Laure Slabiak (C99), chanteuse du duo BlauBird : « Un artiste indépendant ne peut pas réussir seul »
BlauBird. Derrière ce nom mystérieux se cachent Laure Slabiak (C99) et son partenaire Olivier Slabiak. Ensemble, ils ont composé un premier album étonnant, à la croisée du trip hop et du lyrique. La chanteuse nous raconte la genèse de ce projet aussi ambitieux qu’harmonieux, que vous pouvez soutenir sur la plateforme de crowdfunding Ulule.
ESSEC Alumni : Comment passe-t-on d'une école de commerce à l'art lyrique ?
Laure Slabiak : Cela prend du temps, et surtout cela ne se prévoit pas ! À ma sortie de l’école, j’ai commencé par être pigiste. Je voulais travailler en indépendante, écrire, rencontrer des gens, aller voir des expositions, voyager… Le métier de journaliste m’a paru correspondre.
Mais dès que j’ai obtenu un emploi un peu plus fixe, en tant que rédactrice en chef adjointe dans une agence de communication pour un journal gratuit, je me suis mise à prendre des cours de chant, car il me manquait une part d’expression personnelle. Mon grand-père avait chanté toute sa vie comme ténor amateur et j’avais envie – ou besoin – de réaliser son rêve, je crois. C’est d’ailleurs lui qui m’a donné mon premier livre de technique de chant, écrit par celle qui est ensuite devenue ma première prof ! Et puis on m’avait bercée à la musique classique ; c’est la musique qu’on me faisait écouter enfant, que ma mère écoutait à la maison – en plus de The Cure ou Depeche Mode… J’étais donc naturellement attirée par la musique sacrée et baroque. En me lançant, j’ai découvert que j’avais une voix plutôt rare d’alto, et j’ai persévéré, également encouragée par de magnifiques rencontres, et malgré quelques déconvenues propres à ce milieu. J’ai appris énormément à travers la pratique de la voix lyrique.
Mais artistiquement, je suis arrivée au bout du chemin il y a 2 ans environ. Je connaissais bien ma voix qui s’était épanouie – je continue d’ailleurs de travailler ma voix avec mon super professeur Bernard Roubeau, qui est orthophoniste spécialiste de la voix chantée ; j’avais acquis un peu de légitimité et de confiance en moi ; j’avais pris goût à la scène ; et je ressentais le besoin profond de m’exprimer en dehors des sentiers battus, de créer mon propre univers, de chanter mes propres mots. De chanter comme je le voulais. En dehors des codes classiques.
EA : Et c’est ainsi que naît BlauBird…
L. Slabiak : Tout a commencé par une commande pour un documentaire. Mon partenaire Olivier et moi avons collaboré à la composition de titres qui ont donné naissance aux 2 premiers morceaux de BlauBird – qui à l’époque n’avait encore pas de nom.
Olivier et moi avions déjà collaboré sur divers projets : L&O, ensemble de chansons françaises sur des textes d’une amie auteure ; Angela Portella ; et Paris New York Odessa, spectacle musical sur la migration de la musique yiddish de l’Europe de l’Est vers les États-Unis au début du XXème siècle, dont j’étais la directrice musicale.
Mais cette fois-ci, il s’agissait de textes écrits par moi et de co-compositions. De « vraies » créations très personnelles.
EA : Pourquoi avoir choisi ce nom ?
L. Slabiak : BlauBird tire son nom du premier titre que nous avons composé pour ce documentaire : Blue Bird. Je ne sais pas vraiment d’où m’est venue cette idée de l’oiseau bleu… L’oiseau, c’était évident, puisque c’était un film sur un photographe animalier au travail très onirique et poétique, Erwan Balança.
Je me suis ensuite rendu compte que l’oiseau bleu convoquait de très nombreuses références qui me séduisaient et faisaient écho à notre univers onirique, poétique et symboliste. Je pense en premier lieu à la pièce de Maurice Maeterlinck, L’oiseau bleu. Maeterlinck est mon dramaturge préféré ; c’est lui qui a écrit le livret d’un des opéras qui me touche le plus, Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Son oiseau bleu, c’est l’oiseau du bonheur, qui est certes un mirage, impossible à attraper, mais qui transposé en psychanalyse figure la transformation d’un moi libéré de ses névroses et de ses souffrances. Il y a plein de phrases dans cette pièce de théâtre qui font écho à l’atmosphère de nos chansons et à mes textes. Il faut lire cette pièce !
Ensuite, on a choisi de changer le « Blue » en « Blau », qui veut dire « bleu » en allemand et en yiddish – les langues de nos aïeux à Olivier et moi, celles que parlaient mon grand-père et ses grands-parents. Nos langues émotionnelles. C’est important d’en avoir sur le disque… Cela fait écho aussi à la fin du CD, où mon grand-père chante un extrait de la Lorelei en allemand…
EA : Comment décidez-vous dans quelle langue chanter ?
L. Slabiak : Parfois les mots me viennent en anglais car j’ai habité un peu en Angleterre et aux États-Unis et j’ai « emmagasiné » des émotions vaporeuses que je ne peux dire qu’en anglais. J’aime cette langue qui dit beaucoup en peu de mots. Évidemment, je ne la maîtrise pas aussi bien que si c’était ma langue maternelle, mais pour moi cela n’a pas d’importance ; le moteur doit être le désir et je dis ce que j’ai en moi aussi bien en anglais, en français qu’en yiddish – qui est constitué à 98 % d’allemand. Parfois j’aime être comprise tout de suite, alors j’écris en français. Parfois j’aime être comprise « par moments », alors j’écris en anglais… Et parfois j’aime ne pas être comprise, alors je chante en yiddish (rires).
EA : Comment décririez-vous votre univers musical ?
L. Slabiak : Ce que nous aimons, c’est le mélange des genres et des textures, l’hybridation, ainsi que le recours à l’électronique pour bâtir un univers sonore cinématographique et symphonique. Sur cette ambiance, nous racontons des histoires en anglais, en français et en yiddish. Comme nous mélangeons nos histoires – lyrique pour moi et world pour Olivier – à des sonorités électroniques, on pourrait dire que nous faisons une sorte d’indé folk ou de triphop. Un triphop lyrique ?
EA : Concrètement, comment s'organise la collaboration artistique avec Olivier ?
L. Slabiak : De plusieurs façons. Il y a des chansons que j’ai entièrement écrites et composées et pour lesquelles j’ai demandé à Olivier de travailler la guitare et le violon. Il y a d’autres titres – comme Blue Bird – pour lesquelles Olivier m’a donné une grille sur laquelle trouver une mélodie et un texte. Et il y a les fois où je soumets à Olivier un texte et un début de mélodie. Il m’aide à finir la grille, et ensemble nous imaginons les arrangements ; je lui fais part de mes envies d’atmosphère, il m’adresse des propositions, et on fait plusieurs allers-retours jusqu’à avoir la chanson qui nous ressemble à tous les deux !
EA : Comment se fait-on une place sur la scène indépendante française ?
L. Slabiak : C’est difficile ! On ne peut pas faire l’impasse d’une stratégie en bonne et due forme. Il faut se positionner, tenter d’identifier son public potentiel, trouver les moyens de l’atteindre, créer des outils de communication et de promotion pour faire parler du projet… Un artiste indépendant ne peut donc pas réussir seul. Même si je suis heureuse d’avoir fait les études que j’ai faites, et d’en avoir gardé quelques connaissances en matière de marketing, je ne saurais me passer des conseils de professionnels. Il est essentiel de savoir s’entourer, de trouver des personnes qui soient prêtes à s’engager sans avoir l’assurance d’une rentabilité immédiate.
C’est pourquoi nous nous sommes associés à un éditeur, qui nous aide à trouver les bons partenaires, ainsi qu’à un très beau label « nouvelle génération », Microcultures, porté d’ailleurs par un ancien ESSEC, Jean-Charles Dufeu (E07). Ce dernier nous a permis de rencontrer un attaché de presse et de signer avec un distributeur. Il joue le rôle de producteur exécutif, de manager et de conseiller, et nous fait bénéficier de ses contacts et de son expertise en matière de développement et de positionnement.
Nous travaillons également en collaboration avec un duo de créatifs, Carole Charbonnier et Gilles de Kerdrel, issus du monde de la publicité, qui ont créé leur entreprise, Bureaux C&G. Carole est directrice artistique-graphiste et Gilles concepteur-rédacteur ; ils m’ont aidé à concevoir et bâtir l’image de BlauBird ainsi que les outils de communication adaptés.
EA : Vous avez également lancé une campagne de crowdfunding sur Ulule…
L. Slabiak : Seules les grandes maisons de disque ont les moyens de pourvoir à tous les besoins des artistes. Quand on signe sur un label indépendant, on doit tout de même investir de sa poche pour financer des choses aussi cruciales que l’enregistrement des disques ou la campagne de communication.
Pour cela, nous avons déjà fait appel à des mécènes privés. Nous avons aussi sollicité les aides aux artistes indépendants de caisses de gestion collective comme la SACEM, la SCPP ou la SPEDIDAM.
Et aujourd’hui, avec l’aide de Microcultures, nous menons une campagne de crowdfunding pour payer le pressage des disques, l’artwork, le tournage d’un clip (indispensable à la promo) et le travail de l’attaché de presse. À l’heure où je vous parle, nous en sommes à 73 % de notre objectif ; nous sommes ravis ! Si on dépasse les 100 %, nous pourrons allonger la période de promotion, tourner un deuxième clip et fabriquer des vinyles !
EA : Quels sont vos prochains projets ?
L. Slabiak : C’est essentiellement BlauBird qui va m’occuper dans les mois prochains, et je m’en réjouis car il y a plein de choses à créer autour. J’espère pouvoir monter une version « mise en scène » dans peu de temps. Peut-être avec mon amie Louise Moaty, qui avait travaillé sur la mise en scène de Paris New York Odessa.
En outre, je travaille actuellement à 2 projets « hybrides » : un projet qui mélangera le classique et l’électro avec une amie pianiste ; et un projet avec une autre pianiste concertiste, Shani Diluka, autour des mélodies juives des ghettos. Je donne des cours de chant aussi.
Mais je suis aussi revenue à mes premières amours – à savoir le dessin. J’ai illustré le livre-disque d’un ami, Quand même, j’ai réalisé des étiquettes pour les vins nature du Domaine Bobinet qu’il faut absolument découvrir, et plus largement je vends mes œuvres.
D’ailleurs, du 10 au 16 septembre 2018, un peu avant la sortie de l’album de BlauBird qui aura lieu le 5 octobre, nous allons investir un local éphémère, le Lieu 37 à Paris dans le 10e, avec les Bureaux C&G, Vincent Baverel, qui lance une gamme de vins nature en Bag-in-Box et Laetitia Natali, torréfactrice de café bio, pour proposer une semaine d’apéros musicaux avec BlauBird et ses guests (dont les vins Bobinet pour une ou deux soirées). Il y aura des photographies originales de Carole ainsi que mes dessins en vente, notre musique à découvrir en live et des dégustations de vins et de cafés.
L’idée est un travail coopératif de mise en commun de valeurs entre jeunes créateurs d’entreprises en reconversion, partageant la même passion pour l’entrepreneuriat, pour la musique, pour la fête et pour des produits vivants et joyeux, à la fois respectueux de l’homme et de l’environnement ! N’hésitez pas à venir !
Pour soutenir le lancement du premier album du duo BlauBird, participez à sa campagne de crowdfunding ici.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11), responsable des contenus ESSEC Alumni
8 juin : concert au Sunset-Sunside à Paris
28 septembre : sortie officielle de l'album
5 octobre : show-case gratuit au Walrus à Paris
En savoir plus :
www.facebook.com/blaubirdmusic
www.instagram.com/blaubirdmusic
https://soundcloud.com/blaubird
https://www.youtube.com/channel/UC2lM84Wb4dLsGMrNujBu9uw
Illustration : © Lars Botten
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