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Mai Hua (E99) : « Mes docu-poèmes touchent à l'universel en explorant l'intime »

Interviews

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11.12.2024

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Spécialiste beauté, color designer, blogueuse philosophique, réalisatrice de documentaire… Mai Hua (E99) le dit elle-même : les mots manquent pour résumer ses activités. Portrait alors qu’elle prépare la sortie de son troisième long-métrage – projet que vous pouvez soutenir sur KissKissBankBank.

Mai Hua débute sa carrière chez Lancôme. « Ils ont repéré que j’étais créative et m’ont mis sur du développement produit en maquillage. » Elle contribue notamment à sortir le gloss des studios photos pour le généraliser auprès du grand public. « J’ai beaucoup appris sous l’impulsion de mon directeur artistique Fred Farrugia. C’est notamment lui qui m’a initiée à la couleur. » Une passion est née : au bout de quatre ans, elle rejoint en formation continue le département couleur des Arts Déco. 

Changement de ton

Mai Hua apprend une nouvelle manière de travailler. « Jusque là, j’étais une bête de concours, une première de la classe, une matheuse aussi. J’ai découvert l’exploration sans note ni évaluation, une approche différente des notions de réussite et d’innovation. »

Elle devient color designer. « C’est un métier qui existe dans les secteurs où il y a besoin de créer et d’assortir des couleurs, comme l’automobile ou le textile. » Elle décroche ses premiers contrats auprès de sa tutrice, notamment en travaillant la couleur en architecture. « Il s’agissait de déterminer comment accompagner une activité humaine et sociale par la couleur. Par exemple, on a défini toute une palette pour une crèche, en fonction des usages des différentes salles – celle où on dort, celle où on mange, celle où on apprend à parler. » 

Mise au parfum

En parallèle, Mai Hua reste connectée à son réseau dans la beauté. Et celui-ci manifeste un intérêt grandissant pour son expertise. Armani lui confie un premier brief : « lancer un parfum pour femmes, coloré, alors que la marque était considérée comme plutôt masculine et achromatique. » L’équipe est bloquée depuis six mois. « Ils m’ont ouvert leur placard : 80 maquettes de 80 couleurs différentes, toutes refusées. Or moi, j’étais capable de leur expliquer immédiatement pourquoi chacune avait été retoquée. Par exemple, ils avaient souvent utilisé des couleurs Pantone, alors que ces dernières sont plutôt conçues pour des graphistes, c’est-à-dire pour des supports papier ou écran, en aplat, pas pour du liquide, du flux. » Elle leur propose un bleu fort « mais légèrement violacé pour le côté féminin, avec un dégradé de noir pour le côté effluves ». Le succès est énorme, et lui ouvre de nombreuses portes – dont celles de Louis Vuitton, qui lui confie tous ses parfums. 

La voix de la raison

Au bout de quelques années, Mai Hua lance un blog. « À force d’exercer une activité méconnue voire secrète, j’ai ressenti le besoin de trouver une voix publique. J’avais aussi une envie de transmission, de réflexion philosophique, ainsi que de partage avec des femmes, de sororité. » Elle poste sur son domaine de prédilection, la beauté – mais pas pour recommander des produits ou donner des conseils. « Je me suis mise à filmer des femmes qui m’expliquaient leurs rituels de beauté, et pourquoi elles les avaient adoptés. La question n’était pas : comment appliquer ce fond de teint ? Mais plutôt : pour quelles raisons applique-t-on un fond de teint ? Quel est le sens de ce geste psycho-magique ? » 

L’initiative génère un engagement très fort, avec beaucoup de commentaires et d’échanges. « Certaines de mes lectrices réunissaient leurs amies pour discuter de mes vidéos ! » Une véritable communauté se constitue, à laquelle se joignent aussi des hommes, poussant Mai Hua à s’interroger sur d’autres sujets, à la fois plus larges et plus intimes : la parentalité, la création, la résilience…  

Passage à l’image

Du blog finit par naître un autre projet : la réalisation d’un documentaire, intitulé Les Rivières. « Le principe reste le même : toucher à l’universel en explorant l’intime à travers la médiation de l’image et du témoignage. » Dans ce long-métrage, Mai Hua suit en effet quatre générations de femmes d’une même lignée : sa grand-mère, sa mère, elle-même et sa fille, qui enquêtent sur une prétendue malédiction familiale. « Ce point de départ permet de traiter beaucoup de thématiques : le rapport à la famille, les douleurs que celle-ci peut générer ; la mémoire transgénérationnelle, les legs des ancêtres qui traversent les époques et continuent de nous agiter, même si on n’a pas hérité d’eux directement, consciemment ; et aussi les enjeux politiques, sociétaux, des récits privés, des trajectoires individuelles. Je reçois des messages de femmes du monde entier qui me disent que mon film met des mots sur des expériences qu’elles ont toutes vécues et qu’elles ne savent pas exprimer. » De fait, Les Rivières trouve son public : en tout, près de 100 000 personnes dans 82 pays. 

Traits d’union

Depuis, Mai Hua alterne entre des formats courts sur son compte Instagram @mai_hua et des formats plus longs. Elle a notamment co-réalisé un deuxième documentaire, Make Me a Man, sur les hommes et la vulnérabilité, avec son conjoint londonien, le thérapeute Jerry Hyde. « Il anime depuis 25 ans des groupes de paroles d’hommes sur leur rapport à leurs parents, aux femmes, au sexe, etc. Après #MeToo, j’ai trouvé important de donner de la visibilité à ce qu’ils faisaient. Car on n’a pas tant besoin de déconstruire la masculinité que d’en proposer de nouvelles, qui ne soient pas toxiques, enrichissent leur vie, et qui permettent aux hommes et aux femmes qui en ont l’envie de vivre ensemble. » 

Aujourd’hui, elle prépare un troisième opus, toujours avec son compagnon. « May Day fera le récit puissant et poétique d’une retraite thérapeutique hors-norme. 12 personnes sont coupées du monde pendant 14 jours, dans une nature puissante, sans téléphone, ni électricité, ni réseaux sociaux. Ensemble, elles travaillent sur leurs peurs, leurs colères, leurs traumas, leur histoire, à travers des cercles de parole, des exercices un peu fous, des rituels, des états de conscience modifiés… Ensemble, elles vont se transformer, grâce à leur courage bien sûr, mais aussi avant tout grâce à la force du groupe. Nous travaillons sur ce projet depuis 3 ans et nous lançons une campagne de crowdfunding pour lui permettre d’aboutir. N’hésitez pas à participer ! » 

 

Article initialement paru dans Reflets #134 en octobre 2020 et mis en ligne & à jour en novembre 2024

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

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Image : © Lyloutte Studio

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