une compréhension partagée du concept, puisque ce chiffre tombe à deux sur dix quand on leur demande s’ils savent réellement de quoi il s’agit. Une des tentations est de rapprocher, voire de dissoudre ce concept émergent dans la notion de RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), qui bénéficie d’une plus forte notoriété. Ce serait une erreur car la raison d’être touche à des dimensions plus larges que la RSE – comme la culture d’entreprise par exemple – et pousse à des choix stratégiques plus radicaux en intégrant le cœur de l’activité et du business. 

Lorsqu’elles s’engagent dans une démarche autour de la raison d’être, les entreprises doivent, avant toute chose, être extrêmement vigilantes quant à la sincérité de leur intention : en effet, plus de deux tiers des personnes interrogées (69 %) redoutent que cette définition de la raison d’être soit avant tout « une opération de communication ». À leurs yeux, la raison d’être n’a de sens que si elle est étroitement liée à une stratégie business et si elle parle aux clients. 41 % des salariés identifient le client comme thème prioritaire. Pour eux, les vrais bénéfices de la raison d’être viennent de son « magnétisme », qui entraîne la fidélisation des clients et l’attraction de nouveaux talents. 

Lorsqu’on interroge les salariés sur les mots qui devraient être évoqués dans une raison d’être, les deux notions les plus citées sont « savoir-faire » et « client ». Le « nouveau capitalisme », plus inclusif, plus respectueux de la planète, plus attentif aux inégalités, ne doit pas pour autant oublier ses fondamentaux, et les entreprises sont donc mises en garde sur ce point par leurs propres salariés ! C’est, par exemple, ce qui a conduit la Société Générale à faire figurer en toutes lettres le mot « clients » dans sa raison d’être, et à vouloir associer ceux-ci à sa démarche. Sur la raison d’être, comme sur d’autres enjeux de leur entreprise, les salariés expriment à la fois intérêt et exigence : à leurs yeux, la raison d’être n’aura de sens que si elle permet de mettre en cohérence le discours et les actes, et si elle est résolument orientée client.

Si l’orientation client est centrale, les autres dimensions que pourrait traiter la raison d’être ne doivent pas pour autant être négligées. Parmi elles, la préoccupation environnementale est citée par 85 % des salariés comme importante voire prioritaire, ainsi que la transparence et l’éthique (81 %). 

Des salariés prêts à jouer le jeu et à s’engager dans la démarche

L’enquête révèle que les salariés affirment être disponibles pour apporter leur contribution : ils sont 59 % à dire leur intérêt à contribuer personnellement à une réflexion sur la raison d’être de leur entreprise. Et 57 % (un pourcentage très proche) se disent prêts à participer à des réunions et à des discussions sur le sujet, ce qui assez remarquable quand on sait par ailleurs la « lassitude » des salariés s’agissant des réunions internes. 

Capitalisant sur cette bonne volonté, des entreprises comme Orange ont mis en place une grande démarche participative, avec plus de 130 000 votes et plus de 2 300 contributions. Chez la Société Générale, chacun des 149 000 collaborateurs a été invité à formuler sa raison d’être à sa façon, avant d’aboutir à l’expression finale de la raison d’être de la société.

Des dirigeants attendus sur de nouveaux registres de prises de parole

Les salariés portent un jugement globalement positif sur la communication de leur entreprise, si l’on excepte la communication interne dont la performance est mise en question. Une forte attente se cristallise autour de la prise de parole des dirigeants, souvent jugée trop rare et trop concentrée sur la seule performance financière, alors qu’elle est très majoritairement appréciée. Les salariés attendent de ces prises de parole qu’elles éclairent les choix stratégiques de l’entreprise en abordant des sujets qui dépassent les seuls résultats financiers : plans de transformation, stratégie, responsabilité environnementale…

La raison d’être offre aux dirigeants l’opportunité d’embrasser ces différents sujets d’intérêt de leurs salariés et de démontrer qu’ils incarnent, par leurs paroles et par leurs actes, la l’identité et la valeur de l’entreprise. 


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Image : © Freepik

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