Reflets Mag #151 | Emmanuel Guillaud (E93) : message à l’écran
Dans Reflets Mag #151, Emmanuel Guillaud (E93) raconte comment il est devenu un artiste reconnu par les institutions culturelles les plus prestigieuses du monde et présente son projet I’ll lick the fog off your skin, qui mêle photo, vidéo, danse et performance, et qui est ouvert au mécénat des particuliers et des entreprises jusque fin janvier. Découvrez l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !
Pendant des années, Emmanuel Guillaud développe sa pratique artistique en cachette. « Officiellement, j’évoluais dans le marketing, d’abord au sein d’un groupe de la grande consommation, où j’ai notamment créé une marque et monté une start-up en interne, puis pour une agence de conseil en stratégie, qui m’a missionné auprès de maisons de luxe. »
Autour de ses 30 ans, il se décide à tout recommencer et commence par partir à Tokyo apprendre le japonais. « D’abord pour prendre de la distance – j’ai d’ailleurs fait en sorte de bien ressentir l’écart en effectuant le trajet par trains et bateau, via Berlin, Moscou, Pékin, Shanghai, Osaka… » Mais surtout pour s’immerger dans la culture et l’esthétique nippone. « Ce pays nourrit un rapport au monde très différent qui permet de décentrer le regard. Je l’éprouve particulièrement dans les jardins japonais qui réservent des surprises à chaque pas, des rencontres inattendues, par contraste avec les jardins français, géométriques, conçus pour faire la démonstration d’un pouvoir. »
De l’ombre à la lumière
Au Japon, Emmanuel Guillaud ose pour la première fois montrer ses œuvres. « Peut-être l’éloignement a-t-il contribué à lever mes inhibitions… » Il postule ainsi à un grand concours organisé par le gouvernement et le musée d’art contemporain de Tokyo pour révéler les artistes émergents. « Et à ma grande surprise, je suis devenu le premier Occidental jamais récompensé ! »
Il affirme un mode d’expression unique : la projection. « Pour ma première exposition, j’ai diffusé des images dans le noir, qui virevoltaient ; le public pouvait passer entre elles, les traverser, les toucher. Certains décrivent ces dispositifs comme des installations mais je me considère plutôt comme un créateur d’espaces. Le Corbusier définissait d’ailleurs l’architecture comme un jeu d’ombres et de lumières. »
À la recherche de l’inspiration
Le médium choisi par Emmanuel Guillaud le place dans une case à part qui attire l’attention : il est invité au Musée d’art contemporain de Tokyo, au Singapore Art Museum, à PHotoEspaña à Madrid, à la Collection Lambert en Avignon…
« Je procède par cycle. Chaque œuvre constitue une aventure de 2 à 10 ans, qui se déploie dans des séries d’exposition in-situ. » Son travail repose toujours sur de nombreuses recherches historiques et philosophiques, qu’il questionne la solitude en milieu urbain dans Until the sun rises, l’exil dans Bruler les abîmes ou l’aliénation des passagers du métro dans Sans titre (après le Piranèse). Pas étonnant dès lors qu’il finisse par intégrer l’École nationale supérieure d'Arts de… Paris-Cergy. « Un retour aux sources. Littéralement ! Après avoir développé une carrière en autodidacte, j’avais besoin de me confronter à l’histoire et à la philosophie de l’art. »
Une démarche qu’il poursuit en donnant cours et conférences à son tour – sur la création publicitaire à l’ESSEC, sur l’art à Paris 8 et à l’EHESS – puis en obtenant une résidence à la prestigieuse Villa Kujoyama, équivalent japonais de la Villa Médicis en Italie. « Là-bas, j’ai pris conscience que je n’orchestrais pas seulement des images mais aussi des mouvements ; car le public se déplace dans mes expositions en fonction des agencements de mes projections. Je peux donc anticiper, orienter ces trajectoires. Autrement dit : les chorégraphier. »
Débute alors une collaboration avec Takao Kawaguchi, célèbre danseur contemporain et membre du collectif Dumb Type, pionnier des rapports entre danse et vidéo. « Nous nous sommes intéressés aux conceptions du désir et de la beauté dans le Japon ancien. Deux différences clés nous ont sauté aux yeux par rapport à notre époque obsédée par l’image et les critères de beauté. D’abord, le désir paraît beaucoup moins conditionné par le physique. Nombre de récits ne décrivent même pas l’apparence des personnages ! Peut-être parce qu’on vivait alors dans des espaces souvent sombres, ornés de nombreux paravents, et qu’on portait jusqu’à douze couches de tissus sous les kimonos ; le trouble naissait donc de signaux beaucoup plus subtils que le corps lui-même, tant celui-ci était escamoté. Aussi, le désir y semble très fluide. On passe de l’amour des hommes à celui des femmes… voire des fantômes ! Dans une scène du Dit du Genji, un des chefs d’œuvre du Japon, le prince échoue à séduire une femme et jette son dévolu sur le frère de celle-ci. » À partir de ces découvertes, les deux artistes tentent de créer de nouvelles images de la beauté. « Nous avons projeté des motifs de kimono sur des corps de danseurs dans l’obscurité. Ces derniers devenaient ainsi de pures silhouettes, des fantômes sensuels, chargés de désirs inédits. »
Œuvre à thèse
Aujourd’hui, Emmanuel Guillaud approfondit cette exploration avec un doctorat qui s’articule autour d’une expérience immersive intitulée I’ll lick the fog off your skin. « Prévue pour mars 2024, cette œuvre constitue l’aboutissement de mes précédentes propositions : j’y chorégraphie les imbrications de trois mouvements, ceux d’images flottant dans le noir, ceux des ombres du public et ceux des corps de performeurs et performeuses. »
Il s’agit d’un changement de dimension et d’échelle. « Le projet est rendu possible grâce à de multiples collaborations, notamment avec la compagnie de danse altered_spaces_ co-dirigée par Patrice Goujet (E94) et avec la société de cinéma Ysé Productions. Sont impliqués 7 danseurs et danseuses, une compositrice, un créateur lumière, un régisseur des flux vidéos, un dramaturge… Je dois parfois puiser dans mes souvenirs de manager ! »
Et aussi dans ses compétences en finance : car s’il bénéficie du soutien de nombreuses institutions dont le Ministère de la Culture, le Centre National de la Danse et le Centre National du Cinéma, il a besoin de fonds privés pour boucler son budget. « Nous avons lancé deux campagnes de mécénat. L’une pour les entreprises avec des contreparties sur mesure : visites de coulisses et accès aux répétitions mais aussi workshops au sein de l’entreprise mécène autour des questions de diversité, de beauté et de créativité. L’autre pour les particuliers : les dons donnent accès à des avantages fiscaux et nous offrons 20 tirages de mes photographies aux personnes qui nous soutiennent. N’hésitez pas à me contacter ou à consulter notre page de collecte sur Hello Asso ! »
Devenir mécène d’I’ll lick the fog off your skin :
- en tant que particulier : colibris.link/Kis2M
- en tant qu’entreprise : colibris.link/mecenat_art
Plus d’informations : emmanuel@alteredspaces.fr
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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