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Paul Salvanès (E06) : « Voxeurop propose un journalisme européen de proximité »

Interviews

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30/05/2024

Après 10 ans dans l’humanitaire, Paul Salvanès (E06) a pris la direction générale de Voxeurop, média en ligne qui défend un journalisme indépendant à l'échelle européenne pour saisir les enjeux et les perspectives qui traversent le continent. Explications. 

ESSEC Alumni : Pouvez-vous présenter Voxeurop ?

Paul Salvanès : Créé en 2014 par des anciens journalistes de Courrier International, Voxeurop est un média en ligne indépendant, multilingue, qui s’adresse à une audience européenne et traite d’enjeux ne s’arrêtant pas aux frontières : changement climatique, démocratie, asile et migrations, guerre en Ukraine… Nous publions à la fois des articles issus de plus de 400 sources européennes, édités et traduits par nos soins, et nos propres contenus originaux : enquêtes, analyses, reportages. Le journal est fabriqué par une équipe plurinationale et tout un réseau de journalistes, correspondants et traducteurs de presse. 

EA : Vous revendiquez un « journalisme européen de proximité ». Qu’entendez-vous par là ? 

P. Salvanès : Notre terrain de jeu couvre l’Europe au sens large, les pays du Conseil de l’Europe ainsi que la Russie et la Biélorussie. Il ne s’agit donc pas de donner une caisse de résonance aux institutions de l’Union européenne ou plus largement aux affaires européennes pour un public de décideurs ; d’autres s’en chargent bien mieux que nous. Par ailleurs nous écrivons pour une audience européenne, avec des sources, auteurs et journalistes européens, et des angles qui parlent autant à un lectorat français qu’à un lectorat italien. Et comme la majorité des citoyens et citoyennes de notre continent préfèrent lire dans leur langue maternelle, nous traduisons tous nos articles en au moins cinq langues : anglais, français, italien, allemand et espagnol. Ces traductions permettent aussi d’adapter les contenus aux publics visés. 

EA : Quelle place occupe Voxeurop dans le paysage médiatique français et européen ? 

P. Salvanès : Notre force réside d’abord dans le fait que notre audience est très européenne : seul 20 % de notre lectorat est français. Mais Voxeurop reste encore peu connu du grand public, malgré une progression encourageante de nos vues. Il faut du temps pour se faire une place face aux plateformes et aux grands groupes de presse, dans un contexte de perte de confiance généralisée dans le journalisme et d’évolution des modes de consommation de l’information. Nous jouons nos cartes en travaillant avec une soixantaine de médias en Europe. Nous participons à plusieurs réseaux d’investigation, ce qui nous permet de mutualiser les moyens et de sortir des papiers intéressants pour notre audience européenne. Ce journalisme dit de consortium constitue une des évolutions intéressantes du secteur de ces dernières années. Nos articles sont aussi repris régulièrement par de grandes rédactions du continent, du Guardian à Domani, du Kyiv Independent à Times of Malta, de Telex à Efimerida ton Syntakton… Autre exemple de collaboration : nous publions aujourd’hui le cinquième chapitre d’une enquête de trois ans impliquant Michelin et BNP Paribas, sur un projet financé par des obligations vertes en Indonésie, en association avec Mediapart, connu pour la rigueur de son travail d’investigation, et avec le média américain Mongabay, spécialisé dans les questions environnementales. 

EA : Quel est votre modèle budgétaire ? 

P. Salvanès : Nous avons opté pour un modèle économique mixte. Avant tout, nous proposons des offres d’abonnement à nos lectrices et lecteurs qui peuvent aussi nous soutenir par des dons défiscalisés. Nous sommes également financés par des bourses de journalisme, des fondations, et en partie par l’Union européenne dans le cadre de consortiums de médias européens. Enfin, nous avons adossé au média une agence de traduction spécialisée dans les langues européennes qui propose aujourd’hui plus de 160 combinaisons de langue. L’indépendance éditoriale étant fonction de l’indépendance économique, nous construisons notre projet avec cet objectif. 

EA : Comment fonctionne votre gouvernance ? 

P. Salvanès : Nous avons le statut de société coopérative européenne depuis 2017, ce qui constitue une première pour un média. Tout notre écosystème est représenté au capital : lectrices et lecteurs, journalistes, traductrices et traducteurs, partenaires et financeurs – soit plus de 200 parties prenantes, de près de 30 nationalités. Au même titre que notre modèle budgétaire, ce modèle de gouvernance permet de protéger l’indépendance de la rédaction : chaque sociétaire a une voix, quel que soit le nombre de parts détenues, ce qui évite les risques de prise de contrôle, de censure ou d’autocensure des journalistes. Forcément, ce fonctionnement n’attire pas tous les profils d’actionnaires et limite en conséquence nos capacités d’investissement mais nous l’assumons totalement. D'ailleurs, nous ne versons pas de dividendes, du moins pour l’instant : tous nos bénéfices sont réinvestis dans le journalisme indépendant. 

EA : Comment abordez-vous les élections européennes à venir ? 

P. Salvanès : Notre valeur ajoutée par rapport aux grands médias qui couvrent ces élections avec beaucoup plus de moyens que nous, c’est que nous n’adoptons pas un prisme national, nous allons voir de l’autre côté de la frontière. Nous avons donc demandé à 27 médias de renom – un pour chaque État membre – de nous livrer les clefs du scrutin dans leur pays : Irish Times, Eldiario.es, Libération, Internazionale, Delfi, Expresso, Tagesspiegel… Coordonner de la sorte 27 rédactions constitue un tour de force que peu sont capables de réaliser. À la clé : 27 articles que chacun des partenaires republie dans sa langue, et donc des millions d’Européens qui en apprennent plus sur les enjeux de ces élections chez leurs voisins. 

EA : Quelles sont vos ambitions pour Voxeurop dans les années à venir ? 

P. Salvanès : Nous devons renforcer notre modèle économique, continuer à nous développer tout en rémunérant bien les journalistes qui exercent un métier vital mais en réelle précarisation. Il nous faut aussi trouver de nouvelles capacités d’investissement pour élargir nos thématiques, nos formats, nos langues de publication. Bref : nous avons besoin de moyens pour rester dans la bataille de l’information qui fait rage. 

EA : Comment les ESSEC peuvent-ils soutenir vos activités ?

P. Salvanès : Dans l’ordre : s’inscrire à la newsletter pour découvrir notre travail ; s’abonner pour nous lire et nous soutenir ; puis éventuellement investir dans le projet en achetant des parts sociales. Les ESSEC sont d’ailleurs déjà bien représentés dans les actionnaires de la coopérative ! Et que celles et ceux qui ont des besoins en traduction n’hésitent pas à nous demander un devis. Plus largement, j’encourage évidemment tout le monde à lire et soutenir les médias indépendants, le nôtre ou d’autres. 


En savoir plus :

voxeurop.eu

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

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