Alicia Knock (E13), plus jeune conservatrice du Centre Pompidou : « J’exerce 25 métiers à la fois »
Reflets #121 vous fait découvrir le parcours d’Alicia Knock (E13), conservatrice de métier mais pas d’esprit, qui apporte un souffle nouveau aux collections et à la programmation du Centre Pompidou.
« J’ai été une des premières à bénéficier du partenariat entre l’ESSEC et l’École du Louvre. » Le choix de ce double cursus relevait de l’évidence pour Alicia Knock, issue d’une khâgne avec une spécialisation en histoire de l’art et titulaire d’un master en art et langage à l’EHESS. « J’ai aussi fait tous mes stages dans des musées – au Met de New York, au Musée national d’art contemporain de Moscou, au Musée d’art moderne de la ville de Paris… » De quoi l’armer pour décrocher le concours du patrimoine en même temps que son diplôme d’école de commerce, puis pour intégrer le Centre Pompidou après un passage par la Tate Modern à Londres, la Maison Rouge à Paris et la Métropole de Metz.
Un cas isolé ?
« Les profils se diversifient parmi les conservateurs. Ma promotion compte aussi des Normaliens et des Sciences Po. » Et c’est tant mieux dans un moment où le métier évolue considérablement – ce qui Alicia Knock confiante pour l’avenir des musées. « Notre génération, formée à la flexibilité et la mobilité, risque de bousculer le traditionnel ancrage de la fonction publique. La perspective de créer de nouveaux réseaux entre national et territorial, public et privé, fait d’emblée partie de notre champ d’action. Ce qui présage, malgré un contexte de restriction budgétaire sévère, de mutations passionnantes ! »
De fait, on assiste actuellement à un véritable changement de culture : « Nos activités ne se limitent plus au seul champ scientifique. Elles deviennent de plus en plus liées au financement des institutions culturelles, notamment à la recherche de mécénat. » Le fait d’avoir suivi un cursus en gestion constitue un atout pour comprendre ces enjeux. « Je suis familiarisée aux enjeux de la coopération, de l’internationalisation et de l’élaboration d’un budget. Cela me sert et me permet de me préparer à d’éventuels postes de direction d’établissement. »
Maître d’œuvres
Aujourd’hui, Alicia Knock travaille avec Christine Macel, qui l’a choisie pour l’épauler au sein du département Création contemporaine et prospective du Centre Pompidou qu’elle a créé il y plus de dix ans. « Je suis chargée de faire entrer dans nos collections les œuvres qui feront le patrimoine de demain. » Mais vouloir identifier dès aujourd’hui les artistes qui résisteront à l’épreuve du temps, n’est-ce pas jouer au devin ? « Ce n’est pas le seul recul de l’histoire qui permet de faire le tri entre les artistes. Régulièrement, des anciens qu’on a ignorés pendant des siècles sont redécouverts, et d’autres qu’on a encensés tombent dans l’oubli… Quels que soient le courant et la période d’origine, il y a des modes et des relectures au fil des siècles. C’est le sens même de notre métier, qui exige une interprétation : une exposition est aussi une forme de pièce de théâtre ! » Alicia Knock ne vise pas au hasard pour autant. « Quand un musée fait une acquisition, c’est à l’aune d’une sédimentation qui a déjà eu lieu, l’œuvre n’apparait jamais de nulle part, elle a toujours un ancrage et un potentiel historique. » Sa cote sur le marché de l’art contemporain n’entre pas en ligne de compte. « Il n’y pas de pression à acheter les artistes fabriqués par la spéculation financière. C’est là le cœur de la mission de service public qui est la mienne, et qui me pousse au contraire à résister aux dérives du marché de l’art. D’autant que nous aurions du mal à nous aligner… »
Toute une programmation
Non contente d’enrichir les collections du Centre Pompidou, Alicia Knock doit aussi les valoriser. « J’organise des expositions – sept sur les deux dernières années ! Mais aussi des projections, des rencontres… » Elle s’est ainsi occupée des deux dernières expositions du Prix Marcel Duchamp, qui distingue chaque année un artiste français ou résidant en France, représentatif de sa génération et travaillant dans le domaine des arts plastiques et visuels : installation, vidéo, peinture, photographie, sculpture…
Chacun de ses projets répond à la même exigence : « J’essaie de mettre en avant des travaux qui nous engagent avec le monde. La France a une tradition très intellectuelle, voire conceptuelle ; elle est le berceau de l’art autoréférentiel, de l’art pour l’art. Je tente de défendre les œuvres qui nous renvoient à des contextes sociaux, historiques, politiques – tout en ayant un impact esthétique. C’est un équilibre rare ! » Elle a également fait un projet sur l’Amérique des marges avec le sulfureux cinéaste américain Harmony Korine et prépare une exposition sur les rapports Chine-Afrique, « pour analyser la rencontre de ces deux puissances qui cherchent à inventer un monde en dehors de l’Occident ». Elle défend aussi beaucoup les artistes femmes, « car elles ne sont pas assez visibles ». Elle veille cependant à éviter toute ghettoïsation. « Il ne me viendrait pas à l’idée de proposer au Centre Pompidou une exposition exclusivement consacrée aux femmes ou à l’Afrique. J’aimerais juste faire en sorte de les inclure à notre histoire… »
Dans la même optique, elle s’efforce d’ouvrir le Centre Pompidou à des régions géographiques encore peu explorées. « Je concentre mes efforts sur l’Afrique de l’Ouest francophone, car nous avons un passé en commun, et sur l’Europe de l’Est, avec laquelle je nourris un lien affectif. » Elle a ainsi créé un groupe de collectionneurs spécialisés dans l’Europe Centrale au sein de la Société des Amis du Centre Pompidou, qu’elle anime au quotidien. « En fait, j’exerce 25 métiers à la fois. Pas le temps de m’ennuyer ! »
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)
Paru dans Reflets #121. Pour accéder à l’intégralité des contenus du magazine Reflets ESSEC, cliquer ici.
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