Alice Black (E94), directrice du Design Museum à Londres : « Il n’y a pas de musée équivalent en France »
Dans Reflets #126, Alice Black (E94) explique comment elle est passée du secteur bancaire à la tête du Design Museum, l’une des institutions culturelles les plus prestigieuses de Londres. On vous met son portrait en accès libre… abonnez-vous pour lire le reste du numéro !
Si Alice Black s’intéresse au monde des musées dès ses études, elle n’en préfère pas moins débuter sa carrière au Crédit Lyonnais à New York. « Je rêvais de vivre aux États-Unis. Et je me disais qu’acquérir des notions en finance pourrait toujours s’avérer utile. » Elle arrive à un moment compliqué pour la banque, qui doit restructurer une partie de ses activités locales. Mais elle n’y voit pas un obstacle. « Au contraire, j’ai beaucoup appris sur le fonctionnement d’une institution en période de crise, ainsi que sur les leviers à activer pour rebondir. Et aussi, bien évidemment, sur la gestion de flux financiers, la construction d’un bilan ou encore l’analyse d’un compte de résultats. » Autant d’enseignements exploitables dans tout secteur et dans toute organisation. « Il ne me restait plus qu’à transférer ces compétences vers ma passion. »
Changement de bord
Car Alice Black n’a pas renoncé à travailler dans la culture. En 1998, elle profite de son déménagement à Londres, où elle suit son mari, pour tout remettre à plat. « Le gouvernement anglais venait de lancer toute une série de projets culturels financés par la loterie nationale et de programmes d’investissement dans la construction de musées et de galeries. » Ce contexte porteur la convainc de se lancer. « J’ai commencé par faire du volontariat à la Tate en mécénat, pour explorer. Puis j’ai décroché un poste de commerciale au sein d’Acoustiguide, entreprise qui fabriquait des audioguides pour des expositions. » Dans le cadre de sa prospection, elle parcourt le Royaume Uni à la rencontre de directeurs de musée. « Cela m’a permis de me constituer un réseau solide et de comprendre la dynamique interne des établissements culturels britanniques, à Londres comme en région. »
Entrée au musée
Au bout de 4 ans, elle décide de basculer définitivement du côté institutionnel et devient responsable du corporate planning pour l’Imperial War Museum, ensemble de musées et d’infrastructures militaires ouvertes à la visite. « Je faisais le lien entre le comité de direction et le service financier. D’une part, je traduisais les priorités et les orientations du groupe en réalité budgétaire. D’autre part, je produisais des rapports et des recommandations sur des thèmes stratégiques : comment augmenter les revenus commerciaux, comment exploiter les possibilités du digital, comment toucher les nouvelles générations… » Puis elle saisit l’occasion d’une mobilité interne pour passer curator des Cabinet War Rooms. « En général, le curator joue le rôle de commissaire d’exposition. Mais dans ce cas, il s’agissait plutôt de prendre en charge l’administration du musée, des expositions, de l’accueil du public et des droits d’entrée. J’ai ainsi pu gagner en expérience opérationnelle et managériale. »
Nouvelle direction
En 2007, une annonce attire l’attention d’Alice Black : le Design Museum recherche un directeur adjoint pour piloter sa transformation. « Le board venait de valider l’acquisition d’un nouveau site, qui allait permettre à l’établissement de passer de 3 000 m2 de surface, 150 000 visiteurs par an, 40 salariés et 2 millions £ de budget à 10 000 m2 de surface, 700 000 visiteurs par an, 100 salariés et 9 millions £ de budget. » Elle postule et se retrouve en charge du projet, qui consiste à rénover un bâtiment classé au patrimoine historique anglais, le Commonwealth Institute à Kensington, en partenariat avec un promoteur immobilier. « J’ai levé 80 millions £ et accompagné le chantier, qui a duré 10 ans. » Le jeu en valait la chandelle. « Nous n’avons pas seulement changé de lieu. Nous nous sommes réinventés. Avant, nous organisions 6 à 8 expositions par an, principalement des monographies. Aujourd’hui, nous proposons une collection permanente, deux salles d’expositions temporaires, 500 m2 de salles éducatives, un auditorium… »
Premières classes
Avec l’inauguration en 2016, les missions d’Alice Black évoluent. Elle s’occupe notamment de développer les programmes pédagogiques du Design Museum. Parmi ceux-ci, Ventura, compétition qui mobilise 15 000 élèves du secondaire tous les ans : « Chaque école impliquée travaille sur l’élaboration, la production, la budgétisation et la présentation d’un nouveau produit pour la boutique du musée. Le produit gagnant est effectivement fabriqué et mis en vente, et les bénéfices reversés à une œuvre caritative. De leur côté, les participants acquièrent des notions de design et de business ainsi que des soft skills. » D’autres programmes visent plutôt le segment de l’executive education : « Nous organisons divers séminaires à destination des professionnels – par exemple, nous proposons un cours de création d’entreprise aux designers souhaitant se mettre à leur compte. » Mais l’approche se veut grand public. « Il n’y a pas besoin d’être spécialiste pour s’intéresser au design. Nous cherchons tous à comprendre le monde qui nous entoure. Or le design se trouve partout autour de nous. C’est un processus de création à l’œuvre dans la plupart des composantes du monde contemporain. »
Les comptes sont bons
Autre enjeu de la diversification de l’offre menée par Alice Black : le Design Museum s’autofinance à 98 %, la dotation de l’État ne représentant qu’une part minime de son budget. Il faut donc multiplier les sources de revenus. « Je ne pense pas qu’il y ait de musée dans une configuration équivalente en France… » Heureusement, le lien se fait naturellement entre l’univers du design et le monde de l’entreprise, ce qui ouvre la voie à des partenariats fructueux sur tous les plans. « Par exemple, nous faisons partie intégrante du parcours d’apprentissage des designers chez Jaguar Land Rover. C’est du gagnant-gagnant : en venant se former dans nos murs, ils nous permettent aussi de rester en prise directe avec la nouvelle garde du design et l’évolution des pratiques. »
Tout roule donc ? « J’avoue que je me prépare à des années difficiles à cause du Brexit… » Le Design Museum fait régulièrement venir des expositions d’Europe, et envoie les siennes sur tout le continent. « Si le mouvement des personnes et des biens se complexifie, nous continuerons ces opérations, mais nous le ferons moins souvent, et moins bien. » Sans oublier un autre impact : « Nombre de nos entreprises partenaires ont déjà pris le départ pour Paris ou le Luxembourg. »
Une situation qui ne fait que conforter Alice Black dans son rôle de représentation et de promotion du design : « Les industries créatives comptent parmi les forces du Royaume Uni. Les mettre en valeur, c’est donner une meilleure image du pays, et raconter une histoire plus positive que le Brexit. »
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
Paru dans Reflets #126. Pour accéder à l’intégralité des contenus du magazine Reflets ESSEC, cliquez ici.
Illustration : © Phil Sharp
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