Marion Carrette (E96), fondatrice de OuiCar.fr : « La voiture individuelle tend à disparaître »
En 2007, Marion Carrette (E96) créait OuiCar.fr, premier site dédié à la location de voitures entre particuliers avec une assurance multirisques. Dix ans plus tard, la start-up est devenue un partenaire stratégique de SNCF et rassemble 1 200 000 de membres. Un beau chemin parcouru à grande vitesse, que nous raconte sa fondatrice.
ESSEC Alumni : Vous étiez parmi les premiers à miser sur l'autopartage. Comment avez-vous anticipé cette tendance avant l'heure ?
Marion Carrette : Dans le cadre de OuiCar, nous préférons parler de voiture partagée. L’autopartage est en général opéré par des sociétés qui achètent des flottes et les mettent en partage. Avec OuiCar, nous utilisons les voitures de la flotte existante et incitons les propriétaires à se les louer entre particuliers. C’est ce qu’on appelle l’économie collaborative ou l’économie du partage. L’idée est née en 2007, d’une expérience personnelle, bien avant d’ailleurs que le terme « consommation collaborative » n’apparaisse. Nous avons commencé avec Zilok, une plateforme de location de tous types d’objets entre particuliers, pour se rendre compte en 2012 que la catégorie « Voiture » fonctionnait vraiment bien. Nous avons donc décidé de créer un site dédié à la voiture, OuiCar, en plus de Zilok.
EA : Aujourd'hui, que représente le secteur de la location de voiture entre particuliers par rapport à il y a 10 ans ?
M. Carette : Un vrai marché ! Il y a 10 ans, ça n’existait pas. Aujourd’hui, les études estiment que le segment de la location entre particuliers représente environ 3 % du marché français de la location de voitures, qui s’élève à 2,5 milliards d’euros.
EA : Comment expliquez-vous ce succès ?
M. Carette : Nous sommes arrivés au bon moment. En période de crise du pouvoir d’achat, chacun essaie d’optimiser ses revenus. Une voiture dort 95 % du temps et coûte entre 5 000 et 6 000 € par an. Expliquer aux propriétaires qu’ils pourront rentabiliser leur voiture et gagner quelques centaines d’euros par mois est un discours qui porte. Les propriétaires prennent conscience qu’ils pourront payer l’entretien, l’assurance ou encore l’essence de leur voiture grâce à la location.
Par ailleurs, les mentalités ont changé : la voiture a perdu son rôle statutaire et les français sont plus sensibles à l’environnement pour leur déplacement. Peu à peu, ils abandonnent leur voiture au profit de mix de mobilités : métro, vélo, taxi, VTC, location, autopartage… Savoir qu’en complément de ces mobilités, on pourra louer la voiture d’un particulier à deux pas de chez soi permet de se libérer de la possession de voiture.
EA : Vous confirmez donc que posséder une voiture individuelle est un modèle en passe de disparaître… ? Y a-t-il des différences à cet égard entre les zones urbaines et les zones rurales ?
M. Carrette : Oui, la voiture individuelle tend à disparaître, et c’est particulièrement vrai en zone urbaine. Ça reste en revanche très compliqué en zone rurale. Du côté de OuiCar, nous avons aussi une majorité de personnes qui ne louent pas à leur domicile, mais en situation de déplacement. Nous avons donc besoin de voitures à louer partout – y compris dans les plus petites villes.
EA : Si plus personne n'a de véhicule, même la location entre particuliers sera menacée. Préparez-vous la transition vers d'autres formes d'autopartage - type Autolib ou Ubeeqo ?
M. Carrette : Nous avons 40 millions de voitures en France, de quoi nous laisser un peu de marge ! L’essentiel pour OuiCar est de posséder le flux de demandes de mobilité. Peu importe si demain, les voitures appartiennent à des particuliers, à des entreprises ou à des villes… Nous aurons toujours besoin de voitures pour nos déplacements et OuiCar continuera à mettre en relation une voiture inutilisée avec un besoin de déplacement.
EA : Dans ce contexte, quel est le sens de l'intégration de OuiCar à SNCF ?
M. Carrette : SNCF a investi dans OuiCar avec pour objectif de développer son offre de mobilité porte-à-porte. Il existe 3 000 gares en France, seules 150 sont pourvues d’agences de location de voitures. Grâce à nos particuliers, nous permettons à SNCF d’offrir de la location de voitures partout en France, y compris dans les plus petites gares sans agence de location. Le voyageur peut ainsi monter dans le train en étant sûr de disposer d’une offre de mobilité à l’arrivée. Nous travaillons avec SNCF sur plusieurs projets dans ce sens. Nous sommes notamment en train d'équiper leurs véhicules de service avec notre offre OuiCar Connect afin de proposer des voitures à l’arrivée des gares. Ces voitures sont disponibles le week-end quand elles ne sont pas utilisées par SNCF. Il suffit au voyageur d’avoir un smartphone pour démarrer la voiture. C’est magique et surtout très efficace. SNCF rend un service supplémentaire aux voyageurs tout en rentabilisant sa flotte dormante.
EA : Plus largement, le secteur de la mobilité automobile se prépare à des changements en profondeur : voitures autonomes ou même voitures volantes… Ces innovations sont-elles appelées à impacter OuiCar ?
M. Carrette : Nous sommes à la croisée des chemins entre voiture partagée et voiture connectée. Qui sait, la voiture autonome nous permettra peut-être même de gagner de nouveaux locataires qui n’auraient pas leur permis !
EA : La France est-elle en pointe ou en retard sur les nouvelles mobilités ? OuiCar peut-elle se contenter de ce marché, ou avez-vous des ambitions internationales ?
M. Carrette : La France a toujours été en avance à la fois dans le domaine de la mobilité (Velib, Autolib…) et de la consommation collaborative (Airbnb, Blablacar…). Le marché français est par ailleurs le plus gros marché de location de voitures en Europe : les congés, les jours fériés, les opportunités de week-end ou encore le TGV constituent autant de facteurs de réussite pour la location de voitures. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur le marché français afin de peaufiner le produit avant de nous lancer à l’international. Nous proposerons notre offre dans un ou deux pays en Europe à partir de courant 2018.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)
Illustration : © Sylvain Bardin
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