Luc Dagognet (E10) et Pierre Nicolas (E12) : « Notre revue publie des nouvelles inédites et étranges »
Luc Dagognet (E10) et Pierre Nicolas (E12) ont co-fondé L’Autoroute de Sable, revue littéraire trimestrielle qui propose à des auteurs contemporains de composer des nouvelles un peu curieuses sur des thèmes généralement étranges. Rencontre à l’occasion de la sortie du numéro 3, intitulé « Gros bisous ».
ESSEC Alumni : Pourquoi ce nom : L'Autoroute de Sable ?
Luc Dagognet : Il s’agit d’un hommage un peu déguisé à L’Autoroute du Sud, nouvelle de Julio Cortázar, et au Livre de Sable de Jorge Luis Borges. Pierre et moi partageons l’amour de la littérature étrangère, notamment argentine. Nous publions d’ailleurs des auteurs internationaux à chaque numéro.
Pierre Nicolas : C’est aussi un clin d'œil à une visite chez Luc, durant laquelle j’ai constaté que sa bibliothèque contenait des livres de dizaines d’auteurs d’Amérique du Sud, mais aucun du seul que je connaissais vraiment, Borges. Je lui en ai fait part, et en échange il m’a donné Cortazar. Pas les pires cadeaux que deux amis puissent s’offrir !
EA : Jusqu’ici, quelles thématiques avez-vous proposées aux auteurs invités dans votre revue ?
L. Dagognet : « La photocopieuse » dans le numéro 1, « Trois grenouilles » dans le numéro 2 et « Gros bisous » dans le numéro 3. C’est génial de voir comment chaque auteur s’empare du thème et l’emmène très loin dans son univers fou. La photocopieuse, par exemple, a servi à écraser des gens, à copier 1 000 fois le visage d’une femme perdue, à déclencher des enquêtes, à créer des cultes…
P. Nicolas : Le thème farfelu permet pour moi deux surprises successives à la lecture. Première surprise : celle liée au fait d’ouvrir d’un champ imaginaire vierge, moins rebattu que « La guerre », « Le frère » ou « La robe ». Deuxième surprise : celle liée au fait de découvrir que rien n’est tout à fait vierge, que les images proposées par les auteurs rallument des souvenirs, des idées – qu’en définitive, on entretient tous un passif complexe avec la photocopieuse… Cet enchaînement peut s’avérer carrément jouissif.
EA : Quels auteurs avez-vous mis en avant dans les premiers numéros ?
L. Dagognet : Nous avons notamment reçu des contributions de Grégory Le Floch (prix Wepler, prix Décembre), Laura Vazquez (prix Wepler), Amélie Lucas-Gary (éditions du Seuil) ou encore Antoine Mouton (Christian Bourgeois éditeur), ainsi que d’excellents auteurs internationaux comme Gonçalo M. Tavares (prix Saramago, l’un des plus grands auteurs portugais), Clemens Setz (Büchnerpreis) et Natalia Garcia Freire.
EA : Comment sélectionnez-vous vos auteurs ?
L. Dagognet : Assez simplement : ce sont des auteurs dont on a adoré les livres – donc très majoritairement déjà publiés – et qui ont un imaginaire très fort, s’amusent avec le langage, créent leur propre écriture. Un libraire nous a dit que nous convoquions une sorte de « nouvelle garde » dans nos pages.
P. Nicolas : D’ailleurs, si vous avez le numéro de téléphone d’Alain Damasio1 (E91), nous sommes preneurs !
EA : Quid de vos illustrateurs ?
L. Dagognet : Il faut ici saluer notre troisième larron, Pierre Orizet, le meilleur directeur artistique de l’univers d’après moi, qui gère tous les aspects visuels de L’Autoroute de Sable. Il sélectionne un artiste différent à chaque numéro. Tous ont en commun, là aussi, un imaginaire assez explosif.
EA : Parmi vos choix forts : vous publiez les versions originales de vos textes étrangers, en plus de leur traduction. Pourquoi ?
L. Dagognet : D’abord, par respect pour le texte original – qui a en outre l’avantage d’être court, donc on peut se le permettre. Ensuite, parce que c’est une façon de tisser un lien entre des littératures étrangères. Enfin, parce que nous pouvons compter parmi nos lecteurs des gens qui maîtrisent la langue originale, ou des amateurs de traduction qui ont envie de se gratter la tête.
EA : Autre choix : celui d'un format « livre de poche », plutôt inattendu pour une revue…
L. Dagognet : On voulait que notre revue soit lue, pas seulement feuilletée. On s’est inspiré d’une parution amie, Audimat, elle aussi purement textuelle – quoique consacrée à la musique.
P. Nicolas : Rappelons aussi que la numérisation de la littérature, bien qu’ancienne, n’a pas pris les mêmes proportions que celle de la musique ou du cinéma. La littérature reste un objet… même si on va s’épargner l’analyse sémiologique pour aujourd’hui.
EA : Comment L'Autoroute de Sable se positionne-t-elle parmi les revues littéraires françaises ?
L. Dagognet : Difficile à dire, il en existe tant – et toutes sont intéressantes. Ce qui nous différencie, c’est la loufoquerie relative du thème, ses différentes interprétations, et cette « nouvelle garde » d’auteurs qui nous suivent. Parmi lesquels certains sont devenus amis et contributeurs, comme Grégory Le Floch qui s’occupe désormais de la littérature italienne avec nous.
EA : Où peut-on se procurer L'Autoroute de Sable ?
L. Dagognet : Sur notre site et dans de nombreuses librairies (liste ici), partout en France et même en Belgique !
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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