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Nicolas Bos (E92), président de Van Cleef & Arpels

Interviews

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24/07/2016

À 43 ans, Nicolas Bos (E92) est un homme heu-reux ! Parisien pure souche, père de deux jeunes filles de 10 et 12 ans, il dirige la célèbre maison de joaillerie Van Cleef & Arpels depuis près de trois ans, avec pour mission de « s'inscrire dans un héritage riche de plus d'un siècle d'histoire et d'innovations, tout en exprimant et en enrichissant cette identité dans un monde contemporain ». Tout au long de sa carrière, ce passionné d'art, de spectacles, de littérature et d'édition est resté fidèle au géant mondial du luxe Richemont. D'abord chez Cartier, où il a passé une dizaine d'années, avant de rejoindre Van Cleef & Arpels après son rachat par la compagnie financière suisse. Un homme de culture qui aime souligner la dimension à la fois business et créative de son activité.

ESSEC Alumni : Qu'est-ce qui vous a amené vers le secteur de l'art et de la culture à votre sortie de l'ESSEC ?

Nicolas Bos : C'était en fait mon intérêt de départ. D'ailleurs je me souviens encore de l'entretien d'entrée à l'ESSEC avec Olivier de Tissot, un professeur de Droit assez phénoménal, et avec lequel nous n'avions finalement parlé que d'art et de littérature. Vers la fin de l'entretien, il me dit : « Vous m'avez l'air extrêmement sympathique, mais je ne vois pas bien ce que vous faites là. Parce que vous ne me donnez pas l'impression d'avoir une vocation très commerciale ou très entrepreneuriale... » Ce à quoi je lui ai répondu que ce qui m'intéressait, c'était des catégories d'entreprises qui étaient à la frontière entre le business et la culture. On a alors parlé de maisons d'édition, de musées, et j'ai choisi l'exemple de la Fondation Cartier pour faire la démonstration des liens qui se développaient sans cesse entre le monde de la culture et celui de l'entreprise, de la professionnalisation en cours du point de vue commercial et du management de certaines institutions culturelles. Au final j'ai eu une bonne note à l'entretien, et je crois bien que c'est en grande partie grâce à cela que j'ai pu entrer à l'ESSEC.

EA : Et vous obtenez votre premier job à la Fondation Cartier...

N. Bos : Oui, après avoir effectué un stage chez eux, ils m'ont embauché à ma sortie de l'école comme assistant en marketing. J'ai passé quasiment une dizaine d'années à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, puis entre la Fondation et la maison Cartier même, puisque j'avais à m'occuper de dossiers qui touchaient les deux entités. J'avais pour mission de coordonner les projets artistiques tout en veillant sur l’aspect business et marketing. Ce qui m'a amené à avoir un peu plus d'expérience sur les aspects commerciaux, marketing et administratifs, et lorsque Richemont, le groupe propriétaire de Cartier, a racheté Van Cleef & Arpels à la famille Arpels en 1999, on m'a proposé de suivre certains de mes anciens patrons qui étaient nommés à la tête de Van Cleef, pour faire partie de cette entreprise de renouveau et de redéveloppement de cette belle maison. Là encore je suis d'abord passé par le marketing, puis le développement des produits joailleries, horlogeries, les pierres, la communication, pour enfin diriger la création de l’ensemble des collections de la maison. J'ai ensuite été nommé à la présidence de la filiale américaine de Van Cleef, et me suis installé à New-York pendant trois années.

EA : Treize ans après votre arrivée, vous voilà propulsé à la tête de Van Cleef, avec une double casquette, puisque vous gérez et le business et la création...

N. Bos : C'est comme cela que mon parcours s'est construit. On en revient à l'envie de départ, qui n'a d'ailleurs pas beaucoup changé, qui était d'être sur des fonctions et des environnements qui associent une réelle dimension culturelle et artistique, et des enjeux de business, de marketing et de développement commercial. J'ai toujours voulu garder un pied de chaque côté, sans y voir de contradictions, même si l'on a trop souvent tendance à penser qu'il s'agit de deux mondes différents, que l'on oppose parfois. J'ai la conviction que dans des domaines comme la joaillerie ou certaines industries du luxe, la création et le commercial sont intimement liés. Historiquement, lorsque toutes ces maisons étaient encore familiales, ce sont les membres de la famille qui assuraient les fonctions de création et de développement commercial, ce qui à l'époque était la garantie de leur succès. Cela s'explique encore aujourd'hui en grande partie par le fait que nous ne sommes pas sur un marché avec des besoins, des tendances, des concurrences qu'il faut absolument suivre et copier. Nous vendons quasiment des oeuvres d'art à des clients qui aiment être surpris, enchantés par ce que l'on propose. Donc à la limite, plus on est marketing et plus on est générique, moins on est surprenant et moins cela a de chances de fonctionner. 

EA : La joaillerie est-elle un secteur en forte croissance ?

N. Bos : C'est un marché qui reste en croissance, d'abord parce qu'il y a un marché mondial de la joaillerie qui poursuit son développement dans certains pays ou certains continents, c'est le cas dans plusieurs pays d'Amérique du Sud, en Chine, en Russie depuis une quinzaine d'années. Donc le marché global progresse, d'autant que le secteur de la joaillerie reste un marché extrêmement générique, dans lequel le poids des marques est encore faible, aux alentours de 15%, ce qui est très peu comparé à l'univers de l'horlogerie et des montres haut-de-gamme. Il y a donc des marges de progression très importantes, notamment sur la zone Asie-Pacifique et l'Inde, mais aussi sur les Etats-Unis et l'Amérique du Sud.

EA : On constate depuis quelques temps que la part de la joaillerie, notamment Van Cleef & Arpels, contribue de plus en plus à la rentabilité du groupe Richemont. Vous l'expliquez comment ?

N. Bos : Il me semble que c'est assez conjoncturel, avec un marché de l'horlogerie un petit peu saturé (Richemont possède une dizaine de grandes marques d'horlogerie de luxe, NDLR), dont la croissance était vraiment générée et dominée par l'Asie, principalement par Hong Kong et Macao, qui depuis un peu plus d'un an maintenant souffrent beaucoup. Résultat, dès que les tendances ralentissent en terme de ventes de détail, les effets sont démultipliés sur le restockage des distributeurs. En revanche, dans le secteur de la joaillerie, nous sommes sur des cycles longs, où l'on met deux, trois, cinq ans à concevoir et fabriquer une collection, probablement dix ans à la faire connaître. Donc nous voyons des choses que nous avons initiées il y a plusieurs années qui portent aujourd'hui leurs fruits, de manière assez organique. Ces deux facteurs combinés font que la part de la joaillerie ne cesse de progresser en terme de ventes. On est assez ravi de donner raison à notre actionnaire, à qui certains analystes avaient reproché, il y a 15 ans, d'avoir payer payé trop cher pour l'acquisition de Van Cleef & Arpels. L'une des grandes force de notre groupe, c'est sa capacité à identifier les marques qui sur le moyen ou long terme, peuvent devenir de vrais bons investissements. 

EA : Pourquoi avoir fait le choix d'ouvrir une école de la joaillerie en 2012 ?

N. Bos : L'idée est venue assez naturellement. On est un métier qui fascine mais qui est très peu connu, assez difficile d'accès, intimidant, et sur lequel il existe très peu de plate-formes d'éducation et d'apprentissage pour le grand public. Or depuis des années on avait des clients, des amateurs, des journalistes, qui nous demandaient comment ils pouvaient faire pour mieux connaître ce milieu. C'est ce qui nous a donné envie de créer cette école d'initiation au monde de la joaillerie, pour un public le plus large possible, comme cela se fait en oenologie ou en matière culinaire. L'école est basée à Paris mais elle est aussi itinérante, on l'a déjà emmenée à Hong-Kong, à Tokyo et New-York. Et à terme il est dans nos projets d'ouvrir une ou plusieurs antennes à l'étranger, ce serait vraiment intéressant de mettre en place un programme permanent aux Etats-Unis et en Asie par exemple.

EA : Puisque nous parlons transmission, le partenariat entre Richemont et le MBA Luxe de l'ESSEC est important pour votre groupe ?

N. Bos : C'est un partenariat extrêmement important pour nous, c'est quelque chose que nous avons développé ces dernières années de manière significative, que ce soit au niveau du groupe ou au niveau de nos marques. L'Essec a réellement été précurseur avec la création de la chaire Luxury Brand Management il y a une vingtaine d'années, et sa manière de considérer le luxe comme une vraie activité, avec ses spécificités, avec des éléments de management, de gestion, de marketing qui peuvent demander un enseignement particulier. Et il est important pour nous acteurs de cette industrie d'accompagner cette éducation, plus on peut ouvrir nos portes et contribuer à une meilleure connaissance de notre secteur d'activité, mieux on se porte. Avec des résultats, puisque aujourd'hui nous employons un bon nombre d'anciens élèves de l'école.

EA : Quel souvenir conservez-vous de votre passage à l'ESSEC ?

N. Bos : Le fait de me sentir très à l'aise dans une école un peu plus discrète et beaucoup plus portée sur les contenus que sa prestigieuse concurrente, dont l'image très « hype », très commerciale, très flamboyante ne me correspondait à vrai dire pas beaucoup. 

 

Auteur : Michel Zerr

 

Article paru dans le n°112 de Reflets ESSEC Magazine. Pour s'abonner, cliquer ici

 

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