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Fabrice Epstein (E05) : « Les procès de la black music reflètent l’évolution des droits civiques »

Interviews

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06/12/2023

L’avocat Fabrice Epstein (E05) publie Black Music Justice (éd. La Manufacture de livres), suite de son premier ouvrage Rock’n’Roll Justice (éd. La Manufacture de livres). Il y propose une histoire judiciaire du blues, de la soul, du jazz et du rap, rythmée par les affaires d’appropriation, de plagiat, d’agression ou de drogue impliquant les plus grandes stars du XXe siècle. Rencontre. 

ESSEC Alumni : Que raconte Black Music Justice

Fabrice Epstein : Dans Rock’n’Roll Justice, j’ai proposé une histoire judiciaire du rock au sens large, musique de mon enfance qui couvre les Beatles, le Velvet Underground, les Doors, Bob Dylan, Leonard Cohen… Or tous ces artistes puisent leur inspiration dans le blues et le jazz. Avec ce nouvel opus, j’ai donc décidé de me pencher sur cette filiation, ces musiques sources, toujours à l’aune du judiciaire. 

EA : Qu’appelle-t-on la « black music » ?

F. Epstein : J’ai laissé cette question à la fin du livre, non pour l’éviter, mais pour ne pas m’enfermer dans une définition trop générique. Car la « great black music » peut inclure Stevie Wonder, Cesaria Evora, Billie Holiday et Fela Kuti dans le même ensemble. On parle alors d’une musique ou plutôt de musiques issues des Amériques et de l’Afrique, souvent porteuses de combats et de luttes sociales, composantes d’une véritable identité. De ce point de vue, elles ont toutes nécessairement maille à partir avec la justice et l’injustice.

EA : Quelles affaires vous ont particulièrement marqué parmi celles que vous avez étudiées ? 

F. Esptein : La notion d’appropriation culturelle m’a beaucoup interpellé. On l’utilise notamment pour désigner la récupération de morceaux de blues par des artistes blancs. Parfois, ces derniers taisent la référence et se retrouvent devant les tribunaux pour spoliation. D’autres rendent hommage à leur source d’inspiration, comme les Stones. Dans tous les cas, la pratique fait polémique. 

EA : Vous vous êtes aussi intéressé à Michael Jackson…

F. Esptein : Une star de son envergure constitue un enjeu juridique à lui tout seul. Quand on atteint un tel niveau de réussite artistique et financière, on fait face à des accusations permanentes, parfois fondées, souvent fausses et diffamatoires ; et on doit adopter une stratégie spécifique pour gérer à la fois le volume des affaires, leurs implications financières, et leur caractère public, leur impact pour l’image. Difficile de déterminer l’option la moins dommageable quand on jongle avec ces différents aspects. Si un inconnu dénonce un plagiat, vaut-il mieux négocier ou se défendre au tribunal ? Et si on fait l’objet de soupçons plus graves, qui ont trait à l’intégrité d’un tiers ?

EA : Quid du rap, où les procès sont légion ?

F. Esptein : Effectivement, le rap occupe une place importante dans le livre. Aux États-Unis, l’histoire des décisions de justice relatives au rap raconte l’évolution des droits civiques et reflète l’inconscient de la société, notamment le regard des Blancs sur les Noirs. La black music gêne car elle joue un rôle de marqueur social. Ce phénomène n’a rien de neuf : le blues racontait l’esclavage, le jazz la recherche de liberté, la soul l’espoir… Aujourd’hui le rap assume, il s’agit en quelque sorte du stade ultime. Résultat : nombre d’Américains blancs cherchent à criminaliser cette contre-culture. En ce moment même, Young Thug est inculpé à Atlanta sur la base d’une loi fédérale dite RICO qui par le passé a servi à condamner les mafieux de New-York. La procureure lui reproche des infractions en pagaille et pour administrer la preuve, elle se sert… des paroles de ses chansons. Il est permis de se demander si les États-Unis ont vraiment changé depuis l’époque où le jazzman Norman Grant faisait scandale en refusant que son orchestre joue devant un public ségrégué…  

EA : Et en France ?

F. Esptein : On constate la même méfiance dans l’affaire Orelsan ou dans les procès autour de textes pouvant heurter les consciences ou du moins celles de certains groupes au sein d’une population polarisée : les juges n’hésitent pas à qualifier le rap de musique foncièrement violente, qui concentrerait les aspirations d’une jeunesse en quête de repères. 

EA : En définitive, la « black music » est-elle traversée par des enjeux juridiques qui lui sont spécifiques ? Ou retrouve-t-on les mêmes enjeux que dans le rock et d’autres musiques ?

F. Esptein : Nous venons d’évoquer les enjeux spécifiques à la « black music ». D’autres sont partagés par tous les courants dans le sens où le monde de la musique dans son ensemble est confronté à des managers assoiffés d’argent, à des artistes souvent novices et à des juges rétifs à ce milieu et à ce qu’il représente.

EA : Comment avez-vous effectué vos recherches ? 

F. Esptein : En France comme aux États-Unis, je me suis basé principalement sur les décisions de justice, sur les déclarations des avocats (que j’ai aussi parfois sollicités directement) et sur des articles de presse d’époque ou d’aujourd’hui quand ils s’avéraient suffisamment détaillés. Il est d’ailleurs amusant de constater les différences entre les deux pays : les Américains tendent à donner beaucoup de détails, de contexte, dans une langue plus littéraire, voire philosophique, quand les Français s’en tiennent généralement au juridique et font preuve d’une plus grande sécheresse. 

EA : Pourquoi ne pas avoir investigué d’autres pays ?

F. Esptein : Bonne question ! J’ai préféré restreindre mes recherches aux pays dont je vise le lectorat à ce stade. Mais je ne doute pas que d’autres décisions de justice dans le monde mériteraient l’attention. Par exemple, en Allemagne, le groupe de musique électronique Kraftwerk s’est battu pendant de très nombreuses années contre la pop-starlette Sabrina Setlur, qu’il accusait de lui avoir volé deux secondes de percussions.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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Image : @ Pascal Ito

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