Annie Jullien-Pannelay (E05), principal à l'Economist Intelligence Unit : « La France et le Royaume-Uni ne partagent pas les mêmes objectifs en matière de santé »
Annie Jullien-Pannelay (E05), principal pour le pôle santé chez Economist Intelligence Unit (EIU), partage son expérience des systèmes de soins français et britanniques.
ESSEC Alumni : Comment mesure-t-on la performance d’un système de santé ?
Annie Jullien-Pannelay : L’OMS utilise notamment le DALY, en français EVCI, qui consiste à soustraire à l’espérance de vie le nombre d’années perdues à cause de la maladie, du handicap ou d’une mort précoce.
Chez EIU, j’utilise des indicateurs et des études comparatives intégrant des données aussi diverses que le coût ou les inégalités d’accès en fonction du genre, de l’âge ou de la classe sociale.
Sans oublier le taux de satisfaction des patients, qui complexifie l’analyse. Les Français ont tendance à évaluer leur système plus sévèrement que les Américains ; pourtant, selon des critères objectifs, la Sécurité sociale marche mieux.
EA : Le Royaume-Uni figure-t-il parmi les bons élèves ?
A. Jullien-Pannelay : Le pays maîtrise bien ses coûts, avec des dépenses de santé s’élevant à 4 348 $ par personne et par an, contre 9 304 $ pour les États-Unis (source : EIU, 2014). Pour autant, le budget n’est pas à l’équilibre : on craint un déficit de 2 milliards £ pour 2015. Et les indicateurs de performance ne sont pas tous au beau fixe : par exemple, les traitements du cancer – notoirement celui du poumon – pourraient être améliorés.
EA : Comment expliquer ce bilan mitigé ?
A. Jullien-Pannelay : C’est probablement la conséquence de la politique du NICE (National Institute for Health and Care Excellence), qui choisit les médicaments et les parcours de soins couverts par le NHS (National Health Service) en fonction d’un rapport coût-efficacité. Autrement dit, le NICE décrète combien la société est prête à payer pour prolonger l’existence d’un citoyen ; à savoir entre 20 000 et 30 000 £ pour une année supplémentaire. Ce calcul très précis mériterait pourtant d’être ajusté pour certaines pathologies. Les décisions du NICE sont notoirement très tranchées pour les traitements les plus innovants liés aux cancers, souvent onéreux – au point qu’un fonds spécial a été mis en place pour ces derniers. Mais là encore, le dispositif est remis en cause pour des raisons financières.
En France, l’approche diffère. La Commission de la Transparence mesure l’amélioration apportée par le médicament, puis le CEDIT (Comité d’évaluation des technologies de santé) fixe le tarif en conséquence. L’approche prend en compte le degré d’innovation du produit, plus que les considérations budgétaires. Pour nous, la vie n’a pas de prix.
EA : Une fois l’étape du NICE franchie, comment fonctionne le NHS ?
A. Jullien-Pannelay : L’idée, c’est de ne pas gâcher un centime pour des consultations inutiles. Le GP (« general practitioner ») joue le rôle de « gatekeeper ». Il tient à jour un dossier médical centralisé accessible en ligne à l’ensemble du personnel soignant, et il recommande toute consultation avec un spécialiste. Il ne se déplace jamais et n’exerce qu’en semaine. Le week-end, les patients peuvent appeler le numéro 111 pour déterminer si leur cas nécessite une intervention immédiate. Les urgences ne prennent le relais que si cela paraît justifié.
Autre disposition permettant de diminuer le nombre de sollicitations : des médicaments comme l’aspirine et le paracétamol ne font pas l’objet de prescriptions et sont en vente pour quelques centimes dans les supermarchés ou les enseignes paramédicales. De même pour les lunettes de vue : pas besoin de se rendre chez l’ophtalmologiste, l’opticien est habilité à décider leur renouvellement.
EA : Certains diront que le patient est livré à lui-même…
A. Jullien-Pannelay : Je répondrai qu’il est responsabilisé – et c’est pour son bien ! En témoigne l’exemple du diabète. Le NHS propose aux personnes concernées des cours sur les implications de la maladie, sur le fonctionnement des médicaments et sur l’intérêt de les prendre régulièrement. Au bout de cinq ans, on constate une vraie différence entre ceux qui suivent ces programmes et ceux qui s’abstiennent ; les uns connaissent moins de complications, quand les autres enregistrent un taux de sucre dans le sang supérieur. Un patient qui comprend son traitement en respecte mieux les contraintes, pour de meilleurs résultats.
EA : Le système britannique est-il plus efficace que le système français ?
A. Jullien-Pannelay : Selon le Panorama de la santé de l’OCDE 2015, les dépenses de santé du Royaume-Uni représentent 8,5 % du PIB, contre 10,9 % pour sa voisine.
Cependant, cette comparaison mérite d’être recontextualisée. Les deux pays ne partagent pas les mêmes objectifs en matière de santé – car ils n’en donnent pas la même définition. Le Royaume-Uni s’intéresse uniquement à l’état physique et mental, sans y associer la notion de bien-être : lorsqu’on prescrit une séance de kinésithérapie, on impose l’intervenant et l’horaire du rendez-vous. En France, on se montre plus attentionné : à l’hôpital, on bénéficie d’une chambre individuelle et de repas élaborés. Cette préoccupation induit nécessairement des coûts plus élevés qu’outre-Manche, où on ne finance que le strict nécessaire. Certains saluent ce pragmatisme, d’autres déplorent le manque d’empathie qui en découle. Les médecins sont connus pour exercer en techniciens, en négligeant la dimension humaine de leur métier.
L’accompagnement des femmes enceintes illustre bien cette différence. À moins que la grossesse ait présenté des risques, le NHS encourage l’accouchement à domicile ; s’il a lieu à l’hôpital, il est sans anesthésie, et le plus souvent suivi d’un retour chez soi six heures seulement après la naissance. Car, aux yeux du système, soulager la douleur relève du confort, pas de la santé… Du coup, il faut insister pour obtenir la péridurale – ou se tourner vers le privé où les frais sont entièrement à la charge du patient.
EA : Le système n’est donc pas si égalitaire qu’il y paraît…
A. Jullien-Pannelay : Cela dépend du point de vue. La prise en charge est certes moins complète qu’en France, mais elle est entièrement gratuite. Il n’y a pas de paiement suivi d’un remboursement – ce qui constitue un avantage certain pour les populations à la trésorerie limitée.
En revanche, il est vrai que si l’on veut contourner le NHS, on doit assumer l’intégralité des coûts. Le principe de mutuelle complémentaire n’existe pas vraiment. La facture peut vite grimper, et le spectre d’un système à deux vitesses ressurgit.
Propos recueilis par Louis Armengaud Wurmser (E11), responsable des contenus ESSEC Alumni
Avant d’intégrer l’Economist Intelligence Unit, Annie Jullien-Pannelay a exercé en tant que pharmacienne résidente au CHU de Nice, puis occupé diverses fonctions d’analyse, de stratégie et de conseil dans l’industrie pharmaceutique ainsi qu’en banque, toujours en lien avec le secteur de la santé. Elle a travaillé en Europe, à Hong Kong et à New York avant de poser ses valises à Londres. Elle est également vice-présidente du chapter ESSEC UK.
Article paru dans le n°112 de Reflets ESSEC Magazine. Pour s’abonner, cliquer ici.
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