Francis Belin (E95) : « La compétition est féroce sur le marché de l’art asiatique »
Après plus de 10 ans dans la joaillerie en Asie, Francis Belin (E95) a rejoint la maison de vente aux enchères Christie’s à Hong Kong, où il a connu une ascension fulgurante jusqu’au poste de Président Asie Pacifique. Il nous dévoile les coulisses du marché de l’art local.
ESSEC Alumni : Comment êtes-vous passé de la joaillerie à l’art ?
Francis Belin : La transition n’a pas été naturelle. Je ne venais pas du cénacle, je n’avais pas beaucoup de connaissances en art… J’étais seulement animé par l’envie – l’envie de travailler avec des collaborateurs passionnés et passionnants, l’envie de rejoindre une belle maison dans une industrie pleine d’avenir à un poste d’envergure internationale. Ceci étant ce n’est pas la première fois que je change radicalement d’environnement professionnel. Il y a 10 ans, je quittais déjà McKinsey en France pour Richemont au Japon, alors que je ne connaissais ni le pays ni la langue ni les montres ni l’opérationnel.
EA : Votre expérience du luxe vous est-elle utile dans vos fonctions actuelles ?
F. Belin : Je retrouve un peu les mêmes clients. Mais la comparaison s’arrête là. Dans ce business, on source des objets finis auprès de clients qui ne veulent pas forcément les vendre. Rien à voir avec le fait de produire un objet et de le mettre dans un tuyau de vente…
Ceci étant, quand je prends un poste, je procède toujours de la même façon : je passe plusieurs semaines à échanger avec les collaborateurs pour comprendre leurs frustrations et leurs envies, pour identifier ce qu’on doit changer ensemble. La recette a fonctionné chez Christie’s comme ailleurs.
EA : Vous avez récemment été nommé Président Asie Pacifique. Que recouvre exactement ce poste ?
F. Belin : J’ai la responsabilité managériale de 11 départements d’art non-occidentaux : antiquités chinoises, peintures chinoises, art contemporain asiatique, antiquités japonaises et coréennes, antiquités indiennes, art moderne et contemporain indien, art africain et océanique également appelé art tribal, arts islamiques, tapis orientaux, art précolombien. Et j’anime l’ensemble de la région, soit un certain nombre de bureaux de représentation (Tokyo, Séoul, Shanghai, Pekin, Taiwan, Singapour, Bangkok, Jakarta…) en plus du siège à Hong Kong.
EA : Quelle est la stratégie de Christie’s en Asie ?
F. Belin : Notre principale opportunité, c’est de continuer à recruter de nouveaux clients en Chine continentale et en Asie du Sud-Est et de les faire sortir des seules catégories historiques de la région, pour les amener sur l’art contemporain moderne et impressionniste européen.
EA : Quelles sont les principales tendances du marché de l’art asiatique ?
F. Belin : Il y a une vraie dynamique avec l’augmentation du nombre de fortunes. Beaucoup de high net worth individuals voient comme un accomplissement personnel la possibilité d’acquérir des dizaines d’œuvres, voire même des centaines et d’ouvrir un musée. On voit ainsi émerger une nouvelle génération de collectionneurs, plus jeunes que leurs homologues occidentaux, qui se prennent de passion pour l’art, se sentent investis d’une mission. C’est une clientèle très particulière à gérer, très avertie, très sophistiquée. On ne peut pas lui parler en banquier d’affaires, on joue sur l’émotion et sur la confiance.
EA : L’Asie Pacifique est-elle un marché homogène ?
F. Belin : Certains pays sont des « vendeurs nets » : les Japonais par exemple ont collectionné de l’art chinois classique à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, puis de l’art moderne et impressionniste, mais aujourd’hui leurs descendants revendent tout. À l’inverse, la Chine rapatrie depuis 20 ans les objets qui ont quitté le territoire par vagues à partir de la guerre de l’opium. De même, l’Asie du Sud Est achète énormément en ce moment – notamment des artistes locaux qui grâce à cet engouement prennent de la valeur et deviennent régionaux, voire bientôt peut-être internationaux. Hong Kong enfin achète autant qu’elle vend, et ce dans toutes les catégories, car c’est un marché très international.
EA : Quels sont les concurrents de Christie’s en Asie ?
F. Belin : La compétition est aussi féroce en Asie qu’en Europe ou aux États-Unis. Sur les arts asiatiques, on fait face à des maisons de vente et des marchands d’art chinois pour la plupart. Sur les arts occidentaux, on retrouve nos concurrents traditionnels : les grandes galeries internationales, les foires comme Art Basel Hong Kong, et bien sûr Sotheby’s.
EA : Les ventes en Asie gagnent-elles du terrain sur celles de New York et Londres ?
F. Belin : En 2018, les États-Unis représentaient 40 % du volume d’affaires pour Christie’s, l’Asie 25 %, l’Europe le reste. Les ventes en Asie restent focalisées sur l’art asiatique et les objets de luxe (vins, joaillerie, voitures…) tandis que celles de New York et de Londres gardent la primeur de l’art occidental. Les Asiatiques font le déplacement. Ainsi sur environ 2 milliards de $ de ventes aux Asiatiques par Christie’s en 2018, moins de la moitié s’est fait effectivement en Asie. Le reste est acheté par des clients asiatiques dans nos soirées de vente européennes et américaines.
EA : Pensez-vous retourner un jour en France ?
F. Belin : Je ferai en fonction des opportunités. Une chose est sûre : être occidental est moins un avantage en Asie. Le vivier de talents locaux s’est considérablement développé ces dernières années, et le niveau de compétence a augmenté drastiquement. La concurrence s’accroît, en défaveur des expatriés. En même temps, le nombre d’entreprises d’envergure mondiale qui localisent des fonctions globales en Asie, comme Schneider Electric, ne cesse d’augmenter, ouvrant de nouvelles opportunités de postes internationaux sur place. Tout reste possible.
EA : L’ESSEC et le réseau des alumni vous ont-ils aidé dans votre carrière en Asie ?
F. Belin : Je suis convaincu de l’utilité du réseau. Je veille moi-même à me rendre disponible. Par exemple, j’ai récemment été sollicité par une étudiante de l’ESSEC pour organiser une visite de Christie’s dans le cadre d’un voyage d’étude ; j’ai évidemment accepté. Je ne l’aurais pas fait pour une autre école.
EA : Quel conseil donnez-vous aux alumni souhaitant travailler en Asie ?
F. Belin : La compréhension de la culture et de la langue est devenue un prérequis, pas seulement un bonus. Cela permet à la fois de faciliter la communication et de montrer son degré d’engagement.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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