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Reflets #135 | Denez L’Hostis (E70), la force de la nature

Interviews

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12.14.2020

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Dans Reflets #135, Denez L’Hostis (E70) raconte son parcours : recherche publique, coopérative de pêche, patrimoine maritime, militantisme écologique… Autant d’étapes avec toujours le même cap : la défense de l’environnement. On vous offre son interview en version digitale… abonnez-vous pour lire tout Reflets !

Denez L’Hostis se démarque dès son entrée à l’ESSEC. « J’étais le seul fils d’ouvrier dans ma promo. Le directeur de l’école m’a convoqué, avec d’autres, parce que je ne portais pas de cravate ! » Il est aussi probablement l’un des plus politisés de ses camarades, alors que mai 68 frappe à la porte de l’école, située à l’époque rue d’Assas, dans le Quartier latin. « Un mois avant les manifestations, on m’a menacé de me casser la figure parce que j’ai demandé à m’adresser aux étudiants en amphi. Sacrée époque. » Un positionnement hors case et une capacité à débattre, sans avoir peur du conflit, qui caractériseront tout son parcours. 

La recherche du compromis

En parallèle de ses activités militantes, Denez L’Hostis n’oublie pas la raison pour laquelle il a intégré l’ESSEC : se former aux enjeux de l’industrie agroalimentaire. « Ce secteur offrait de nombreux débouchés en Bretagne, ma région natale, où je comptais bien passer une bonne partie de ma vie. » Il attire l’attention de ses professeurs, qui le recommandent à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). « C’est ainsi que je suis devenu l’un des premiers alumni, sinon le premier, à faire de la recherche publique, en tant qu’économiste. » 

Le poste lui plaît mais lui impose de rester à Paris. « Je retournais quand même une fois par semaine en Bretagne pour donner des cours à Sup de Co Brest, où j’avais créé une option spécialisée en agro-alimentaire. » 

L’appel du large

À défaut de retrouver immédiatement les côtes bretonnes, Denez L’Hostis se spécialise peu à peu dans l’économie de la pêche maritime. « Le Centre National d’Exploration de l’Océan (CNEXO) m’a demandé de réaliser des études de marché autour d’un sujet totalement neuf : l’aquaculture marine. L’idée était de repérer des espèces marines susceptibles d’intéresser à la fois les biologistes et les consommateurs. » 

Il est alors le seul en France à travailler sur l’eau salée. « J’ai donc tout de suite été très médiatisé. » Cette notoriété lui ouvre des opportunités : dès 1981, il accompagne la création  de l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer). L’incursion s’avère cependant peu concluante. Il décide alors de partir dans le privé. 

Une pêche d’enfer

Denez L’Hostis prend la direction de l’Organisation des Pêcheries d’Ouest-Bretagne (OPOB), qui gère les stocks et les débouchés de 2000 marins à toutes les étapes de la filière, depuis le port jusqu’à la vente à la criée en passant par la conserverie. « J’ai adoré, même si cela pouvait être dur sur le plan humain. Les relations étaient parfois brutales avec certains patrons pêcheurs. Je me suis aussi attiré les foudres des politiques parce que j’avais fait du lobbying directement auprès des autorités européennes, au lieu de passer par le ministère. » Il quitte le milieu au tournant des années 1990, quand la baisse des prix et l’augmentation de la concurrence européenne déclenchent des manifestations parfois violentes, qui atteindront leur paroxysme avec l’incendie accidentel du Parlement de Bretagne à Rennes. 

Entrée au port

Denez L’Hostis change de métier, mais pas d’environnement : il prend la direction du Port-Musée de Douarnenez. « J’étais déjà impliqué depuis un certain temps dans la préservation du patrimoine maritime, qui consiste par exemple à sauver ou reconstruire à l’identique des bateaux de pêche traditionnels à voile et en bois. » 

À Douarnenez, l’ambition est de développer un véritable pôle touristique. « C’était la grande époque des parcs à thème. » Il déchante vite. « On manquait de fonds propres, on avait trop de personnel et on était pris en tenaille entre un maire communiste et une région encore ancrée à droite. » 

Qu’à cela ne tienne : l’expérience lui ouvre les portes de la Cité de la Mer à Cherbourg. L’établissement n’est alors qu’à l’état de projet. « On a récupéré le Redoutable, le premier sous-marin nucléaire français, et on l’a scénographié comme s’il se trouvait en immersion.Par exemple, on a reconstitué sa signature acoustique. »

Le lieu est plus largement dédié à l’aventure humaine dans les grands fonds océaniques, dont la France est pionnière avec quelques autres rares pays grâce à l’Ifremer. « Les chercheurs avaient découvert depuis peu les sources hydrothermales à plusieurs milliers de mètres sous le niveau de la mer, là où des formes de vie se déploient malgré l’absence de lumière et d’oxygène. C’était une véritable révolution scientifique pour ma génération. »

Le concept est unique en Europe. « Le sous-marin est niché au cœur d’une gare maritime transatlantique qui constitue le plus grand patrimoine Art Déco d’Europe, et qui a une histoire fascinante : c’est là que le Titanic a fait sa dernière escale avant son naufrage, et que Charlie Chaplin a annoncé qu’il fuyait les États-Unis à cause du maccarthysme… » 

De l’eau à l’écolo

À chaque étape de sa carrière, Denez L’Hostis réaffirme son intérêt pour la nature. Il faut dire que son militantisme, loin de s’être éteint après ses études, l’a mené à embrasser la cause environnementale en parallèle de ses activités. « J’ai participé aux grandes luttes fondatrices du mouvement écologiste, contre l'extension du camp militaire sur le plateau du Larzac, ou contre la prolifération nucléaire à Plogoff. » 

Il a aussi contribué à l’installation du premier parc éolien terrestre en Bretagne,  tout en créant  une structure de capital risque avec des amis pour soutenir des projets responsables portés par des gens en difficulté socialement. 

Et à un niveau plus personnel, il a bâti l'une des premières maisons bioclimatiques et solaires de France, dans laquelle il vit depuis le début des années 1980. 

Un engagement auquel il décide de donner une nouvelle dimension en 2008, après avoir participé en tant qu’expert au Grenelle de l’environnement puis au Grenelle de la mer. « Parallèlement, j’ai été élu vice-président de la communauté d’agglomération de Quimper, en charge du climat et de la transition énergétique, pour développer des approches climato-compatibles. Je n’ai pas pu aller aussi loin que je voulais, mais un premier virage, même insuffisant, a été pris. »

Il se hisse alors à la Présidence de France Nature Environnement (FNE), fédération regroupant 900 000 adhérents dans 3500 associations consacrées à la protection de la nature et de l’environnement. « Mes deux mandats ont coïncidé avec les COP Climat de Varsovie et de Lima, ainsi qu’avec la COP de Cancun sur la biodiversité. Je me suis retrouvé à négocier quotidiennement avec les ministères et à prendre l’avion présidentiel avec Laurent Fabius et Ségolène Royal… » 

Un exercice délicat, pour lequel il faut avoir le sens du compromis. « J’ai toujours privilégié l’échange. Je crois fermement que l'opposition ne sert à rien si elle n'est pas accompagnée de propositions. Ce qui m'intéresse, c'est de provoquer le débat. On peut collaborer sans se compromettre. »

Il défend toujours cet esprit, alors qu’il s’occupe désormais des partenariats que FNE noue avec les grandes entreprises. « On challenge leur politique RSE, on négocie la diminution de leurs impacts environnementaux et l’amélioration de leur performance environnementale, on pratique du lobbying parlementaire… C’est passionnant, on apprend beaucoup les uns des autres, même s’il faut se montrer très patient ! » 

Engagez-vous, qu’ils disent…

Quel bilan tire-t-il d’une vie de militantisme écologique ? « Je reste profondément optimiste, même si ça demande d’avoir la « foi » ! En 50 ans, la question environnementale a fini par intégrer le logiciel politique, mais la situation n’a cessé de se dégrader partout sur le terrain. Ce parallèle résume bien le gouffre qui subsiste entre les discours et les actes, entre les effets d’annonce et la réalité opérationnelle. Je m’étonne d’ailleurs de ne pas voir plus de radicalité face à ce décalage. Non pas que la violence soit la solution. Mais le militantisme du clic ne l’est pas non plus. Signer une pétition, commenter sur les réseaux sociaux, c’est prendre l’ombre pour la proie. L’écologie citoyenne aujourd’hui, c’est entre autres choses l’écologie du consommateur, celle qui passe par nos choix d’achat. »


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

Paru dans Reflets #135. Pour découvrir un aperçu du numéro, cliquer ici. Pour recevoir les prochains numéros, cliquer ici.

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