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Barthélemy Héran (E19) : « Si Victor Hugo avait vécu aujourd’hui, il aurait été le meilleur des rappeurs »

Interviews

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02.13.2025

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Tous les jeudis soirs jusque fin avril, le comédien Barthélemy Héran (E19) joue Victor HuGOAT : N°1 du rap français à Paris. Un spectacle à la frontière entre le one-man-show, le concert de rap et la pièce de théâtre classique, qui s’amuse des parallèles étonnants entre « l’homme-siècle » et les stars de la musique urbaine contemporaine.

ESSEC Alumni : Comment êtes-vous passé de l’ESSEC au théâtre ?

Barthélemy Héran : Je nourrissais le rêve de devenir comédien depuis l’adolescence. À l’ESSEC, je justifiais d’ailleurs mes molles recherches de stage comme ça : « De toute façon, moi, à la sortie, je ferai du théâtre ! » Une fois diplômé, j’ai commencé un CDI en business developer dans une start-up, eXplain, en demandant un 4/5e pour suivre les cours du soir au Cours Florent et répéter durant mon jour libre. Puis le COVID est passé par là, ma boîte a dû se séparer d’une partie des effectifs... J’ai décidé de le prendre comme une bonne nouvelle : je pouvais finir mon école de théâtre à temps plein, c’était un signe ! De là, j’ai vite suffisamment travaillé, notamment en voix off, pour obtenir le statut d’intermittent du spectacle. Aujourd’hui, j’exerce ce métier depuis trois ans. 

EA : Que raconte votre nouveau spectacle Victor HuGOAT : N°1 du rap français ? 

B. Héran : Il s’agit d’un seul en scène que j’ai co-écrit avec mon ami et metteur en scène Grégoire de Chavanes – qui a d’ailleurs un parcours similaire : EDHEC, start-up à Londres, retour à Paris pour s’adonner au plaisir des planches… L’idée de départ : démontrer que si Victor Hugo avait vécu aujourd’hui, il aurait été le meilleur des rappeurs. Le résultat se situe à la frontière entre le one-man-show, le concert de rap et la pièce de théâtre plus classique. À l’origine du projet, deux passions : le rap et la littérature classique. Et une envie : faire un spectacle drôle, accessible, léger, mais où l’on apprenne des choses. Un spectacle pour les mordus de Victor Hugo comme pour celles et ceux qui n’y connaissent rien, pour les fans de rap comme pour celles et ceux qui pensent que ce n’est pas de la musique mais du bruit. On revisite ensemble (le public est parfois mis à contribution) toute la vie de « l’homme-siècle », ses combats, ses deuils, son exil, ses œuvres, mais avec les codes d’aujourd’hui.

EA : Quels liens faites-vous entre la littérature classique et le rap ? 

B. Héran : D’abord, la musicalité des textes et l’importance vitale de l’écriture dans les deux disciplines. D’autant que certains classiques, dont Victor Hugo, était des révolutionnaires de la langue, de grands précurseurs littéraires. Il suffit de lire la préface de Cromwell pour s’en rendre compte : « La langue française n’est pas fixée et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas. L’esprit humain est en marche et les langues avec lui. » Quel genre est moins fixé que le rap, aujourd’hui ? Il casse les codes, brise les rythmes, martyrise la syntaxe, invente de nouveaux mots. Ensuite, les grands auteurs et les grandes autrices ont souvent eu des vies absolument incroyables, épiques, finalement bien plus impressionnantes que celles des rappeurs actuels, qui en vantent pourtant l’intensité dans leurs titres… Dommage qu’à l’école on nous présente généralement les œuvres sans donner le contexte dans lequel elles ont été composées, pourtant base de leur inspiration. Si j’avais su à 15 ans l’ascension sociale fulgurante de Jean Racine, ses conquêtes, ses querelles, ses ambitions, j’aurais probablement plus accroché aux alexandrins d’Andromaque !

EA : Quels sont les enseignements les plus surprenants de votre spectacle ?

B. Héran : Victor Hugo a eu une vie de rappeur. Sa vie coche les cinq piliers fondamentaux du rap français, ce que je définis comme « Les 5 F » : Fric, Fame, Fougue, Fight, Femme. Petite anecdote sur ce dernier point : il tenait un journal de bord de son activité sexuelle avec, pour chaque conquête, la date, le nom de la partenaire et une description de l’action. Le tout en espagnol et en latin au cas où sa femme ou sa maîtresse « principale » du moment tomberait sur le document… Le spectacle aborde également un fait marquant de l’histoire littéraire du XIXe siècle, qui paraît difficilement imaginable aujourd’hui : la bataille d’Hernani. Le 25 février 1830, des hommes et des femmes en sont venus aux mains au Théâtre Français (l’actuelle salle Richelieu de la Comédie Française) pour une histoire d’alexandrins légèrement déformés et de règles de bienséance bafouées. À l’époque, l’art constituait le réceptacle des enjeux politiques et, en ce sens, pouvait prendre une dimension viscérale. Je reconstitue cet épisode avec le public à chaque représentation et les passions se déchaînent…

EA : Comment avez-vous composé ce texte ? 

B. Héran : Tout commence pendant le confinement. Je participe à un concours de biographie d’auteur de théâtre classique, sur un format musical contemporain, lancé par un professeur du Cours Florent. Je me lance dans un rap sur la vie de Jean Racine. Je dévore son Wikipédia comme un roman, j’écris, j’enregistre, j’envoie ma vidéo… Pas de réponse. Mais sur les conseils de camarades de l’ESSEC, je poursuis et je réalise toute une série : Arthur Rimbaud, Jean-Jacques Rousseau, George Sand, Jean Racine, Victor Hugo… Me voilà avec mes maquettes de mauvaise qualité, ma mère les écoute, mais sinon je ne sais pas quoi en faire. Par une heureuse coïncidence, le projet arrive aux oreilles du chanteur Grégoire, qui flashe sur le concept et me propose de produire le projet, c’est-à-dire de refaire les instrumentations et d’enregistrer en studio. Un an plus tard, je tiens mon EP. Mais j’ai peur qu’il passe inaperçu si je me contente de le sortir sur les plateformes. Au même moment, je finis de jouer la première pièce que j’ai écrite, Étoilée, drame familial qui parle d’astrophysique et de deuil. J’ai envie de changer d’air, de légèreté et d’humour. C’est là que me vient l’idée de Victor HuGOAT : N°1 du rap français.

EA : Avant ce projet, aviez-vous déjà une pratique du rap ? 

B. Héran : Tout à fait ! J’écris mes textes et je les interprète sur des instrumentations réalisées par mon ami François Tétu (E19), devenu artiste lui aussi. Il compose des morceaux électros sous le nom de No Koriander. Je vous recommande de l’écouter et de le suivre sur les réseaux. Ses titres et les nôtres sont disponibles sur toutes les plateformes de streaming.

EA : Quelle est la réponse du public à Victor HuGOAT : N°1 du rap français

B. Héran : Jusqu’ici le pari semble gagné. Déjà au festival d’Avignon l’an dernier, la salle ne désemplissait pas. Et le succès est aussi au rendez-vous à Paris. Le spectacle parle à toutes les générations et tous les profils. Je me souviens de cette dame d’environ 70 ans qui m’attend à la sortie, très enthousiaste : « Quand j’ai vu rap sur le flyer, j’ai tout de suite dit non, non, non. Finalement j’ai accompagné ma fille. Eh bien je ne regrette pas une seconde. » Ou encore de ces ados qui disent avoir enfin compris le poème Demain dès l’aube. Et je suis sûr que ça peut aussi plaire aux ESSEC… Vous aussi, prenez votre place : je joue tous les jeudis à 19h30 au Grand Point Virgule jusque fin avril. 

EA : Menez-vous d’autres projets artistiques ? 

B. Héran : Il me reste toujours mes quatre autres biographies d’auteur en rap : Arthur Rimbaud, Jean-Jacques Rousseau, George Sand, Jean Racine. Mais je pense à d’autres formats pour en parler : podcast, vidéos sur les réseaux sociaux… Par ailleurs, je répète une pièce que j’aurai le plaisir de jouer au festival d’Avignon cet été, La Décision, au théâtre de la Scierie. Ce texte écrit par une amie, Manon Viel, met en scène un couple improbable qui se demande s’il veut garder un enfant arrivé par erreur. C’est drôle, c’est fin, et cela questionne la parentalité pour notre génération, au regard de prismes écologiques et féministes notamment. Enfin, je continue à faire de la musique, et nous avons le projet avec Grégoire d’adapter au théâtre un roman qui a fait du bruit récemment et dont nous avons obtenu les droits. À suivre !


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

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