Reflets Mag #146 | « La France fait partie des pays pionniers de l’économie circulaire »
Reflets Mag #146 consacre un dossier à l’économie circulaire. En introduction, une interview de Pierre-Emmanuel Saint-Esprit (E16), directeur économie circulaire du groupe Manutan, co-fondateur de la Chaire Global Circular Economy de l’ESSEC, président du think tank EC2027 – Un quinquennat pour l’économie circulaire, administrateur de l’Institut National de l’Économie Circulaire, ambassadeur du Mouvement Impact France… Autant dire qu’il connaît son sujet ! Découvrez un extrait de l’article en accès libre… et pour lire les prochains numéros, abonnez-vous !
Reflets Magazine : Concrètement, que recouvre l’économie circulaire ?
Pierre-Emmanuel Saint-Esprit : Historiquement, on tend à confondre l’économie circulaire avec le recyclage. L’économie circulaire désignerait ainsi une activité spécifique au bout de la chaîne de l’activité productive et distributive classique, visant à récupérer des produits en fin de vie pour les démanteler et tenter de réintroduire tout ou partie de la matière obtenue dans le système productif. Cette vision est non seulement réductrice mais néfaste. Elle constitue un alibi pour ne pas libérer le véritable potentiel de transformation écologique et sociale que recèle l’économie circulaire.
RM : Quelle définition préférez-vous retenir ?
P.-E. Saint-Esprit : Celle du ministère de la Transition écologique : l’économie circulaire consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources ainsi que la production des déchets. Elle ne se cantonne donc pas à un secteur d’activité : toute organisation peut mettre en place des processus plus circulaires, dans l’idée d’aboutir à une gestion plus responsable de la valeur.
RM : En quoi l’économie circulaire peut-elle s’avérer plus vertueuse que l’économie linéaire ?
P.-E. Saint-Esprit : Dans le système linéaire qui prédomine aujourd’hui, nous produisons des biens que nous jetons après les avoir utilisés. Ce fonctionnement incite à réduire la durée de vie des produits pour augmenter la fréquence des achats, principal levier pour maximiser le développement. Résultat : nous extrayons actuellement 100 gigatonnes de matières premières par an, contre 28,6 gigatonnes en 1972 selon le rapport Meadows. Or ce rythme frénétique ne laisse pas le temps aux ressources naturelles de se régénérer : nous consommons en ce moment l’équivalent d’1,7 planète par année. Et il contribue fortement au dérèglement climatique. L’association néerlandaise Circle Economy avance ainsi que 62 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (à l’exception de celles provenant de l’utilisation des terres et de la sylviculture) sont rejetées lors de l’extraction, du traitement et de la fabrication de biens destinés au marché, contre 38 % lors de leur livraison et de leur utilisation. En appliquant les principes de l’économie circulaire, nous pourrions réduire de 28 % l’utilisation des ressources naturelles et de 39 % les émissions de gaz à effet de serre.
RM : Où en est le développement de l’économie circulaire en France ?
P.-E. Saint-Esprit : La France fait partie des pays pionniers en la matière. Le concept d'économie circulaire a officiellement fait son entrée dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015. Celle-ci reconnaît la transition vers une économie circulaire comme un objectif national et comme l’un des piliers du développement durable. Le texte fixe en outre des objectifs ambitieux, comme celui d’une augmentation de 30 % d’ici 2030 du rapport entre le PIB et la consommation intérieure de matières.
RM : Sans oublier, bien sûr, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire…
P.-E. Saint-Esprit : La loi AGEC, promulguée le 10 février 2020, se décline autour de cinq grands axes. Premier axe : sortir du tout jetable, avec notamment l’interdiction du plastique à usage unique. Deuxième axe : mieux informer les consommateurs, avec en particulier la création d’un indice de réparabilité sur les produits électroménagers et électroniques. Troisième axe : lutter contre le gaspillage et pour le réemploi solidaire, avec entre autres l’interdiction de la destruction des invendus non alimentaires. Quatrième axe : agir contre l’obsolescence programmée. Et cinquième axe : mieux produire.
RM : Quels effets ont eu ces lois ?
P.-E. Saint-Esprit : Nous n’en sommes encore qu’aux prémices : un tiers des invendus non-alimentaires restent par exemple détruits chaque année, alors que la loi AGEC prohibe désormais cette pratique. Car, malgré l’effort réglementaire, le lien entre économie circulaire et réduction des émissions ne s’est pas encore imposé dans le débat public. En témoignent les réponses politiques proposées aux pénuries liées à la guerre en Ukraine : nous n’avons entendu parler que de sobriété énergétique… On aurait aussi pu réviser nos choix de consommation au profit de produits à moindres émissions.
RM : À quels obstacles l’économie circulaire continue-t-elle de se heurter ?
P.-E. Saint-Esprit : J’en citerai trois principaux. D’abord, le manque de référentiel commun pour évaluer la circularité. Nous avons des normes comptables, pourquoi ne pas développer la même chose pour mesurer la viabilité d’un produit ou d’un service en termes de ressources disponibles ou d’émissions induites ? Nous pourrions notamment nous inspirer de la méthode CARE qui applique les normes comptables traditionnelles du capital financier aux capitaux naturels et humains afin d’intégrer la dégradation de ces derniers dans les résultats des entreprises. ISO travaille actuellement avec plus de 90 pays sur ce sujet.
RM : Quel est le deuxième obstacle ?
P.-E. Saint-Esprit : L’interdépendance des acteurs économiques génère une certaine inertie de l’innovation circulaire. Nous le constatons en ce moment dans le cadre de la chaire Global Circular Economy de l’ESSEC : nous réfléchissons avec notre mécène Bouygues à un nouveau modèle économique de vente d’un bâtiment ; or nous devons convaincre une banque, un assureur et un producteur de matériaux avant de pouvoir tester le modèle ; un travail d’alignement d’autant plus fastidieux qu’il induit une prise de risque pour les parties prenantes, dans un contexte de crise et d’inflation.
RM : Et le troisième obstacle ?
P.-E. Saint-Esprit : Les leviers de l’économie circulaire se retrouvent le plus souvent entre les mains d’opérateurs extérieurs, moins intéressés à leur efficacité que ne le seraient les acteurs du marché s’ils les intégraient à leurs modèles. Prenons le système de collecte des produits usagés, appelé système des filières REP (pour responsabilité élargie du producteur). Celui-ci repose sur des éco-organismes pour une bonne part des produits mis sur le marché – c’est-à-dire sur une société de droit privé détenue par les producteurs et les distributeurs et chargée de gérer la fin de vie des équipements que ces derniers mettent sur le marché. Or cette externalisation ne porte manifestement pas ses fruits : par exemple, le taux de collecte des déchets électroniques ménagers atteint difficilement 52 % et celui des déchets électroniques professionnels seulement 27 % alors que la réglementation européenne exige 85 %. Sans parler du taux de réemploi, pourtant bien plus vertueux en termes d’émissions de CO2 que le recyclage… Selon moi, il serait beaucoup plus efficace que les entreprises internalisent la collecte, le reconditionnement ou la réparation de leurs produits.
RM : Comment lever ces obstacles ?
P.-E. Saint-Esprit : [suite de l’article à découvrir dans Reflets Mag #146]
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
Paru dans Reflets Mag #146. Voir le preview du numéro. Recevoir les prochains numéros.
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