Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Marc Hivernat (E86) : « La France a toujours accordé une place privilégiée à la culture au sein de l’Europe »

Interviews

-

08/02/2022

Pour célébrer la présidence française du Conseil de l’Union européenne, Marc Hivernat (E86) a investi le siège bruxellois de l’institution avec L’Étoffe de l’Europe TM, projet d’aménagement scénographique mêlant data, artisanat français et écoconception. Il lève le rideau sur cette initiative hors normes, à la croisée de la culture, de l’éducation et de la diplomatie.  

ESSEC Alumni : Comment votre parcours vous a-t-il mené à porter le projet L’Étoffe de l’Europe TM avec les Ateliers Adeline Rispal ? 

Marc Hivernat : J’ai toujours voulu allier ma nature de créatif à ma formation de gestionnaire pour servir des projets culturels. Au début de ma carrière, ce n’était pas évident : management et culture paraissaient antinomiques dans les années 1980… J’ai cependant trouvé un premier poste à la Comédie française, avant de participer à la création de l’agence d’ingénierie culturelle du Groupe Caisse des dépôts, puis de fonder Créatibus, société de vente à distance de loisirs culturels, et ensuite de prendre successivement les fonctions d’éditeur délégué du groupe Mango éditions, de directeur associé de Rhizomes, agence de communication spécialisée sur le patrimoine des marques, de directeur général de la Fondation Lafayette, et enfin de directeur général des Ateliers Adeline Rispal. 

EA : Pouvez-vous nous présenter les Ateliers Adeline Rispal ?

M. Hivernat : En 30 ans, les Ateliers Adeline Rispal sont devenus l’agence spécialisée dans l’ingénierie culturelle, l’architecture et la scénographie d’espaces. Notre savoir-faire, reconnu en France et à l’international, est de « cultiver les espaces » de nos clients dans les secteurs de la culture et du patrimoine mais aussi du retail, du tertiaire ou de la mobilité. Physiques ou numériques, les espaces que nous créons incarnent toujours les valeurs d’un lieu, les besoins de ses usagers et la culture d’entreprise de ses commanditaires. Nous adoptons en outre une approche qui se veut globale et vertueuse sur le plan environnemental.

EA : En quoi consiste le projet L’Étoffe de l’Europe TM porté par les Ateliers Adeline Rispal ?

M. Hivernat : Il s’agit d’un projet d’aménagement scénographique conçu en lien avec l’agence de design graphique Studio irresistible, qui se décline sous plusieurs formes – textile, numérique et artistique – à travers sept espaces du Conseil de l’Union européenne, à l’occasion de la présidence française de ce dernier.

EA : Quelles ont été les différentes étapes du processus de création qui a abouti sur L’Étoffe de l’Europe TM

M. Hivernat : Nous avons répondu à un concours d’architecture et de scénographie. En moins d’un mois, nous avons élaboré le concept général du projet. Notre proposition a été retenue à l’unanimité par un jury présidé par Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national, et composé de personnalités éminentes dont les architectes Corinne Vezzoni, Paul Chemetov et Bernard Desmoulins. Nous avons ensuite diligenté la réalisation du projet pendant 6 mois jusqu’à son installation à Bruxelles, laquelle s’est opérée en seulement 3 jours début janvier 2022.

EA : L’Étoffe de l’Europe TM repose sur le « data design » – et plus précisément sur le data-tissage. De quoi s’agit-il ? 

M. Hivernat : Incontestable sur le plan scientifique et historique, la data offre un formidable terrain de jeu pour la créativité. L’idée d’un data-tissage nous est venue pour expliquer simplement la complexité de la construction européenne. Ainsi, comme on croise les fils de chaîne avec les fils de trame sur un métier à tisser, L’Étoffe de l’Europe TM s’est tissée en croisant des rubans imaginés à partir des 37 couleurs pantone répertoriées dans les 27 drapeaux des nations européennes. Librement et artistiquement interprété au départ, chaque drapeau a généré un ruban qui a été validé sur le plan diplomatique par les ambassades en France de chacun des États membres. La chaîne est constituée des rubans des pays qui font partie de l’Union européenne depuis sa création, tandis que la trame est faite des rubans des pays assumant la présidence tournante tous les 6 mois. De 6 pays en 1958 à 27 aujourd’hui, on prend la mesure de la patiente construction de l’Union européenne en voyant le tissage s’élargir. De même, le Brexit est perceptible : l’interruption du ruban du Royaume-Uni en 2019 est visible dans le tissage, comme un bas qui a filé.

EA : Comment s’incarne le concept de L’Étoffe de l’Europe TM dans les différents espaces investis pour le projet ?

M. Hivernat : Le thème général se décline en plusieurs variations au gré des espaces qu’il investit, des échelles avec lesquelles il est utilisé, des matières avec lesquelles il est mis en scène. Le data-tissage de la construction européenne est intégralement présenté dans la grande fresque rétro-éclairée de 16 mètres de long installée dans le Forum Europa, où se déroule les conférences des chefs d’État. Il est aussi présent dans l’Atrium Juste Lipse, sous la forme spectaculaire d’une installation monumentale : 2 grandes ailes imprimées sur un textile non tissé et constituées de 10 laizes chacune encadrent l’allée centrale d’entrée et de sortie du bâtiment. Elles couvrent quelques 650 m2 et montent à 4 m de haut, grâce à un dispositif démontable et remontable en 6 heures pour satisfaire aux contraintes d’usage du lieu. Enfin, le motif est aussi décliné pour tapisser l’intérieur de 12 cages d’ascenseur.

EA : Comment L’Étoffe de l’Europe TM met-elle en valeur la création artistique française ? 

M. Hivernat : Lors de l’inauguration de L’Etoffe de l’Europe TM, la ministre de la Culture a rappelé que les productions scénographiques sont des créations artistiques à part entière. De fait, la scénographie est une discipline pluridisciplinaire qui sollicite de multiples savoir-faire d’excellence pour produire des œuvres collaboratives. En outre, le concept général du projet nous a incités à passer commande auprès d’acteurs de la création artistique française. 

EA : Quels artistes français avez-vous sollicités pour L’Étoffe de l’Europe TM ?

M. Hivernat : Jacques Perconte, figure majeure de la scène numérique, a créé Aour Europe, œuvre impressionniste et sonore conçue comme un tissage digital de paysages naturels européens. Jeanne Goutelle, créatrice textile, a conçu Intersection(s), ligne de paravents aux frontières de l’art, de l’artisanat et du design, tissés à partir de rebus de l’industrie textile stéphanoise. Nous avons aussi noué un partenariat avec le Mobilier national pour donner de la visibilité à Hémicycle, la toute nouvelle ligne de sièges du designer Philippe Nigro. Et nous avons présenté, dans le cadre de l’exposition Décors & paysages sous le commissariat de Léa Meotti, les œuvres de 6 jeunes talents émergents de la scène artistique française vivant en Belgique : Léa Belooussovitch, Jérôme Bonvalot, Vincent Chenut, Loup Lejeune, Lise Peroi, Lucien Roux.

EA : Quels aspects de la présidence française du Conseil de l’UE L’Étoffe de l’Europe TM met-elle en valeur ?

M. Hivernat : Toute scénographie est un projet politique, au sens le plus noble du terme. Nous nous sommes inspirés des 3 ambitions majeures que la France affiche pour sa gouvernance de l’Europe. L’Étoffe de l’Europe™ symbolise l’appartenance de 450 millions de citoyens tout en exprimant la diversité de leurs cultures. Elle exprime la puissance d’un collectif œuvrant, jour après jour, au tissage d’une dynamique commune dans le nouvel ordre mondial. Son maillage rend visible la relance des relations entre les nations, les flux de personnes et de marchandises, les réseaux d’échanges de data et d’informations tant au sein de l’Europe qu’avec le reste du monde. 

EA : La France s’est aussi donnée pour objectif de sensibiliser l’Europe aux enjeux de transition écologique et numérique… 

M. Hivernat : De ce point de vue, notre projet est exemplaire car notre approche éco-responsable nous a conduits à rechercher des solutions vertueuses en termes de matériaux, de fabrication, de recyclage, de consommation d’énergie, de réduction des nuisances et des déchets de chantier, de circuits courts, d’upcycling, de sobriété technique…

EA : Quelle est la place de la culture dans cette présidence française du Conseil de l’UE ?

M. Hivernat : La France a toujours accordé une place privilégiée à la culture au sein de l’Europe. Pour cette présidence française, la ministre de la Culture a annoncé plus de 150 événements culturels qui se tiendront en France et dans le reste de l’Europe avec notamment des moments artistiques phares visant à approfondir la connaissance de nos concitoyens de l’action de l’Union européenne en matière culturelle.

EA : Quel regard portez-vous sur la politique culturelle européenne ? 

M. Hivernat : Historiquement, l’Union européenne s’est d’abord constituée sur des fondements économiques ; c’est très progressivement que s’est élaborée une politique culturelle européenne, essentiellement basée sur la promotion de la diversité culturelle et du dialogue interculturel. Et c’est vraiment avec le traité de Maastricht, en 1992, que l’UE s’est dotée de compétences significatives pour contribuer à l’épanouissement des cultures des États membres, dans le respect de leur diversité nationale, tout en mettant en évidence leur héritage commun. C’est exactement ce qu’incarne L’Étoffe de l’Europe TM.

EA : La crise du COVID a questionné le caractère « essentiel » de la culture. Vous paraît-il nécessaire de marquer chaque présidence nationale du Conseil de l’UE par des initiatives symboliques comme L’Étoffe de l’Europe TM ?

M. Hivernat : Je suis profondément convaincu que culture et éducation sont les leviers de développement de tout projet, quel qu’il soit. Au-delà de la tradition voulant que chaque pays aménage à sa façon les espaces du Conseil de l’UE lors de sa présidence, Bruxelles offre une vitrine fantastique pour découvrir les formes d’expressions artistiques et culturelles de tous les États membres. Seule réserve : le grand public n’a qu’un accès très limité à ces espaces. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu que L’Etoffe de l’Europe TM soit la plus visible possible sur les réseaux sociaux et que nous l’avons déposée comme une marque appelée à durer au-delà du semestre de la présidence française.

EA : Que deviendra L’Étoffe de l’Europe TM au terme de la présidence française du Conseil de l’UE ?

M. Hivernat : En ce qui concerne les installations de Bruxelles, le cahier des charges du projet d’aménagement imposait comme contrainte que toutes les œuvres soient démontées pour être recyclées, ce qui sera fait. Mais le projet suscite un tel engouement qu’on peut envisager des opportunités alternatives, même s’il est trop tôt pour en parler avec certitude. Quant à la marque L’Etoffe de l’Europe TM, nous avons déjà prototypé et réalisé quelques produits dérivés, textiles ou non, toujours éco-responsables. Mais les possibilités et les déclinaisons du motif sont multiples, dans des univers aussi variés que l’art de vivre, le design, le luxe, l’aménagement ou encore l’équipement. Nous sommes approchés par de nombreux éditeurs et opérateurs, c’est amusant et encore très créatif !

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

Vous avez aimé cet article ? Pour que nous puissions continuer à vous proposer des contenus sur les ESSEC et leurs actualités, adhérez à ESSEC Alumni !

J'aime
1955 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Interviews

François-Régis de Guenyveau (E13) : « J'écris pour explorer ce qui n'est pas calculable »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

26 mars

Interviews

Jean-Gabriel Guillet (E11) : « Les cryptomonnaies vont restructurer nos économies »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

13 mars

Interviews

Julien Gobin (E13) : « Avec la technologie, notre civilisation individualiste arrive à un point de bascule »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

08 février

1