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Reflets Mag #144 | Véronique Bédague (E87), DG de Nexity : « Faire du bas-carbone à un prix abordable »

Interviews

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31/08/2022

En couverture de Reflets Mag #144, Véronique Bédague (E87), DG de Nexity, raconte comment elle est passée de la haute fonction publique – Matignon, FMI, mairie de Paris – à la tête du leader français de la promotion et des services immobiliers, avec 8 200 collaborateurs, 1 million de clients et 4,6 Mds € de chiffre d'affaires en 2021. On vous met l’article en accès libre… abonnez-vous pour lire les prochains numéros !

Reflets Magazine : Vous avez rejoint Nexity il y a cinq ans et en êtes devenue la directrice générale il y a un peu plus d'un an. Pourquoi avoir quitté la haute fonction publique après y avoir passé une bonne trentaine d'années ?

Véronique Bédague : Après trois années extrêmement denses comme directrice de cabinet du Premier ministre Manuel Valls, une expérience très marquante au cœur de l'État, j'ai eu envie de « rejouer », comme disent les Américains, et de provoquer un tournant décisif dans ma carrière. Au lendemain de mon départ de Matignon en 2017, j'ai sorti la liste des entreprises du SBF 120, et j’ai sélectionné toutes celles qui avaient un lien avec la fabrique de la ville. J'ai alors rencontré plein de grands patrons, dont Alain Dinin, le PDG et fondateur de Nexity, qui est une personnalité hors normes. Il porte une vision de l'entreprise où le risque est en permanence au centre du jeu, avec la conviction qu’une entreprise qui gagne n’a pas de sens dans un monde qui perd. Je partage totalement ce point de vue, et l’utilité sociale et sociétale de Nexity fait une vraie différence. L’alignement entre nos mots et nos actions nous donne une force extraordinaire, nos collaborateurs y sont très attachés. Dans un secteur de cycles longs comme le nôtre, nous avons une véritable responsabilité par rapport à la manière dont les gens vont vivre demain.

RM : Et vous voilà arrivée chez Nexity en tant que secrétaire générale…

V. Bédague : D'abord en charge de la transformation et des ressources humaines, mais Nexity est une entreprise sans organigramme, très darwinienne, dans laquelle on prend les places que l'on a envie de prendre en fonction de ses compétences. C'est ainsi que j'ai rapidement pris la responsabilité de nos activités au service des « Collectivités », parce que j'ai pu démontrer à plusieurs reprises que j'avais un vrai réflexe et de l’acuité sur leurs besoins. Je me suis ensuite vu confier les activités au service des « Entreprises », avant d'être nommée directrice générale déléguée du groupe. À la suite de la dramatique disparition de Jean-Philippe Ruggieri, victime du COVID-19 en avril 2020, Alain Dinin a repris les pleines fonctions de PDG de Nexity, et un an après j’ai été nommée directrice générale, en mai 2021.

RM : Qu'est-ce qui distingue Nexity de ses concurrents dans le secteur de la promotion et des services immobiliers ?

V. Bédague : Nous sommes une véritable plateforme de services, présents sur tous les métiers de l'immobilier : aménagement, promotion, gestion, syndic, exploitation, résidences étudiantes, coworking… C’est ce qui fait notre singularité sur le marché. L’impératif écologique pour une ville durable suppose que l'on s'attaque au flux, c'est-à-dire à la construction de logements neufs. Mais en réalité, il reste infime par rapport au stock de logements existants. Nos activités de syndic nous permettent ainsi de travailler sur le stock qui représente quelque 36 millions de logements. Ensuite, nous portons historiquement dans notre ADN un engagement pour la ville inclusive. 

RM : Comment se traduit cet engagement ?

V. Bédague : Un tiers de notre production porte sur le logement social. Nous défendons l'idée que tout le monde puisse avoir accès au logement, à un coût abordable. Nous disposons également d'une fondation, la Fondation Nexity, extrêmement engagée sur l'accès au logement bien sûr, mais de plus en plus tournée vers les jeunes. Nous avons par exemple très largement ouvert les portes de l'entreprise aux stagiaires de troisième issus des quartiers défavorisés. Cela nous permet de leur faire découvrir l'ensemble de nos métiers, et cela nous a même conduits à créer deux CFA pour former les jeunes générations à nos métiers. 

RM : Il y a quatre ans, vous avez aussi lancé une activité « non profit » pour vous engager encore davantage dans la voie de la solidarité…

V. Bédague : Créer des pensions de famille sans réaliser de marge, pour un groupe coté en bourse, il fallait oser ! Nos pensions accueillent des personnes en situation de grande précarité qui sortent de la rue. On leur redonne un lieu de vie, dans des collectifs à taille humaine de 10 à 20 logements. Nous confions l’exploitation à de grandes associations dont nous sommes partenaires. Aujourd'hui, nous avons environ 1 000 logements en cours de développement sur l'ensemble du territoire, en partenariat avec les collectivités qui souhaitent s'engager à nos côtés. Notre entreprise est très engagée, c’est évidemment une grande fierté pour nous et nos collaborateurs, mais cela répond aussi à un vrai enjeu d’utilité pour mieux vivre ensemble.

RM : Et en ce qui concerne le développement durable ?

V. Bédague : C'est un virage que nous avons pris il y a une bonne dizaine d'années déjà, ce qui fait aujourd'hui de nous le premier promoteur bas-carbone de France. C'est un engagement sur lequel je souhaite que nous allions plus vite, plus fort, notamment sur la partie promotion. En mai dernier, j'ai proposé à l'assemblée générale un « Say on Climate and Biodiversity » qui vise à l'horizon 2030 des objectifs 10 % plus ambitieux que ce que nous impose désormais la réglementation française, réglementation pourtant très exigeante mais que je souhaite que nous dépassions d'ores et déjà. La résolution a été adoptée par près de 88 % de nos actionnaires, ce qui représente un véritable soutien à notre trajectoire carbone rehaussée. 

RM : Quelle place pour la rénovation énergétique dans ces ambitions ? 

V. Bédague : Nous sommes très investis sur ce sujet, grâce à notre savoir-faire en matière de syndic de copro. Nous avons 300 dossiers à l’étude avec la volonté d'identifier au plus près les travaux à réaliser et de trouver des financements pour le compte des copropriétaires. C'est un chantier immense qui ne va cesser de croître, puisqu'à partir de 2025 la loi Climat et résilience ne permettra plus la location d'un certain nombre de logements dits « passoires thermiques ». Nous aidons les propriétaires qui nous ont confié leurs biens à prendre ce virage, ce qui nous distingue là encore de la plupart de nos concurrents. De ce point de vue, le métier a beaucoup changé ; il y a encore trois ou quatre ans, lorsqu'un immeuble d'habitation n'était pas très correct, on rasait tout et on reconstruisait. Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus exigeants sur ces sujets-là, et j'insiste sur le fait que notre activité repose désormais à la fois sur le logement neuf et sur le rénové, c'est en réalité très fluide.

RM : Quid du bas-carbone dans vos projets ?

V. Bédague : C'est une question centrale, notre principal objectif aujourd'hui est de faire du bas-carbone à un prix abordable, que ce soit en neuf, en rénové ou en rénovation énergétique. Cela fait déjà quelques années que nous produisons des logements bas-carbone moins chers que le standard – il s'agit de constructions en bois et béton en 2D. C'est donc parfaitement faisable, mais cela oblige à une véritable innovation de rupture et à une révolution des modes constructifs.

RM : Comment, selon vous, va-t-on habiter notre territoire dans les 20 ou 30 années à venir ?

V. Bédague : Je crois que nos concitoyens vont être de plus en plus exigeants sur les questions d'habitat, ce qui est une bonne nouvelle. Cela passe évidemment par une offre de logement durable, mais aussi par davantage d'habitats collectifs dans une ville plus dense. À nous d'offrir des espaces verts en pied d’immeubles, à nous d’imaginer des espaces où jardiner, où bricoler, à nous de rendre désirable la ville dense. Ce sentiment d’apaisement dans la ville dense passe aussi par un espace public totalement repensé, avec l’exigence d’une ville belle. C’est à cette condition que les villes denses seront acceptables ! Le geste architectural est primordial, il doit être beau et courtois avec l'environnement !

RM : L'inflation et la hausse des taux d'intérêts ne risquent-elles pas d'entraîner un problème de solvabilité de la demande ?

V. Bédague : Je pense que c'est déjà le cas aujourd'hui, surtout pour les jeunes et les primo-accédants que l'on voit sortir du marché. C'est en revanche moins vrai pour les investisseurs qui ont beaucoup épargné pendant les plus de deux ans de crise du COVID-19. Ma préoccupation reste un sujet d'offre, les besoins sont immenses et cela fait trop longtemps que l'offre est largement insuffisante. Si l'on en croit les chiffres de l'INSEE, nous allons devoir faire face à la demande de logements de trois millions de nouveaux ménages d'ici à 2040, auxquels il faut ajouter les trois à quatre millions de Français mal logés et les deux millions de personnes qui réclament des logements sociaux, sans parler des conséquences de la loi Climat et résilience que j'évoquais précédemment. Notre conviction est que nous avons besoin de 500 000 nouveaux logements chaque année contre environ 350 000 produits aujourd'hui, et cela fait longtemps que cela dure. Je rappelle que l'offre de logements neufs a chuté de 20 % au cours du premier trimestre de cette année, à cause de l'insuffisance du nombre de permis de construire et un peu aussi à cause des premiers effets de la guerre en Ukraine, en raison des renégociations de marchés de travaux. Donc avant de parler de problème de demande, réglons déjà celui de l'offre.

RM : Quel a été l'impact de la crise sanitaire sur l'immobilier de bureau ?

V. Bédague : Cette crise a complètement redéfini le rôle du bureau et surtout le rôle du management. Le management que je qualifierais de contrôlant a presque totalement disparu, ce qui réclame plus de confiance et plus de courage de la part du manager qui doit continuer à organiser le travail, une transition pas toujours simple. Chez Nexity, nous avons organisé une conférence pour notre Top Management, « Oxygen », qui interroge sur les grandes composantes d'un management adapté aujourd'hui. Pour ce qui est du rôle du bureau, une bonne partie des entreprises doivent à nouveau attirer leurs collaborateurs dans leurs locaux, un processus déjà largement enclenché. Aujourd'hui, le siège social doit raconter l'histoire de l'entreprise, dire son ADN. Le futur siège de Nexity à Saint-Ouen racontera notre histoire. Un visiteur devra immédiatement comprendre qui nous sommes et ce que nous faisons. Notre siège sera « ouvert » et en osmose avec la ville. Je suis intimement convaincue que le bureau est un accélérateur de transformation, juste derrière le management, et qu’il transforme la culture de l'entreprise presque naturellement.

RM : Est-ce dans ce cadre que Nexity et The Boson Project ont signé un partenariat stratégique il y a deux ans ?

V. Bédague : C'est en effet pour apporter des solutions d'accompagnement à la transformation des entreprises et mettre l'excellence humaine au cœur des espaces de travail. The Boson Project est un cabinet de conseil que j'aime beaucoup, fondé par Emmanuelle Duez (E12), qui travaille sur la transformation des entreprises afin qu'elles soient plus centrées sur leur capital humain, complètement alignées sur leurs collaborateurs, en cherchant à comprendre ce qu'ils attendent de cette transformation. Emmanuelle nous accompagne sur notre projet de déménagement. À charge pour nous de faire de l'aménagement ou de la réhabilitation à partir des avis qu’elle et ses équipes ont pu recueillir auprès des collaborateurs au sein de l'entreprise concernée par la transformation.

RM : On ne résiste pas à vous demander si vous avez été approchée pour succéder à Jean Castex au poste de Premier ministre…

V. Bédague : Je suis et je reste directrice générale de Nexity. J'adore cette entreprise, elle a du tempérament. Je vis une transmission extrêmement généreuse de la part d'Alain Dinin, qui le fait avec beaucoup de détermination, d'élégance et de bienveillance. C'est un exemple extrêmement rare sur le marché.

RM : Et d'être une femme dans cet univers-là, à ce poste-là ?

V. Bédague : Je ne me suis jamais posé la question. Je pense que c'est plutôt un atout aujourd'hui.

RM : Pour conclure, quelques questions sur l’ESSEC et vous. Après Sciences Po Paris, pourquoi avoir choisi l'ESSEC ?

V. Bédague : Je venais de rater le concours d'entrée à l'ENA, donc après Sciences Po je suis partie travailler pendant quelques mois. Mais je me suis vite rendu compte qu'il me fallait un bagage académique plus conséquent pour faire des choses vraiment intéressantes. Si j'ai choisi l'ESSEC, c'est parce que l'école était très complémentaire de Sciences Po, plus à l'américaine, très ouverte à la variété des profils, un vrai mixte de population très intéressant. L'ADN de l'ESSEC était d'encourager et de développer ce que chacun avait de mieux à offrir. Il y avait cette liberté-là, qui me paraissait moins académique que dans d'autres écoles de commerce, donc ce fut un vrai choix. Cela m'a peut-être aidée à finalement entrer à l'ENA…

RM : Quels souvenirs conservez-vous de la vie à l'école ?

V. Bédague : Excellents, j'ai franchement adoré l'école. Je signale entre parenthèses que j'ai vraiment travaillé tout au long de mon cursus, il semblerait que ce n'ait pas été le cas pour tout le monde (rires), mais j'étais partie sur un cursus de finances donc plutôt chargé en travail. La vraie richesse de mon passage à l'ESSEC, c’est tous les gens que j'y ai rencontrés. La diversité est définitivement une richesse. Nos regards sur la vie, sur la société, sur l’économie, étaient tellement différents que j’en ai tiré un apprentissage qui me sert encore beaucoup aujourd’hui.

RM : Avez-vous gardé des contacts avec l’école ?

V. Bédague : Oui, absolument ! Nous avons d’ailleurs chez Nexity quelques dirigeants issus de l’ESSEC et j'aimerais bien que nous en recrutions davantage, cela ne nous ferait pas de mal ! Et puis je rappelle que Nexity finance la chaire Workplace Management de l'ESSEC ; il s'agit d'un partenariat évident pour moi, d'abord destiné à renforcer nos relations avec l'école, mais aussi parce que le workplace management constitue un réel enjeu stratégique pour la plupart des entreprises et qu'il mérite une véritable recherche académique.

 

Propos recueillis par François de Guillebon, rédacteur en chef de Reflets Mag

Paru dans Reflets Mag #144. Pour voir le numéro, cliquer ici. Pour recevoir les prochains numéros, cliquer ici.

 

Image : © Frédéric Éric Legouhy / Nexity

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