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Anne-Séverine Menjon (C94), fondatrice de l’école Talentiel : « Nous aidons les enfants précoces et leurs familles »

Interviews

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13/02/2019

Anne-Séverine Menjon (C94) a créé Talentiel, école destinée aux enfants précoces qui n’arrivent plus à s’adapter au système scolaire traditionnel, pour les aider à reprendre goût aux apprentissages et à retrouver leur confiance en eux-mêmes. Aujourd’hui, elle cherche des fonds pour pouvoir continuer à assurer cette belle mission. Rencontre.

ESSEC Alumni : Comment le projet de Talentiel est-il né ?

Anne-Séverine Menjon : À la naissance de mon premier enfant, j’ai décidé de quitter mon métier de cadre commercial et de me reconvertir en professeur des écoles dans l’Éducation nationale. J’ai ainsi enseigné pendant 5 ans en milieu rural et en ZEP, où j’ai pu constater l’écart entre les acquis de mon fils et les programmes scolaires prévus pour sa classe. Un bilan psychologique complet a permis de déceler sa précocité et de faire accepter un premier saut de classe en maternelle. Malheureusement, son hypersensibilité et son avance ont été très mal comprises par son enseignante. Après une année difficile pour lui, et la naissance de mon deuxième enfant, j’ai décidé de me mettre en disponibilité et de rejoindre la première école primaire pour enfants précoces qui se créait en France, dans le Val d’Oise. Et après 4 années, j’ai choisi de créer mon propre établissement, d’autant que mon second garçon avait à son tour besoin d’une structure adaptée à la précocité.

EA : Quels étaient vos objectifs en lançant Talentiel ?

A.-S. Menjon : Je souhaitais aider des enfants précoces, n’arrivant plus à s’adapter au système scolaire traditionnel, à reprendre goût aux apprentissages et à retrouver leur confiance en eux-mêmes. L’idée partait d’un paradoxe, toujours d’actualité : en France, deux tiers des enfants à haut potentiel sont en souffrance à l’école, et certains sont même déscolarisés dès le plus jeune âge. D’autres sont en réussite scolaire, mais restent très isolés, car incompris. Un vrai gâchis.

EA : Concrètement, comment vous y êtes-vous prise pour ouvrir votre propre école ?

A.-S. Menjon : Créer une école en France est un parcours du combattant que seules les personnes très motivées peuvent mener à son terme – ce qui est rassurant ! Il faut montrer patte blanche non seulement auprès de l’Éducation nationale, mais aussi du préfet, du procureur de la République, du maire, des pompiers, de la DDE… Bref, les démarches prennent au minimum six mois. Talentiel a donc vu le jour pour la rentrée de septembre 2008. La première année, elle a accueilli 15 élèves du CP au CM2, dans mon pavillon ! Une journaliste de France 2 l’avait surnommée « l’école en pantoufles »…

EA : Dix ans plus tard, quel bilan tirez-vous des activités de Talentiel ?

A.-S. Menjon : En tout, 198 enfants sont passés par Talentiel. 92 % d’entre eux sont repartis dans le système scolaire classique et sont heureux.

EA : Quels sont les fondements de la pédagogie que vous avez développée ?

A.-S. Menjon : Notre pédagogie, désormais déposée à la Société des Gens de Lettres, consiste à prendre l’élève dans sa globalité. Nous ne lui donnons pas simplement des cours, nous lui apprenons aussi à nommer ses émotions, à les gérer, et à résoudre ses conflits de tous les jours. Nous pouvons également mettre en place un suivi en orthophonie, orthoptie, graphothérapie si nécessaire.

EA : Respectez-vous le programme de l’Éducation nationale ?

A.-S. Menjon : Bien sûr, puisque les élèves doivent pouvoir repartir de Talentiel ; cependant il n’est pas amené de la même façon. Les enfants à haut potentiel ont besoin d’avoir une vue globale au préalable, avant de pouvoir aller dans le détail. L’enseignement en mathématiques et en français est personnalisé. Chacun va à son rythme en fonction de ses besoins. Un enfant de CM1 peut ainsi faire de la numération de CM2, des mesures de CM1 et de la géométrie de CE1, car toutes les bases sont à reprendre.

En outre, notre enseignement part du principe que pour pouvoir apprendre quelque chose, il faut le comprendre. Évidence qui n’est pas toujours prise en compte ailleurs… Beaucoup de sorties scolaires sont donc programmées avec pour visée de donner du sens à ce qui vient d’être étudié. Les matières « classiques » sont approfondies par des exposés et des rencontres avec des conférenciers. Et d’autres matières plus originales sont proposées, comme le théâtre et le bridge.

EA : Ce ne sont pas les seul enseignements atypiques que vous dispensez… 

A.-S. Menjon : Effectivement, nous accordons aussi une grande place à l’apprentissage de la citoyenneté, avec des actions autour du devoir de mémoire (participation aux commémorations, visite des Invalides), de la solidarité, de la République (visite de la mairie), de l’écologie (labellisation Eco-Ecole avec des projets pour le développement durable et la planète confiés aux élèves)… Le passage du diplôme de secouriste PSC1 s’inscrit également dans cette optique.

EA : Talentiel est restée une petite structure. Par choix ?

A.-S. Menjon : Tout à fait. Il est impossible de proposer un bon accompagnement autrement. Nous tenons à personnaliser notre approche au cas par cas. Cela demande du temps et de la disponibilité. D’autant que nous n’aidons pas seulement les enfants ; nous apportons aussi un soutien à toute la famille. J’ai ainsi passé la certification en Discipline Positive, approche développée par Jane Nelson il y a plus de 50 ans aux États-Unis, qui vise à outiller les parents pour qu’ils élèvent leurs enfants avec bienveillance et fermeté.

EA : La prise en charge des enfants précoces a-t-elle évolué en France depuis que vous avez fondé Talentiel ?

A.-S. Menjon : Je dirai oui et non. Oui car, en ce qui concerne le Val d’Oise par exemple, un inspecteur et un psychologue sont maintenant en charge des enfants intellectuellement précoces. Je m’interroge néanmoins sur le fait que cet inspecteur est aussi celui qui gère les enfants handicapés…
Et non car sur le terrain il reste de très nombreux enfants en souffrance, qui continuent à s’ennuyer en classe et à se sentir rejetés par les autres. La proportion qui arrive à Talentiel ayant été harcelée fait peur. À la décharge de mes collègues enseignants dans le public ou le privé sous contrat, quand vous avez 30 élèves au primaire dans une classe, vous faites de votre mieux.

EA : Comment envisagez-vous l’avenir de Talentiel ?

A.-S. Menjon : À la rentrée de septembre 2018, nous avons emménagé dans des locaux neufs construits dans un quartier intergénérationnel, aboutissement de 6 ans de projet avec la mairie de Vauréal. Il faut encore que je stabilise cette nouvelle implantation. Or mon modèle économique est fragile, car je remets les enfants dans l’Éducation nationale dès qu’ils vont bien ; donc tous les ans, près de la moitié des élèves repartent et je dois en trouver autant à intégrer. Une équation d’autant plus complexe que pas moins de 6 écoles se sont récemment ouvertes dans un rayon de 15 minutes autour de mon établissement, proposant toutes des pédagogies alternatives (souvent dites Montessori, elles ne sont pourtant pas reconnues par l’assocation Montessori France). Mais hors de question de baisser les bras. Au contraire, j’envisage plutôt d’ouvrir d’autres écoles Talentiel en France, toujours dans le cadre de quartiers intergénérationnels.

EA : Comment la communauté des alumni peut-elle soutenir vos activités ?

A.-S. Menjon : Ma préoccupation première aujourd’hui est de lever des fonds pour le Fonds de Solidarité de Talentiel. Pour l’année scolaire 2018-2019, nous avons pu aider 11 familles à hauteur de 13 000 € au total. Nous souhaitons pouvoir faire davantage. Je suis donc à la recherche de mécènes ou de grands donateurs. Talentiel est une association reconnue d’intérêt général et peut, à ce titre, émettre des reçus fiscaux. N’hésitez pas, téléchargez notre bulletin de don dès maintenant !

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

 

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