Hélène Daccord (E17) : « La musique peut avoir des répercussions géopolitiques »
Hélène Daccord (E17) publie Quand la musique fait l’histoire (Éditions Passés Composés) où elle relate quinze moments légendaires durant lesquels la musique a joué sa partition dans le concert des nations. Rencontre.
ESSEC Alumni : Quels aspects de votre parcours vous ont-ils menée à vous intéresser aux liens entre musique et géopolitique ?
Hélène Daccord : Diplômée du Conservatoire de Pau en violon, j’ai eu la chance de pouvoir continuer à vivre ma passion de la musique une fois à l’ESSEC. J’ai d’abord créé avec d’autres camarades de promo l’Orchestre Symphonique de l’ESSEC (OSE) qui est rapidement devenu un orchestre inter-écoles cergyssois. Puis j’ai pris la présidence du Bureau des Arts (BDA) et ai lancé de nombreux évènements musicaux avec mon équipe et les autres associations artistiques du campus. Dans le même temps, j’ai suivi en parallèle un cursus en géopolitique à l’ENS Ulm. C’est à l’issue de ces années d’études que j’ai eu l’idée de lier les deux disciplines.
EA : Que raconte votre ouvrage ?
H. Daccord : Ce livre accessible à tous et toutes revient sur quinze instants légendaires où la musique a joué un rôle dans les coulisses des relations internationales – et où le fracas des armes a laissé place à l'harmonie des instruments. Du concert improvisé de Rostropovitch devant le mur de Berlin en 1989 aux figures symboliques de Verdi et Wagner qui ont réveillé les patriotismes italien et allemand au XIXe siècle, je montre comment les notes, même dépourvues de mots, peuvent trouver un écho politique.
EA : Concrètement, comment avez-vous mené vos recherches ?
H. Daccord : J’ai passé des dizaines d’heures à écumer des archives, des revues scientifiques ou encore des ouvrages spécialisés. La médiathèque musicale de Châtelet en particulier constitue une véritable mine d’or à cet égard. Puis j’ai cherché le fil rouge qui pouvait donner toute sa cohérence aux anecdotes croustillantes que j’avais glanées au fur et à mesure. Je recommande particulièrement les correspondances de Beethoven et de Nadia Boulanger, souvent tordantes !
EA : Parmi les quinze « instants légendaires » que vous avez explorés, lequel vous a le plus marqué ?
H. Daccord : Je trouve l’histoire de l'Orchestre Philharmonique de New York tout bonnement renversante : en pleine crise nucléaire, le régime nord-coréen décide d’inviter 250 Américains à Pyongyang ! En 2008, cette invitation signalait-elle un souhait de normalisation des relations diplomatiques par Kim Jong-Il ? Fallait-il croire à la diplomatie symphonique ou ce concert n’était-il qu’un divertissement de plus pour le régime ? On peut dresser un parallèle entre cette tournée et la célèbre « diplomatie du ping-pong » qui a contribué au dégel des relations sino-américaines durant la guerre froide – comme le raconte avec brio le célèbre opéra Nixon in China de John Adams.
EA : Avez-vous découvert des faits historiques inconnus – ou du moins qui n’avaient pas encore été étudiés ou racontés ?
H. Daccord : Des centaines ! À la base, je ne connaissais pas la moitié des anecdotes que je raconte dans mon ouvrage. Je pense que cela se voit dans l’écriture : je découvre ces histoires avec le lecteur. Pourquoi les traités dédiés à la musique arabe, qui font encore référence aujourd’hui, ont-ils été rédigés en français ? Pour quelle raison Rostropovitch a-t-il choisi de jouer Bach à la chute du Mur de Berlin, le 11 novembre 1989 ? Pourquoi aucune femme n’a-t-elle jamais été nommée cheffe permanente à la tête de l’un des orchestres nationaux en France ?
EA : Les réponses à ces questions donnent aussi des clés de lecture pour l’actualité. Car la musique joue encore un rôle géopolitique aujourd’hui…
H. Daccord : Plus que jamais, oui. Depuis le 24 février 2022, de nombreux artistes russes ont été sommés de prendre position sur la guerre en Ukraine et ont vu leurs mandats et leurs concerts annulés en raison de leurs opinions politiques. En parallèle, plusieurs établissements culturels ont rompu les partenariats qui les liaient avec des salles moscovites ou pétersbourgeoises. Certains orchestres ont introduit leurs représentations avec l’hymne national ukrainien, d’autres sont allés jusqu’à retirer Moussorgski ou Tchaïkovski de leur répertoire. Ces récents évènements rappellent combien la musique et ses interprètes ne peuvent rester étrangers au contexte historique dans lequel ils s’inscrivent. La sélection des chefs, la nationalité des interprètes, le nom des œuvres, les dates et lieux de concert : rien n’est anodin.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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