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Jean-Charles Dufeu (E07), producteur indépendant : « La musique, ça ne se calcule pas »

Interviews

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08.05.2018

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Réussir dans une industrie sinistrée, alors que l’on n’a ni la formation, ni le réseau, ni les fonds ? C’est ce qu’a accompli Jean-Charles Dufeu (E07) en devenant producteur de musique indépendant, en parfait autodidacte. Il explique dans Reflets #124 comment il a fait profession de sa passion. 

« J’avais déjà envie d’évoluer dans le monde de la musique quand j’ai intégré l’ESSEC. » Dont acte : Jean-Charles Dufeu enchaîne deux stages dans des maisons de disques indépendantes, Naïve et Fargo. « Les deux ont cessé leur activité depuis. Cela en dit long sur l’état de l’industrie… » Le jeune passionné ne se laisse pas décourager pour autant : toujours durant ses études, il intègre l’équipe du site d’actualités musicales POPnews. « L’expérience m’a un peu déniaisé. J’ai été confronté à pas mal d’acteurs du milieu – les labels qui nous envoyaient leurs disques, les salles de concert avec lesquelles on nouait des partenariats, les artistes qu’on rencontrait pour des interviews… » Il découvre ainsi Soltero, musicien américain pour lequel il éprouve un véritable coup de foudre artistique. « Je me suis mis en tête de distribuer son disque en France, en profitant de la vitrine éditoriale de notre site pour le proposer à l’achat à nos lecteurs. Ma première démarche entrepreneuriale ! » Il pousse la collaboration plus loin en rejoignant Soltero, de son vrai nom Tim Howard, à Philadelphie pour un stage de 3 mois. « Ou comment valider ma période obligatoire à l’étranger en studio d’enregistrement ! Je n’ai jamais autant apprécié la flexibilité de l’ESSEC… » 

Premières gammes

Au retour des États-Unis, Jean-Charles Dufeu débute sa carrière chez Amazon. « Il fallait bien manger… » Mais il ne coupe pas complètement avec ses premières amours. « Au bout de deux ans, je suis devenu site merchandiser pour l’équipe musique, soit l’équivalent d’un chef de rayon chez un disquaire, avec les outils du web. Cela m’a permis à la fois de me former au numérique, de découvrir le management à l’américaine – et de continuer à valoriser des artistes, dans le cadre de newsletters et de descriptifs de produits. »

En parallèle, il finance la sortie du nouvel album de Soltero en France. « Le disque a reçu des critiques enthousiastes, a obtenu une belle visibilité, a abouti sur une tournée… Mais sur le plan économique, j’y ai laissé des plumes. » C’est là qu’il a le déclic : et si la prochaine fois, au lieu d’investir ses deniers personnels, il recourait au financement participatif ? Ainsi naît Microcultures, label de pop folk indépendant utilisant le crowdfunding pour produire ses artistes.

En avant la musique

Jean-Charles Dufeu valide son concept avec le lancement réussi d’un premier groupe, Phantom Buffalo, puis d’une douzaine d’artistes anglo-saxons et français. Tant et si bien qu’il fait bientôt face à un afflux de sollicitations. « Nous, on tenait à rester sélectifs. On est un label, pas une plateforme de crowdfunding. Ceux qui ne cadraient pas avec notre ligne éditoriale, on les redirigeait vers Ulule. Mais au bout d’un moment, on s’est rendu compte qu’on chassait des opportunités. Les personnes qui nous contactaient avaient visiblement besoin d’accompagnement, plus encore que d’argent. Pourquoi ne pas leur faire profiter de notre expertise ? » Microcultures en vient donc à développer des services sur-mesure et clé en main pour chaque étape de la production d’un disque, depuis l’enregistrement jusqu’à la mise en rayon. « On a sorti une centaine d’albums en tout, on sait donc ce qu’il faut faire et ne pas faire, quels partenaires trouver pour la promotion, pour la distribution, pour la communication… Pour résumer, on fait de l’aide à l’autoproduction. D’un point de vue contractuel, on se positionne comme des prestataires, rémunérés à la commission. On ne devient pas copropriétaires des œuvres ; on propose une solution de conseil, de gestion opérationnelle ou encore de direction artistique, à la carte. En somme, on assure les tâches qui incombent traditionnellement aux labels – tout en laissant leur liberté aux artistes. On oriente les choix, mais on n’a aucun pouvoir de décision. »

Un équilibre subtil qui, manifestement, répond à une forte attente. « On a collaboré avec 350 artistes sur 7 ans. Non seulement la demande ne cesse de croître – alors même que tout repose sur le bouche-à-oreille – mais elle émane de gens de plus en plus qualifiés. Au début, on s’occupait seulement d’amateurs qui avaient fait quatre maquettes dans leur chambre. Aujourd’hui, on travaille aussi pour des groupes qui ont déjà acquis une certaine notoriété, souvent internationale, et qui veulent échapper aux contraintes imposées par les grandes maisons de disque. » De fait, l’offre de Microcultures est dans l’air du temps. « Les artistes contemporains sont des millenials comme les autres, qui aspirent à plus d’autonomie tout en adhérant aux principes de l’économie collaborative. On résout cette équation en leur donnant les moyens de l’indépendance. »

La clé du succès

Le dispositif imaginé par Jean-Charles Dufeu lui permet de la même façon de garder sa liberté de producteur. « Les bénéfices dégagés sur la partie services réduisent la pression à la rentabilité et au résultat sur la partie label. Cela permet de prendre des risques, de ne porter que des projets coups de cœur, sans trop avoir à se soucier du potentiel strictement commercial. » De toute façon, il ne sait pas faire autrement : « La musique, ça ne se calcule pas. Quand j’écoute une chanson, je ne me demande pas à quel public elle va plaire, mais seulement si je vais avoir envie de l’entendre des centaines de fois. Ça fonctionne à l’instinct et à l’égoïsme. C’est hyper personnel, viscéral. » Il a d’ailleurs mis des années à se sentir légitime. « J’étais arrivé dans le métier en autodidacte, sans formation ni pratique. Mon seul guide, c’était mon plaisir. Aujourd’hui encore, je ne saurais pas dire comment on devient expert dans ce domaine – ni même si je le suis. » Il a cependant une certitude : « Si vous êtes sûr de ce que vous aimez, vous avez déjà franchi un cap important, et vous n’avez plus qu’à suivre cette direction. L’intégrité et la sincérité priment. »

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11), responsable des contenus ESSEC Alumni

 

Paru dans Reflets #124. Pour accéder à l’intégralité des contenus du magazine Reflets ESSEC, cliquer ici.

 

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