Reflets Mag #154 | Nathalie Joffre (E05) : l’art et la mémoire
Dans Reflets #154, Nathalie Joffre (E05) raconte sa double vie. D’un côté, les projecteurs des shootings pour des campagnes de publicité. De l’autre, les profondeurs des grottes préhistoriques pour un travail artistique inspiré de l’archéologie. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !
Dès l’ESSEC, Nathalie Joffre s’intéresse à la culture. « J’ai créé l’association Les Dés’artsonnés pour proposer sur le campus des cours de dessin et d’histoire de l’art avec des professeurs de l’École du Louvre et des Beaux-Arts de Cergy. » En parallèle, elle s’inscrit à la Sorbonne, où elle étudie notamment l’archéologie et l’art contemporain. « Et j’ai effectué mon premier stage au sein de la Réunion des musées nationaux. »
Changement de scène
Pourtant, une fois son diplôme en poche, Nathalie Joffre intègre l’agence de publicité américaine JWT. « En définitive, je trouvais plus de créativité dans ce métier, où je contribuais à la fabrication des visuels et des spots de nos campagnes, qu’en institution, où j’avais seulement accès à des postes de gestion. »
Elle n’en garde pas moins le besoin de développer sa propre pratique. « J’ai pris des cours du soir de photographie et, à mesure que je gagnais en technique, je suis passée d’une approche documentaire à une démarche plasticienne. »
Tant est si bien qu’elle décide de retourner à l’université, cette fois pour un master 2 en théorie et pratique des arts plastiques. « Ce cursus exigeait de produire une œuvre et d’écrire un mémoire sur les problématiques esthétiques et historiques qu’elle pouvait recouper. Les choses devenaient sérieuses ! »
Et de moins en moins compatibles avec sa vie professionnelle. « À ce stade, j’avais rejoint le pôle Entertainement de Google qui accompagnait les industries du cinéma, de la musique et des jeux vidéo dans leur stratégie digitale. Je me rendais au Festival de Cannes pour rencontrer les producteurs, je portais des missions comme le lancement d’Assassins Creed II pour Ubisoft… Certes, j’y trouvais un intérêt, d’autant que la communication sur Internet en était encore à ses balbutiements, nous jouions un rôle de défricheur. Mais je manquais de lien direct avec la matière. Et j’alternais entre journées à travailler et soirées et week-ends à étudier. »
Terre d’asile
À l’issue de cette période, Nathalie Joffre décide de prendre un congé sabbatique et de s’inscrire dans une école d’art à part entière, le prestigieux London College of Communication.
« Là-bas, je me suis plongée dans les archives du Bethlem Royal Hospital, le plus ancien établissement psychiatrique en Occident, et j’ai déterré les premiers portraits photographiques jamais réalisés de patients atteints de maladies psychiques ou mentales, ou considérés comme tels. Ces documents médicaux interpellent sur la représentation de la folie ; étonnamment, ils reprennent les codes bourgeois de l’époque, ce qui contraste avec les clichés plus récents et plus connus de celles qu’on appelait les hystériques de la Pitié-Salpêtrière, qui véhiculent une image plus torturée – autrement dit, plus stéréotypée. »
Elle tire de cette exploration l’installation He Told Me That His Garden… où elle se filme manipulant les négatifs, lisant les registres qui leur sont associés, et s’adressant à ces personnes, comme pour tenter de compléter leur figuration. Un questionnement autour de la mémoire, sujet qui traversait déjà ses premières œuvres – « des photographies où je mettais en scène la robe de chambre de ma grand-mère dans la nature, une vidéo où j’exécutais une performance dans un vieux lavoir près de ma maison d’enfance » – et qui deviendra son fil conducteur.
De l’ombre à la lumière
L’expérience permet non seulement à Nathalie Joffre d’affirmer son propos, mais aussi de remporter le Sproxton Award for Photography et le prix ICART. « Ces récompenses m’ont débloquée psychologiquement. Et m’ont ouvert des opportunités. »
Si elle ne quitte pas pour autant le monde de l’entreprise, elle n’y consacre plus qu’un mi-temps, en tant qu’associée et directrice artistique de l’agence v(room)), filiale du groupe de production Partizan, spécialisée dans la conception de contenus pour les marques de luxe. L’autre moitié du temps, elle creuse son sillon, articulant de plus en plus sa recherche avec l’archéologie, en particulier depuis une résidence qu’elle a décrochée au Centquatre dans le cadre du programme européen Nearch avec l’université d’Oxford et l’INRAP. « Je me rends sur site – dans les grottes de Lascaux, de la forêt de Fontainebleau ou encore de l’Amazonie colombienne – et j’ausculte les gestes des archéologues – à la fois leur dimension physique, l’engagement du corps qu’ils nécessitent, et leur dimension métaphysique, l’imaginaire qu’ils convoquent. » Puis elle restitue ces éléments sous différentes formes : mime de fouilles avec des comédiens, ar tefacts à partir d’objets trouvés, dessins inspirés de relevés géologiques, mobile monumental d’urnes funéraires…
Un corpus qui lui vaut d’être présentée dans de nombreux musées et festivals en France comme à l’étranger, d’être régulièrement invitée à intervenir dans des colloques et séminaires (dont à l’iMagination Week de l’ESSEC), d’être publiée dans diverses revues et ouvrages académiques ; bref, de faire référence, comme en atteste aussi sa sélection au Cycle des Hautes Études du ministère de la Culture, dans la promotion Agnès Varda, aux côtés de personnalités du monde de l’art et de la culture. « Pendant un an, nous sommes partis à la rencontre d’acteurs de terrain et d’intellectuels pour réfléchir au rôle de l’art et de la culture face à l’instabilité de la société, à la perte de repères et de valeurs. Et nous avons restitué ces échanges dans le po dcast Ecotone pour rendre nos conclusions accessibles au plus grand nombre. » Une manière aussi de laisser, à son tour, une trace pour le futur.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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Image : © Cyrille Lallement
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