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Taryk Bennani (E99), spécialiste en politique macroprudentielle : « La crise de 2008 a révélé la nécessité d’une action d’ampleur »

Interviews

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12.08.2017

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Chef du service de la politique macroprudentielle à la Banque de France, Taryk Bennani (E99) vient de publier Politique macroprudentielle : Prévenir le risque systémique et assurer la stabilité financière (éd. Pearson), où il explique ce qui a été mis en œuvre et ce qui reste à faire pour éviter que la crise de 2008 puisse se reproduire. Entretien.

ESSEC Alumni : En quoi consiste l'approche macroprudentielle ? 

Taryk Bennani : La politique macroprudentielle consiste à assurer la stabilité du système financier, en agissant préventivement contre l’émergence de risques systémiques et les possibles effets de contagion entre acteurs financiers. Contrairement à l’approche microprudentielle qui vise la solidité des institutions financières prises individuellement, l’approche macroprudentielle s’intéresse au système financier dans son ensemble et appréhende le risque systémique comme étant endogène, c’est-à-dire prenant son origine au sein du système. La notion d’impact sur l’économie réelle est aussi très importante : lorsque l’on parle de crise systémique, on entend par là une crise qui prend sa source dans le système financier (à travers la propagation d’un choc ou d’un déséquilibre) et qui se propage à l’économie réelle, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer, sur la croissance économique, sur le taux de chômage, etc. En retour, la dégradation de l’économie peut elle-même affecter négativement le système financier : c’est ce que l’on appelle l’effet de rétroaction.

EA : L'approche macroprudentielle est-elle vraiment née de la crise de 2008 ? N'avait-elle aucun précédent ?

T. Bennani : Quelques mesures qui relèvent maintenant de la politique macroprudentielle étaient déjà utilisées dans certains pays avant la crise financière de 2008, mais de manière  éparse et sans être forcément « labellisées » comme macroprudentielles. Par exemple, certains pays asiatiques utilisent depuis plusieurs décennies des mesures que l’on qualifie aujourd’hui de macroprudentielles pour contrer les déséquilibres qui touchent au secteur immobilier. Les politiques de contrôle des flux de capitaux ou d’encadrement du crédit, très en vogue dans les années 1980, avaient également une dimension macroprudentielle.
Mais c’est réellement la crise de 2008 qui a révélé la nécessité d’une action d’ampleur, s’intéressant à la stabilité de l’ensemble du système financier. Le G20 s’est emparé de la question dès fin 2008 et a décidé d’une réforme en profondeur de la réglementation financière. Une illustration : la mise en place du cadre dit de « Bâle III » sur le contrôle bancaire entend renforcer le capital et la liquidité du secteur bancaire et introduit pour la première fois dans la réglementation un volet macroprudentiel.

EA : Un exemple de mesure ou d'instrument macroprudentiel qui a particulièrement fait ses preuves ? 

T. Bennani : Plusieurs études empiriques montrent que limiter le montant des prêts immobiliers relativement à la valeur du bien acquis, c’est-à-dire le ratio LTV (« loan-to-value »), et limiter aussi le ratio dette sur revenu, c’est-à-dire le DTI (« debt-to-income »), sont des instruments efficaces pour réduire les risques associés au secteur immobilier, car ils permettent de lutter contre la croissance excessive du crédit.
Autre exemple : augmenter les exigences en capital, notamment des banques dites systémiques, permet d’accroître la résilience du secteur bancaire en cas de choc, car les banques « bien capitalisées » sont moins susceptibles de faire faillite en cas de crise, ce qui permet de limiter les phénomènes de contagion. Cela étant, tout est une question de dosage. Des exigences trop élevées sont aussi néfastes, car elles vont peser excessivement sur la fourniture de crédit et sur l’activité économique.

EA : Y a-t-il des régions ou des pays « bons élèves » de la politique macroprudentielle, ou celle-ci ne peut-elle s'opérer qu'à une échelle internationale ? 

T. Bennani : Les phénomènes de contournement se produisent lorsqu’il existe des possibilités pour les institutions financières d’échapper aux mesures macroprudentielles prises dans un pays donné. Ceci provoque des « fuites » qui réduisent l’efficacité de la politique macroprudentielle du pays en question. Par exemple, une mesure prise pour contenir le volume de crédit domestique peut être contournée par le biais d’acteurs qui se situent hors du champ de compétence et d’action de l’autorité nationale.
Pour éviter ce genre de problème, il faut chercher les réponses au niveau international, en établissant un socle de normes et de principes communs et en assurant une forme de coordination des politiques macroprudentielle. Au niveau européen par exemple, deux autorités jouent un rôle clé dans ce type de coordination : la BCE pour les pays participant au Mécanisme de supervision unique, et l’ESRB (Comité européen du risque systémique) pour tous les pays de l’UE.
Plusieurs régions du monde ont été très actives en matière de politique macroprudentielle, notamment l’Asie (Corée du Sud, Hong-Kong…) et l’Amérique latine (Brésil…). L’Europe n’est pas en reste et l’ESRB dénombrait, fin 2016, plusieurs dizaines de mesures macroprudentielles actives dans toute l’UE.

EA : L'approche macroprudentielle passe-t-elle nécessairement par la réglementation ou peut-elle être portée par le volontarisme des acteurs privés du secteur financier - un peu comme la RSE ?

T. Bennani : Le volontarisme et l’adhésion des acteurs privés constituent bien sûr un élément clé de la réussite de l’approche macroprudentielle et il est important d’avoir des échanges réguliers entre les autorités (ESRB, BCE, Commission européenne en Europe, Haut conseil de stabilité financière en France…) et ces acteurs. En France, des consultations et des ateliers incluant le secteur privé sont organisés régulièrement pour permettre d’affiner les diagnostics des risques. Mais compte tenu de l’importance d’avoir des règles du jeu communes et une coordination la plus efficace possible au niveau européen et international, il serait illusoire de croire que l’autorégulation seule peut suffire : la règlementation reste un passage obligé. Par ailleurs, la stabilité financière est essentielle pour éviter la survenue de crises financières qui peuvent être dévastatrices, non seulement pour le système financier, mais aussi pour toute l’économie. Ce sont les mesures contraignantes, qui peuvent certes parfois être perçues comme désagréables (à court terme), mises en œuvre par une autorité disposant d’un mandat clair en la matière, qui permettent d’assurer cette stabilité.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)

 

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