Nathalie Marchak (E03), réalisatrice : « Je veux faire un cinéma à message »
Le premier long-métrage de Nathalie Marchak1 (E03), Par instinct, sort en salles le 15 novembre, avec en tête d’affiche une Alexandra Lamy surprenante dans le rôle d’une avocate confrontée au trafic d’êtres humains en Afrique. Rencontre avec une réalisatrice prometteuse et engagée.
ESSEC Alumni : Comment passe-t-on d'une école de commerce à la réalisation d'un film ?
Nathalie Marchak : Il n’y a pas de chemin tout tracé pour réaliser un film. En France, classiquement, la réalisation d’un film passe d’abord par l’écriture d’un scénario. C’est donc complètement indépendant des études qu’on a pu faire. Mais écrire un film, le coproduire (car j’en suis aussi la coproductrice déléguée), le réaliser, c’est comme créer une entreprise. Il faut avoir une idée, la développer avec du travail et de la sueur, agréger des talents, lever des capitaux, convaincre des partenaires et, in fine, livrer, partager ce qui est né de ce labeur en espérant que ça touche le plus grand nombre. L’effort entrepreneurial n’a pas vocation à abimer la dimension artistique. Au contraire. C’est à mon sens vertueux parce que tous les partenaires, y compris la réalisatrice, souhaitent que le film soit produit à son juste coût pour offrir une rentabilité maximale à tous dans une optique de relation de long-terme – pour faire d’autres films après. Le cinéma est à la fois un art et une industrie.
EA : Que raconte Par instinct ?
N. Marchak : C’est l’histoire d’une avocate d’une quarantaine d’années qui part à Tanger, au Maroc, pour un voyage d’affaires de 48 heures. Elle rencontre une jeune femme africaine qui lui met son nouveau-né dans les bras et disparaît. Comme elle est avocate, elle connaît la loi et elle sait qu’elle ne peut pas ramener ce bébé. Avec l’aide d’un médecin humanitaire, elle va tout faire pour retrouver cette femme et lui rendre son bébé, alors qu’elle s’y attache de plus en plus. Pour la retrouver, elle parcourt les bas-fonds de Tanger et découvre que cette jeune femme africaine est victime d’un trafic d’êtres humains. C’est une plongée pleine d’émotion, haletante, au Maroc. C’est un voyage d’une heure trente.
EA : Pourquoi avoir voulu raconter cette histoire ?
N. Marchak : Il y a quelques années je me suis retrouvée au Maroc face à une jeune femme africaine qui m’a mis son bébé dans les bras et m’a demandé de le prendre. Je n’avais pas encore d’enfant. Je me suis demandée ce que j’aurais fait si j’avais eu 40 ans et toujours pas d’enfant. Cette histoire fait aussi écho au trajet qu’a parcouru ma grand-mère, rescapée juive polonaise de la Seconde Guerre mondiale, avec ma mère, encore bébé, quand elle a traversé l’Europe pour rentrer clandestinement en France. Ces jeunes femmes africaines font des trajets similaires, sauf qu’elles, elles sont vendues.
EA : Pourquoi avoir confié le rôle titre à Alexandra Lamy, plutôt attendue dans des comédies ?
N. Marchak : Alexandra Lamy est connue du grand public d’abord pour la comédie, mais c’est une grande actrice. Elle l’a montrée dans le film Ricky de François Ozon, et au théâtre dans une pièce remarquable où elle interprétait trois personnages sur scène, La Vénus et le Phacochère. Ma décision de lui confier le rôle a donc été une évidence. Le financement du film a été difficile au début, parce qu’elle était plus attendue dans des films de comédie et aussi parce que c’est mon premier film. Si j’étais Jacques Audiard, personne n’aurait questionné mon choix. Mais elle a, depuis, prouvé que le public la suit dans des rôles de thriller ou dramatiques comme dans la série Une chance de trop adaptée d’un roman d’Harlan Coben ou Après moi le bonheur sur TF1, qui ont tous deux réunis plus de 9 million de spectateurs. Aujourd’hui, il n’est plus discutable qu’Alexandra Lamy est une grande actrice tout court. Une très très grande actrice.
EA : Comment dirige-t-on une actrice de cette envergure ?
N. Marchak : Alexandra est une belle personne, très engagée. La diriger, c’est d’abord la laisser s’approprier la scène, parce qu’elle travaille beaucoup le texte en amont. Souvent, je lui donnais un mot, un adjectif pour l’aider à aller dans la direction que je souhaitais. Travailler avec une actrice de cette envergure est un immense cadeau qu’elle m’a fait.
J’ai aussi dû diriger une jeune femme, Sonja Wanda, qui, elle, n’avait jamais joué de sa vie. Cela rendait le travail sur le plateau très intéressant. Sans compter les bébés !
EA : Par instinct est votre premier film. Quelles leçons tirez-vous de cette expérience pour la suite ?
N. Marchak : Il y a une science du timing dans le cinéma qu’il est essentiel de comprendre. Sur le plan artistique, j’ai tenté des choses, certaines ont fonctionné, d’autres moins. J’ai surtout appris que le temps de tournage est une donnée incompressible et inestimable. Alfonso Cuaron m’avait donné ce conseil alors que je l’avais croisé au Festival de Cannes : « Ne lâche rien ». J’ai fait mon maximum pour ne rien lâcher sur le plateau, ni au montage. Et pourtant, il y a des moments quand l’équipe est fatiguée, qu’on est fatigué, à la fin du tournage, que les questions d’argent sont présentes, où j’ai fait, à tort, ma « bonne élève ». Je me suis débrouillée pour re-filmer une scène entière sur une journée (un retake) sans ajouter de jour de tournage. La production était ravie. Mais j’ai forcément été obligée de raboter d’autres séquences ou de trouver des moyens ingénieux de tourner d’autres plans plus rapidement. Au final, je l’ai regretté au montage. A l’inverse, j’ai appris aussi qu’il faut être capable de lâcher « artistiquement ». Que les scènes les plus réussies sont celles où il se passe quelque chose d’inattendu, de magique. Et que, pour laisser la magie se produire, il faut être capable de lâcher prise.
EA : Par instinct est à la croisée du film engagé et du film d'action. Voyez-vous la fiction comme un moyen de faire passer des messages forts ?
N. Marchak : Absolument. C’est le cinéma que je veux faire : un cinéma qui raconte des histoires comme on raconte une histoire à un enfant le soir au coucher, avec un message. Pas une morale. Je ne supporte pas les donneurs de leçon. Je ne juge jamais mes personnages. Mais un message c’est important. Ce sont les histoires, dès notre plus jeune âge, qui nous éclairent sur le monde qui nous entoure. Et le cinéma est un merveilleux outil pour continuer à raconter des histoires en donnant du sens.
EA : Quels sont vos prochains projets ?
N. Marchak : J’adapte un roman, Le Dernier des Nôtres, d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre au cinéma. C’est un thriller historique passionnant et romanesque.
EA : Votre formation managériale vous a-t-elle aidé à faire aboutir Par instinct ?
N. Marchak : Réaliser ce film a été ma première grande expérience managériale. Je n’avais jamais auparavant été amenée à manager une équipe aussi importante. J’ai tenté de communiquer à mon équipe ma passion, la nécessité impérieuse que j’avais de faire ce film et de rassembler les énergies. J’ai managé « à l’instinct », sans vraiment y penser !
1 Pseudonyme
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)
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