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Boris Pivaudran (E14), fondateur de Masherbrum : « On peut habiller la planète de façon écoresponsable »

Interviews

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03/06/2019

Boris Pivaudran  (E14), fondateur de la marque de textile outdoor Masherbrum, lance PROCLIMB, collection de vêtements techniques entièrement éco-conçus. Une démarche pionnière – et salutaire – dans un des secteurs les plus polluants au monde.  

ESSEC Alumni : Quelle est l’empreinte écologique de l’industrie textile ?

Boris Pivaudran : Le textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde derrière celle du pétrole. Elle émet chaque année 1,2 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, plus que tout le transport aérien et maritime réunis. Pour le cycle de vie d’un simple t-shirt en coton, on parle d'une empreinte carbone de 5 kg équivalent CO2, 3 750 litres d'eau consommés, et 40 000 km parcourus.

EA : Pourquoi l’industrie textile est-elle si polluante ?

B. Pivaudran : Premièrement, car les matières premières le sont : la culture du coton conventionnel est très gourmande en eau et en pesticides, tandis que les polyesters, polyamides et autres « poly- » qui composent 63 % de nos vêtements sont des dérivés pétrochimiques. Deuxièmement, car les procédés de fabrication nécessitent beaucoup d'énergie et génèrent des déchets, notamment des déchets chimiques via les teintures. Troisièmement, car les différentes étapes de fabrication sont généralement éclatées sur divers continents, avec énormément de transports et d'allers-retours. Enfin, car 73 % des vêtements en fin de vie sont enfouis dans le sol ou incinérés. Sans oublier que le cycle de vie d'un vêtement ne fait que s'accélérer sous l'impulsion de la fast fashion, qui multiplie les collections éphémères et les produits à faible durabilité.

EA : Le segment de l’outdoor fait-il mieux ?

B. Pivaudran : On pourrait penser que le textile outdoor montre l'exemple, vu la proximité de ses clients avec le milieu naturel. Malheureusement, l'immense majorité des vêtements de sport outdoor restent aujourd’hui composés de fibres pétrochimiques non-recyclées, fabriqués en Asie.

EA : Comment traitez-vous ces enjeux avec votre marque Masherbrum ?

B. Pivaudran : Notre première décision a été de travailler exclusivement avec des fibres écoresponsables, c'est-à-dire soit issues de l'agriculture biologique certifiée, soit issues d'une filière recyclage, soit issues d'une fabrication en circuit fermé. Et nous allons encore plus loin avec notre nouvelle collection PROCLIMB (pour laquelle nous venons de lancer une campagne de prévente), en sourçant l'ensemble des étapes de fabrication dans des pays membres de l'Union Européenne, afin de diminuer les transports. Cela n'était pas possible avec notre gamme précédente, qui contenait du coton bio : le coton ne pousse pas en Europe.

EA : Quelle alternative écologique au coton bio avez-vous trouvée ?

B. Pivaudran : Nous avons isolé deux fibres issues du bois de hêtre et du bois d'eucalyptus, provenant de forêt européennes éco-gérées, transformées en Autriche par un processus utilisant 100 % d'intrants écologiques, recyclés ensuite à 95 %. L'usine elle-même est alimentée à 80 % par de l'énergie renouvelable (éolien, solaire, biomasse...). L'autre fibre que nous utilisons est une fibre synthétique recyclée, à partir par exemple de bouteilles en plastique usagées. Le produit à impact zéro n'existe pas, mais nous essayons de minimiser celui-ci au maximum.

EA : L’éco-conception, c’est forcément plus cher que l’offre générique ? 

B. Pivaudran : Un produit éco-conçu est très souvent plus cher à l'achat, principalement parce que les matières premières sont plus onéreuses que les fibres conventionnelles. Pour une fabrication intégralement européenne, les coûts de main d'œuvre sont en outre forcément plus élevés qu'en Asie, et cela se répercute sur le consommateur. Cependant, si on raisonne à long terme, un t-shirt de la fast fashion ayant une durée de vie de six mois, il coûte en réalité plus cher qu'un t-shirt à durée de vie de dix ans. Sans parler du coût du désastre écologique pour notre société !

EA : Un vêtement éco-conçu peut-il être produit à grande échelle tout en restant respectueux de la planète ? 

B. Pivaudran : On peut habiller la planète de façon écoresponsable, par contre il est illusoire de penser que nous pourrons le faire sans diminuer notre volume de consommation individuelle. Aujourd'hui en France, on achète en moyenne 9 kg de nouveaux vêtements chaque année. Rien ne justifie une telle quantité. Ceci étant, qui dit vêtements écoresponsables dit également vêtements à durée de vie plus longue, et donc besoins diminués : l'équation n'est pas impossible à résoudre.

EA : Quelles autres solutions peut-on mettre en œuvre pour que la mode devienne écoresponsable ?

B. Pivaudran : Les filières d'approvisionnement en matières premières écoresponsables existent déjà, il faut juste les développer. Ensuite, il faut arriver à relocaliser un maximum les étapes de production, de la fibre au vêtement fini en passant par la filature, le tricotage, la teinture… pour les rapprocher des lieux de consommation finale. En France, cela signifie redévelopper notre savoir-faire textile, délocalisé en Asie. Enfin, il faut mettre en place, déjà au niveau européen, des normes extrêmement strictes pour limiter l'utilisation du coton conventionnel et les fibres plastiques non-issues du recyclage dans les produits distribués sur le continent.

EA : Avez-vous des exemples d’initiatives à suivre ou de marques qui donnent l’exemple ?

B. Pivaudran : Des initiatives fleurissent partout sur la planète et certaines sont extrêmement encourageantes. Par exemple, une société italienne recycle des déchets plastiques trouvés dans les océans et les transforme en nylon pour l'industrie textile. Notre fabricant autrichien de fibres cellulosiques démontre pour sa part qu'il est possible d'allier performance technique et impact minimal sur l'environnement. Et parmi les grandes marques connues de tous, on peut saluer les efforts de Patagonia qui utilise en grande partie du coton bio et des fibres recyclées pour ses vêtements, et a mis en place un programme « Worn Wear » de réparation et réutilisation des vêtements usés.

EA : Quels conseils donnez-vous aux consommateurs qui souhaitent se convertir à la slow fashion

B. Pivaudran : Avant tout, réduire sa consommation : n'acheter que ce qui est nécessaire, quitte à mettre un peu plus cher pour des vêtements de meilleure qualité. Ensuite, privilégier les habits avec des garanties fortes d'éco-conception. Les labels, même s'ils ont leurs limites, sont de bons indicateurs. Pour le coton bio, on peut se référer aux labels GOTS ou OCS. Le label OEKO-TEX 100 quant à lui assure de la non-nocivité des teintures. Enfin, privilégier les produits qui auront peu voyagé. Pour cela il faut exiger auprès des marques un maximum de transparence. Le « made in France » ou « made in Europe » ne suffit pas, car le tissu et le fil peuvent chacun avoir été fabriqués sur d'autres continents. Comme pour l'industrie alimentaire, le consommateur doit être averti et les marques doivent jouer cartes sur table.

 

Intéressé(e) par les modèles PROCLIMB, vêtements techniques éco-conçus pour sportifs outdoor de la marque Masherbrum ? Profitez de la campagne de prévente de la collection sur Kiss Kiss Bank Bank jusqu’au 20 juin en cliquant ici

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser  (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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