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Pierre Grateau (E10) : « Nos voiliers-cargos réduisent drastiquement notre impact environnemental »

Interviews

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24/01/2024

Après avoir développé une start-up dans la tech, Pierre Grateau (E10) change de cap et lance une flotte de voiliers-cargos sous la bannière Hisseo. Ambition : réduire l’impact environnemental du transport maritime de marchandises.  

ESSEC Alumni Quel est l’impact du transport maritime de marchandises dans le monde ? 

Pierre Grateau : Le fret maritime représente 90 % du transport de marchandises avec des impacts environnementaux significatifs – et souvent méconnus. D’abord, il émet beaucoup de carbone : 3 % des émissions mondiales, soit l’équivalent d’un pays comme l’Allemagne, part qui pourrait de surcroît tripler d’ici 2050 selon l’ADEME. Constat similaire côté particules fines, qui causent 60 000 décès prématurés dans les villes portuaires, et côté biodiversité, avec pollution de l’eau, collisions qui affectent de nombreuses espèces maritimes et pollution sonore qui perturbe la communication des cétacés. Sans oublier l’impact social, souvent ignoré : 2/3 des navires exercent sous pavillon de complaisance, les marins travaillent dans des conditions au rabais… 

EA : Face à cette situation, quelle solution proposez-vous ? 

P. Grateau : Je suis en train de lancer Hisseo, compagnie maritime de voiliers-cargos modernes, pionnière en Méditerranée ! Avec le vent comme moteur principal, on diminue drastiquement l’impact sur le climat, les particules fines et la biodiversité. À ce jour, il s’agit de la solution la plus mature pour décarboner le fret. 

EA : Un voilier-cargo peut-il atteindre le même niveau de performance qu’un cargo thermique ? 

P. Grateau : Grâce au transfert de technologies issues de la course au large (matériaux, routage, design), les voiliers-cargos peuvent évoluer à de bonnes vitesses (7,8 nœuds dans notre cas) et offrir des garanties de temps de transit compétitifs. Mais certaines contraintes matérielles (tailles des voiles notamment) impliquent que cette solution ne pourra jamais concurrencer les immenses porte-conteneurs sur la capacité de charge : ces derniers peuvent embarquer jusqu’à 200 000 tonnes de marchandises quand nous plafonnons à 100. 

EA : Dans cette mesure, le voilier-cargo constitue-t-il vraiment une solution viable pour réduire l’impact du transport maritime de marchandises ?

P. Grateau : Comme dans beaucoup d’autres secteurs, la transition vers un modèle réellement vertueux doit conjuguer alternatives plus propres et effort de sobriété, qui passe dans ce domaine par la diminution des volumes transportés, c’est-à-dire par la relocalisation de certaines activités.

EA : Aujourd’hui, quel est le stade de développement du secteur des voiliers-cargos ? 

P. Grateau : Le secteur est en ébullition comme en témoigne la dernière édition du salon Wind for Goods, qui a rassemblé des milliers de professionnels et de citoyens, et le succès d’opérateurs comme Grain de Sail, qui ont déjà ouvert des lignes transatlantiques et fait la preuve de leur viabilité économique avec des chargeurs d’envergure comme Biocoop, Hennessy, Ariane ou encore Michelin. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à comprendre l’intérêt de cette approche qui leur permet à la fois d’adopter une démarche cohérente sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement et d’améliorer leur image de marque avec une action de décarbonation visible.  

EA : Et quelles sont les perspectives du secteur dans les années à venir ? 

P. Grateau : D’autres projets emblématiques comme Windcoop sont en train de boucler leurs levées de fonds, le nombre de voiliers-cargos va être démultiplié dans les prochaines années ! J’en suis d’autant plus convaincu que les coûts du fret classique risquent d’exploser à moyen terme sous l’effet combiné de l’augmentation du prix des énergies fossiles et de la taxation des émissions. 

EA : La France est une grande puissance maritime. Ce poids historique nous donne-t-il un avantage dans ce domaine ?

P. Grateau : Des projets voient le jour aussi dans les pays du nord de l’Europe et aux États-Unis. Mais la filière française a de fait une vraie longueur d’avance grâce à son expertise en matière d’industrie nautique et de course au large. Reste cependant à transformer l’essai : comme souvent, le passage à l’échelle ne pourra aboutir sans investissements massifs, privés comme publics. 

EA : Dans ce contexte, quelle est votre stratégie de développement ? 

P. Grateau : Nous voulons lancer la filière du transport vélique sur la façade maritime sud de la France. Objectif à court terme : financer un premier bateau (5 M €) pour faire la preuve du modèle en Méditerranée avant de créer une flotte à part entière. 

EA : Vous avez déjà créé une première entreprise (AssoConnect) mais dans un tout autre domaine. Concrètement, comment avez-vous opéré cette reconversion ?

P. Grateau : Je viens effectivement de la tech, un secteur nettement moins « physique » ! J’apprends beaucoup auprès de mes associés, qui sont pour leur part issus de la voile et de la marine marchande, et des experts dont nous nous sommes entourés : le grand navigateur Francis Joyon et une équipe d’architectes navals référente en la matière.

EA : Vous avez en outre adopté le statut de société coopérative d’intérêt collectif. Pourquoi ce choix ? 

P. Grateau : Ce statut qui allie ambition économique et utilité sociale nous paraît la forme juridique la mieux adaptée aux enjeux actuels. Toutes les parties prenantes sont représentées dans la gouvernance, notamment les collectivités et les citoyens, ce qui nous permet d’aligner les intérêts de l’ensemble des acteurs, condition nécessaire pour apporter une réponse adéquate à cet enjeu majeur de transition. 

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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