Reflets Mag #140 | Cécile Renouard (E90) : La transition pour vocation
Dans Reflets #140, Cécile Renouard (E90) raconte le cheminement spirituel qui l’a menée à un engagement très réel pour la transition environnementale et sociale, au moyen de la recherche et de l’éducation. On vous met l’article en accès libre… abonnez-vous pour lire le reste du numéro !
Dès le début de son parcours, Cécile Renouard s’interroge sur le sens qu’elle veut donner à sa vie. Alors que les stages effectués durant ses études semblent la destiner à une carrière toute tracée dans l’industrie, elle s’accorde un an de réflexion pour explorer d’autres pistes. Littéralement : « Je suis d’abord partie en pèlerinage à Chartres, puis j’ai voyagé en Asie et en Amérique Latine. »
Seulement munie d’un sac à dos, elle appréhende des modes de vie très éloignés de la modernité occidentale. « Je me suis d’une part rapprochée de la nature, notamment à l’occasion d’un trek au Népal propice à la contemplation, d’autre part confrontée à la très grande pauvreté, en aidant les familles d’un bidonville de Buenos Aires à construire leur maison, dans le cadre d’une mission du Secours catholique. »
L’expérience marque un tournant. « Je me suis sentie appelée par la vie religieuse. De retour en France, j’ai fait une retraite de discernement, à l’issue de laquelle j’ai rejoint la communauté de l’Assomption. » Présente dans 32 pays, cette congrégation apostolique se donne pour vocation de travailler à la transformation de la société par l’éducation. « J’avais enfin trouvé comment mobiliser mes compétences et connaissances économiques pour le bien commun. »
Chargée de mission
Cécile Renouard alterne vie de communauté, temps de prière et activités dans le domaine de l’enseignement. « Tout en donnant des cours dans des lycées, j’ai décroché un master de théologie puis un DEA en philosophie politique au Centre Sèvres, autour du travail de Michael Waltzer sur la justice et la citoyenneté dans les démocraties libérales, avant de faire une thèse à l’EHESS sur la responsabilité des multinationales dans les pays du Sud, grâce à une bourse de la Caisse des dépôts qui m’a notamment permis d’enquêter sur Danone, Lafarge et Michelin au Kenya et au Nigeria. »
Sa quête spirituelle la mène ainsi sur le terrain – et la pousse à l’action. Une dualité, ou plutôt une complémentarité, qui devient sa ligne directrice. « Dans les années qui ont suivi, j’ai examiné les tensions entre mondialisme capitalisé et développement durable. Le cadre d’analyse que j’ai développé permet aujourd’hui de montrer que les ambitions des entreprises en matière de protection de l’environnement et de progrès social se heurtent à une dilution des responsabilités dans la chaîne de sous-traitance. Pour impulser de véritables changements, il faut adopter une approche beaucoup plus large, systémique, en jouant à la fois sur les normes comptables et fiscales, les échelles de rémunération, les modèles macroéconomiques, les outils de gestion… »
Prêcher la bonne parole
Pour étayer ses recherches comme pour leur donner plus d’écho, Cécile Renouard multiplie les casquettes. Tout en enseignant la philosophie au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris, elle crée le programme interdisciplinaire « CODEV – Companies & Development » à l’ESSEC IRENÉ en 2007, noue des conventions avec des multinationales comme Total ou Danone pour suivre l’impact de leurs activités sur leurs territoires d’implantation, intervient aux Mines de Paris et à Sciences Po, publie de nombreux livres…
Puis elle décide, avec un collectif, de créer en 2016 un espace unique qui lui permet de faire la synthèse de ses préoccupations et, mieux encore, de leur donner corps : le Campus de la Transition. « Il s’agit d’un lieu d’expérimentation autour de la transition écologique, sociale, culturelle, politique et citoyenne. Ancré dans un village de 500 habitants au sud de la Seine-et-Marne, notre domaine réunit une trentaine de personnes qui participent à la réhabilitation de nos bâtiments pour améliorer leur bilan énergétique, à l’exploitation de notre potager pour approvisionner en aliments bios et locaux notre cantine végétarienne, à l’organisation d’animations pour dynamiser notre territoire… En parallèle, nous leur proposons des formations pédagogiques ou professionnelles, des discussions sur la mobilisation citoyenne ou encore des ateliers pour calculer leur empreinte carbone et pour se reconnecter à soi, à ses émotions et à la nature. Objectif : les confronter de manière concrète à des enjeux comme la co-construction ou l’éco-conception et trouver des ressources personnelles et collectives pour agir dans l’incertitude… »
Le Campus accueille principalement des étudiants et des jeunes diplômés, mais pas seulement. « Parmi nos bénévoles, nous comptons un ostéopathe, un ingénieur devenu surveillant dans un lycée et engagé sur le territoire, l’ancien aide cuisinier d’un restaurant étoilé… » Tous partagent le même désir d’inventer de nouveaux modèles pour l’avenir.
Et de fait, l’initiative commence à faire des émules. Elle a notamment attiré l’attention de la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation qui a demandé au Campus de piloter un livre blanc sur l’enseignement supérieur à l’heure de la transition. « Nous avons ainsi réuni plus de 70 enseignants-chercheurs ainsi que quelques étudiants et professionnels et conçu le Manuel de la Grande Transition (LLL, 2020), qui constitue un socle commun de connaissances et compétences. Nous déclinons le concept par ensemble disciplinaire, avec bientôt des ouvrages thématiques sur la pédagogie, la vie des campus, la santé ou encore les disciplines de gestion. »
Le Campus entretient en outre des liens privilégiés avec l’ESSEC et l’Université de Cergy, qui lui ont demandé d’accompagner leur réflexion pour la transformation des cursus. « Et nous avons commencé à développer des formations pro sur le site de Forges. »
Foi en l’avenir
Cécile Renouard veut croire au changement. « Quand j’ai débuté, certains me cataloguaient comme une militante gauchiste et altermondialiste. Désormais, la position que je défends fait consensus, dans les entreprises comme dans les milieux de l’éducation. Reste à savoir comment aller au-delà des discours. Je dis souvent qu’il faut changer les règles du jeu à la bonne hauteur, en engageant trois formes de transformations. Primo, des transformations individuelles et quotidiennes : adopter les mobilités douces le plus souvent possible, mettre plus de pulls et chauffer moins, avoir une alimentation moins carnée… Deuxio, des transformations systémiques : organiser la multimodalité, subventionner les énergies propres… Tertio, des transformations intérieures, culturelles, éthiques et spirituelles : apprendre la sobriété, développer la résilience, entretenir la fraternité, la convivialité et le souci de l’autre… Aucun acteur ne détient la solution à lui seul. Il faut construire des chemins partout, ensemble. »
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
Extrait de Reflets Mag #140. Pour voir un preview, cliquer ici. Pour recevoir les prochains numéros, cliquer ici.
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