Maxime Barbier (E06) et Btissam Chgoura (E14) travaillent tous deux chez blue nove, start-up de la civic tech chargée d’analyser les contributions libres du Grand Débat National. Ils expliquent comment ils comptent relever ce défi inédit.
ESSEC Alumni : Comment en êtes-vous venu à vous impliquer dans l’organisation du Grand Débat ?
Maxime Barbier : Notre entreprise bluenove est leader sur les questions d’intelligence collective massive. Nous avons une activité pour le compte des entreprises et sommes aussi fortement investis dans le domaine public et de la participation citoyenne. Nous outillons notamment des grandes consultations publiques citoyennes, comme par exemple pour le Ministère de la Transition écologique et solidaire sur les villes et territoires de demain.
Btissam Chgoura : En ce sens, nous faisons partie du mouvement des civic tech. Nous sommes spécialistes dans le traitement et la synthèse des contributions de masse. C’est à ce titre que nous avons été choisis par le gouvernement pour relever ce défi immense : analyser 500 000 pages de contributions, ce qui représente plusieurs millions d’idées !
EA : Quel rôle exact jouez-vous dans le Grand Débat ?
M. Barbier : Au sein d’un consortium d’acteurs réunissant également le cabinet de conseil en stratégie Roland Berger et Cognito, nous contribuons à organiser l’analyse et la restitution de l’ensemble des contributions issues des Rencontres d’Initiatives Locales (RIL), des cahiers citoyens (qu’on appelle aussi les cahiers de doléances) et des nombreuses contributions libres (mails, courriers, …) émises par les citoyens.
B. Chgoura : Plus spécifiquement, bluenove remplit plusieurs missions : structurer un référentiel d’analyse (organisation des contributions citoyennes en thèmes, sous thèmes, enjeux et propositions) ; documenter le processus méthodologique et notamment les choix qui sont faits en termes d’analyse ; s’assurer de la bonne indexation des contributions sur les propositions ou les enjeux ; proposer des axes d’analyse du corpus citoyen ; enfin, réaliser les analyses et les synthétiser.
EA : Avez-vous commencé l’analyse des contributions citoyennes ?
M. Barbier : La numérisation est encore en cours, car les préfets nous ont fait remonter les contributions il y a seulement quelques jours. Cette partie du travail est orchestrée par la BNF. De notre côté, nous travaillons par « batch » de données reçus. Nous venons de finaliser les analyses sur le premier batch, qui est celui qui a permis de construire le premier référentiel d’analyse.
EA : Sous quelle forme allez-vous restituer les contributions citoyennes ?
B. Chgoura : Il reste des points à arbitrer avec le gouvernement, mais deux approches sont d’ores et déjà prévues : d’une part, la production d’un référentiel qui organisera les contributions des Français par thèmes, sous-thèmes, problématiques, propositions concrètes ; d’autre part, la modélisation d’arbres de connaissances par type de source (cahiers de doléances, RIL…). L’ambition est en outre de rendre ces restitutions les plus accessibles possibles, et réutilisables.
EA : Quels garde-fous avez-vous mis en place pour garantir l’indépendance et la neutralité du traitement de ces données ?
M. Barbier : À l’échelle du Grand Débat National, 5 garants ont été nommés. Ils pilotent le processus d’analyse et valident la méthode en indépendance.
B. Chgoura : Par ailleurs, les analyses seront rendues publiques et les données ouvertes. Il s’agit d’en faire des biens communs.
M. Barbier : Notre souhait, c’est que la méthodologie soit documentée avec précision et partagée pour être réutilisée dans d’autres situations, à l’échelle nationale, voire à l’échelle européenne. Alors que les élections de l’UE approchent, la France se retrouve en pole position sur les questions de démocratie délibérative. Nous pensons que notre pays peut proposer à ses partenaires européen de nouvelles modalités de fonctionnement politique et citoyen directement inspirées et initiées par le Grand Débat National. Et nous sommes quoi qu’il en soit convaincus qu’il y aura un avant et un après Grand Débat. Le logiciel démocratique est en train d’être profondément revisité.
EA : Y a-t-il déjà eu des expériences ou initiatives similaires, en France ou à l’étranger ?
B. Chgoura : Ce que nous vivons collectivement reste une première mondiale. Jamais un débat d’une telle ampleur (et dans un temps si court !) n’a été organisé. Il y a déjà eu des initiatives du même type dans d’autres pays du monde – par exemple en Islande sur la co-rédaction de la Constitution du pays. Mais les contributions se comptaient « seulement » par dizaines de milliers. Là, nous parlons de millions de messages. Un seuil a été franchi. C’est totalement nouveau, et c’est pourquoi la meilleure alliance des technologies et de l’intelligence humaine est recherchée.
M. Barbier : Nous assistons à un mouvement de fond, qui traverse toute la société. Ainsi les entreprises ne sont pas en reste. Nous le constatons quotidiennement chez bluenove : depuis quelques années, et ça s’est accéléré ces derniers mois, nous accompagnons des entreprises comme EDF, Engie, la Société Générale ou la SNCF pour lancer de grandes démarches de dialogue interne, associant massivement les collaborateurs pour travailler sur la stratégie, la transformation de l’entreprise, la rénovation du modèle de leadership… Le Grand Débat existe aussi dans le monde du travail !
EA : À titre personnel, avez-vous participé au Grand Débat ?
B. Chgoura : Nous avons chacun contribué en ligne dès le début. Nous sommes persuadés que c’est une chance pour chacun de nous et pour la France. Sans surprise, nous avons notamment contribué sur le volet « citoyenneté », pour encourager les acteurs publics locaux et nationaux à s’intéresser aux civic tech et à adopter leurs approches pour tisser un nouveau lien en continu entre les citoyens et les élus.
M. Barbier : Même au sein de bluenove, on s’est prêtés au jeu du Grand Débat, en organisant un atelier. Mais un atelier un peu particulier, baptisé « Bright Mirror » en opposition à la célèbre série de Netflix Black Mirror, pour injecter une dose d’optimisme dans le Grand Débat. Le temps d’une soirée, une soixantaine de citoyens ont été imaginé des scénarios de fiction sur la démocratie et la participation citoyenne en 2050, avec une règle d’or : faire preuve d’optimisme ! Vous pouvez retrouver les fictions sur le site Bright Mirror, qui est le module de design fiction de notre technologie Assembl.
EA : Considérez-vous que l’ESSEC et les alumni ont un rôle particulier à jouer dans le Grand Débat ?
B. Chgoura : En tant que citoyens, oui bien sûr ! Il serait trop dommage de participer à la vie du pays uniquement lors des élections. On nous donne l’opportunité de nous exprimer, saisissons cette opportunité !
M. Barbier : Et en tant que décideurs économiques, plus encore ! Les ESSEC, toujours pionniers des nouvelles pratiques, peuvent être les instigateurs de Grands Débats au sein de leurs organisations, auprès de leurs collaborateurs, de leurs clients, et à terme auprès des citoyens aussi.
B. Chgoura : Prenons un exemple : une entreprise qui souhaite développer une nouvelle installation industrielle donnera plus de chance à son projet, en termes d’acceptabilité notamment, si elle prend mieux en compte les besoins des territoires et les attentes des populations. Cela passe par de nouvelles formes de concertations, notamment digitales. C’est l’émergence des « entreprises citoyennes », que nous accompagnons chez bluenove.
M. Barbier : Nous en sommes certains : le Grand Débat aura des impacts structurels pour les entreprises. Les collaborateurs sont aussi des citoyens, qui à ce titre vont vouloir de plus en plus s’impliquer, donner leur avis, participer aux décisions. Cette tendance, c’est justement l’une des conclusions majeures du premier baromètre de l’intelligence collective que bluenove a réalisé avec BVA en novembre 2018 : pour une grande majorité des Français, le développement des mobilisations citoyennes doit avoir un impact sur les attentes à l’égard des entreprises. On parle beaucoup d’un effet Grand Débat… Et si c’était d’abord dans les entreprises qu’on allait le sentir ?
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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Illustration : Btissam Chgoura (E14) et Maxime Barbier (E06)
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