Reflets Mag #152 | Pierre Lacombe (M14) : « Le potentiel de développement de la Guyane est considérable »
Reflets Mag #152 consacre un dossier aux territoires d’outre-mer et à leurs enjeux communs et spécifiques, notamment sur le plan économique. Parmi les intervenants : Pierre Lacombe (M14), chargé des relations extérieures de La French Tech Guyane. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !
Reflets Magazine : Comment êtes-vous arrivé en Guyane ?
Pierre Lacombe : Également diplômé de CentraleSupélec, j’ai débuté ma carrière dans le secteur des drones chez Parrot. Puis j’ai intégré l’université de Berkeley en Californie pour codévelopper avec trois ingénieurs informatiques le « framework de programmation visuelle » Voltapp : un standard « no-code » (ou « low-code ») sous la forme de briques de code informatique combinables permettant aux entreprises de créer de manière rapide et souveraine leurs propres applications et fonctionnalités d’intelligence artificielle. Une technologie qui a notamment retenu l’attention du Centre Spatial Guyanais : ainsi est né le Nocode Space Lab et ses applications comme InfoBase, le « Whatsapp souverain » de la base, ainsi que ses formations dédiées. Cette expérience m’a aussi conduit à rejoindre la French Tech Guyane pour accompagner la digitalisation du territoire et contribuer au rayonnement de la tech locale, en métropole (comme à Vivatech) comme dans les outre-mers (aux French Tech Days à la Réunion).
RM : Quelle est la situation économique de la Guyane aujourd’hui ?
P. Lacombe : La Guyane constitue la nouvelle frontière française, avec des problématiques similaires à la Conquête de l’Ouest nord-américain de jadis. Son territoire représente un tiers de la France métropolitaine mais seuls 5 % sont occupés, principalement sur la côte. Des villes comme Maripasoula, comptant plus de 10 000 habitants, n’ont toujours pas d’accès à la route ; il faut près de 10 heures de pirogue pour s’y rendre. Mais le potentiel de développement est considérable. Lors de sa récente visite d’État, le président Emmanuel Macron a relancé le projet d’une route le long du fleuve Maroni, ce qui améliorera considérablement la sécurité et l’accès aux services publics. La majorité de la population a moins de 25 ans, le taux de natalité est en en hausse. De nombreuses familles viennent d’Amérique du sud dans l’espoir de voir leurs enfants vivre une meilleure vie.
RM : Quels sont les principaux leviers de croissance économique actuellement en Guyane ?
P. Lacombe : Historiquement, la Guyane tire ses ressources de l’exploitation de nombreuses matières premières, du bois aux carrières, filières essentielles pour le BTP, en passant par l’or. L’implantation du Centre Spatial Guyanais (CSG), portée par le Centre national d’études spatiales (CNES) français pour le compte de l’European Space Agency (ESA) et de ses 22 pays membres, génère aussi beaucoup d’activité. Prévu à la fois pour les fusées comme Ariane ou les lanceurs plus légers bientôt réutilisables, il est utilisé comme un véritable port spatial par de nombreux opérateurs : même les Américains sont passés par lui pour mettre en orbite le satellite James Webb, fer de lance de l’observation de l’univers.
RM : Quels autres leviers pourrait-on activer à l’avenir ?
P. Lacombe : La biodiversité constitue un énorme levier de croissance, en particulier grâce au Parc Amazonien, le plus grand parc naturel européen, qui abrite près de 6 000 espèces de plantes, susceptibles d’attirer un important tourisme vert. Le secteur n’en est qu’à ses balbutiements mais certaines initiatives sont prometteuses : je pense au village de Saül (prononcer Sahul), perdu au milieu de la forêt, accessible uniquement en petit avion, dont la centaine d’habitants reçoit les visiteurs pour leur faire déguster le cacao produit localement. Reste bien sûr à veiller à la protection de l’environnement : de ce point de vue, un autre chantier d’avenir est la lutte contre l’orpaillage illégal et ses déversements de mercure empoisonnant la faune, la flore et les populations, pour consolider une filière d’excellence plus respectueuse des sols. Enfin, autre secteur porteur : le digital. La Guyane bénéficie d’infrastructures techniques de haute qualité qui manquent souvent sur le reste du continent. Résultat : le territoire offre de belles possibilités d’emploi à distance et accueille des délocalisations venues des nombreux pays d’Amérique du Sud avec lesquels elle partage le même fuseau horaire et qui viennent notamment y chercher des développeurs informatiques. La demande est d’ailleurs si forte qu’elle ouvre aussi des opportunités dans la formation : il faut des talents supplémentaires sur place.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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