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David Ringrave (E92), co-auteur de Réussites françaises : « Notre livre montre que tout le monde peut tenter sa chance »

Interviews

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12/02/2018

Lui-même entrepreneur à succès, David Ringrave (E92) publie avec Rémi Raher Réussites françaises, dans lequel vingt entrepreneurs, dont de nombreux alumni, racontent leurs parcours et prodiguent leurs conseils.  

ESSEC Alumni : Pourquoi avoir voulu réaliser ce livre ? 

David Ringrave : C’est une idée que j’ai en tête depuis un cours d’entrepreneuriat à Columbia où l’un de nos supports s’intitulait « Tales of Successful Entrepreneurs ». Pour les besoins pédagogiques, chaque cas était très technique et touffu, mais cela m’a donné envie de raconter la fabuleuse histoire de belles sociétés françaises.
Ce livre me tient aussi à cœur car j’ai entrepris mon aventure d’entrepreneur sur le tard, à 33 ans. J’ai d’abord dû me débarrasser de nombreuses croyances sclérosantes et d’une peur de l’échec développées au collège puis durant mes études… Finalement, j’ai écrit le livre que j’aurais aimé lire dans ma jeunesse !
Je précise qu’à mon époque (1989-92), l’entrepreneuriat n’était pas enseigné en école de commerce. Il y avait quelques exemples inspirants, mais le « dream job » (et la pression qui va avec) était classiquement celui de chef de projet grande conso, analyste dans une banque d’affaires ou auditeur dans un cabinet de conseil en stratégie… On était loin de l’esprit d’aventure actuel.

EA : Le titre prend le contrepied du proverbial pessimisme français… C’est volontaire ? 

D. Ringrave : On voulait en effet quelque chose de positif à la Amélie Poulain, avec une couverture aux couleurs vives et un titre aussi jovial qu’explicite. Je précise cependant que cet optimisme n’est pas forcé : de fait, en tant qu’entrepreneur, je vois des opportunités là où d’autres, peut-être, voient des menaces…

EA : Après avoir compilé tous ces portraits, diriez-vous qu’il y a un entrepreneuriat « à la française » ? 

D. Ringrave : Il y a un environnement français particulier, très porteur. Certes, les probabilités jouent contre l’entrepreneur et le taux d’échec est très élevé, c’est un sujet qu’il ne faut pas éluder ; mais si on se plaint souvent de la lourdeur administrative de la France, des impôts et du mépris de l’argent, notre pays offre aussi beaucoup d’aides au démarrage ou en cas d’accident. Sans oublier, plus largement, notre système social. Pôle Emploi est probablement le premier incubateur d’Europe ! Beaucoup d’entrepreneurs s’appuient sur le temps offert par l’assurance-chômage pour lancer leur projet, avec un horizon de 18 à 24 mois pour se dégager un salaire. C’est tout de même beaucoup plus confortable que de devoir survivre en puisant dans ses propres économies ! Et ça offre une certaine sérénité qui permet de faire des choix plus avisés que si on se demande comment on va nourrir ses gosses à la fin du mois…
Dans la préface du livre, Xavier Niel ironise d’ailleurs en expliquant que la France est un paradis fiscal. La formule est provocante, mais elle donne à réfléchir !
En revanche, concernant le financement, pour avoir fréquenté pas mal de fonds, il est vrai qu’en Europe, le focus est porté sur l’EBIT dégagé par une entreprise, tandis qu’aux États-Unis, l’important réside dans la croissance. Autrement dit, pour lever des fonds en Europe et en France, il y a une vraie nécessité de convaincre rapidement sur le business model et sa profitabilité à court terme. Alors qu’aux États-Unis, l’attention se porte davantage sur la croissance potentielle du chiffre d’affaires, même si la rentabilité est plus lointaine.

EA : Dans ce contexte, quelles sont les clés pour réussir son projet entrepreneurial en France ?

D. Ringrave : Il y a beaucoup de choses à dire sur le sujet, et cela dépend en partie de la personnalité du porteur de projet. D’ailleurs, nous avons demandé à chaque entrepreneur témoignant dans Réussites françaises de donner trois conseils aux lecteurs, et les réponses sont d’une grande diversité.
Cela étant dit, à la lumière de ma propre expérience et de mon tempérament, je pense que pour réussir son coup, une des premières clés est de bien s’associer. Quand on monte sa boîte, on est confronté à des problèmes stressants, les enjeux sont grands et la pression est forte… On est plus fort à deux ou trois pour résister quand le vent souffle. Mais il ne faut pas non plus s’associer avec le premier venu : il est indispensable d’avoir les mêmes ambitions, de partager des valeurs communes et d’avoir une confiance totale en ses partenaires.
La deuxième clé est d’avancer vite. Lorsque j’ai monté une agence média avec Anthony Ravau, nous étions 4. Nous sommes désormais 130, avec l’une des premières agences media en France (My Media) et le leader du conseil en référencement naturel (Search Foresight). Nous sommes parvenus à ce résultat grâce à notre agilité et à notre capacité à décider et exécuter rapidement. Plus qu’une compétence, c’est surtout une disposition d’esprit : avancer vite demande d’accepter l’erreur, mais aussi de rectifier vite et d’accélérer quand les conditions s’y prêtent… Ou de pivoter avant que le mur n’arrive !
La troisième clé, c’est de rester concentré. La tentation est grande de tout faire, soit parce qu’on sait le faire, soit parce qu’on aimerait que tout soit fait à notre manière. Dès lors, se concentrer sur sa valeur ajoutée dans l’organisation du travail ou dans la définition ou formulation de son offre client est loin d’être évident. Mais c’est précisément en se focalisant sur ce qu’on apporte « en plus » qu’on fait la différence – et ce, quel que soit le stade de développement de l’entreprise. Il faut toujours éviter de se disperser, professionnellement et personnellement. Je ne le sais que trop bien pour m’être brûlé les ailes à vouloir monter un bar à tapas… On ne s’improvise pas restaurateur. J’ai retenu la leçon après y avoir laissé de l’argent et de l’énergie que j’aurais dû consacrer à mon activité principale.
La quatrième clé, c’est d’anticiper les étapes à venir dans la vie de son entreprise. Je pense notamment à la question du financement de la croissance. Et sans mettre la charrue avant les bœufs, mieux vaut réfléchir en amont à la sortie, au moins pour s’assurer de l’alignement des actionnaires et bien négocier ses tours de financement. La taille croissante de l’entreprise appelle aussi de nouvelles fonctions et une restructuration. Bref, avancer vite ne signifie pas improviser. Du reste, l’improvisation demande énormément de travail préparatoire à un acteur ! 
Enfin, la cinquième clé est de gérer son cash. Je suis passé complètement à côté de mon cours de gestion de trésorerie d’entreprise à l’ESSEC. Pourtant, c’est le nerf de la guerre. Plusieurs témoins de Réussites françaises ont frôlé le dépôt de bilan à cause d’une négligence dans ce domaine… Il importe donc de suivre son « cash-burn ». D’autant qu’une trésorie faible met en position de faiblesse quand vient le moment de négocier avec les banques et les fonds. Rien de plus horrible que de devoir brader son capital alors que le potentiel de sa boîte est immense !

EA : Il y a de nombreux alumni parmi les entrepreneurs présents dans votre livre : Valérie Abehsera (E92) de Balinéa, Marion Carrette (E96) de OuiCar, Matthieu Gehin (E11) de Solendro, Guillaume Paoli (E95) d’Aramisauto, Sixte de Vauplane (étudiant) de Nestor… Selon vous, l’ESSEC favorise-t-elle l’entrepreneuriat ?

D. Ringrave : À dire vrai, on ne s’est pas rendu compte qu’il y avait autant d’alumni parmi les répondants ! Ce qui réunit les entrepreneurs, c’est surtout une communauté d’expérience. L’entrepreneuriat rebat les cartes des étiquettes d’écoliers, qui perdent en importance puisqu’on est jugé sur le présent et le futur plutôt que sur le passé.
Une formation généraliste en école de commerce n’en reste pas moins un véritable atout quand on lance une start-up, car un entrepreneur est obligé de porter plusieurs casquettes. Il fait face à des problèmes qu’il ne maîtrise pas techniquement, mais doit savoir les identifier et bien s’entourer.
La seule limite des grandes écoles, c’est qu’elles n’échappent pas à un certain formatage, avec des voies royales, des cases qu’il faut cocher dans son CV. Ces schémas mentaux ont la vie dure. Moi-même, il m’a fallu du temps pour en sortir.

EA : On compte seulement 4 femmes parmi vos Réussites françaises. Comment l’expliquez-vous ?

D. Ringrave : De fait, nous avons remarqué en préparant l’ouvrage que les femmes étaient globalement plus réticentes que les hommes à nous répondre et à se mettre en avant… Le problème est plus large : dans son livre paru en 2012, Marc Simoncini, fondateur de Meetic devenu ensuite business angel, note que seuls 5 % des dossiers qui lui parviennent sont portés par des femmes.
Heureusement, cinq ans plus tard, les chiffres ont déjà beaucoup changé. On dénombre 40 % de femmes parmi les start-up incubées au sein de Station F. Un chiffre qui n’est sans doute pas dû au hasard puisque la directrice de Station F, Roxanne Varza, est particulièrement engagée sur la place des femmes dans l’écosystème de l’entreprise. Le plafond de verre se fissure ; il ne devrait plus tarder à céder.

EA : Xavier Niel, fondateur de Station F, signe la préface de l’ouvrage. Comment êtes-vous entré en lien avec lui, et quel rôle joue-t-il dans le projet ?

D. Ringrave : Nous cherchions une figure médiatique ou influente, pour augmenter nos chances de succès commercial. Xavier Niel était le premier nom sur la liste. On n’osait pas y croire – mais il nous a répondu positivement dans les 2 jours qui ont suivi notre sollicitation. La chance sourit aux audacieux… C’est une bonne devise pour un entrepreneur !

EA : Quel message souhaitez-vous faire passer à vos lecteurs ?

D. Ringrave : À travers la diversité des personnalités, des parcours et des ambitions, nous voulons montrer que tout le monde peut tenter sa chance. À cet égard, notre rencontre avec Didier Roche, entrepreneur aveugle qui multiplie les créations d’entreprises et les engagements associatifs, nous a beaucoup émus et inspirés.
Nous avons aussi veillé à ne pas gommer les échecs et galères de certains de nos témoins. Car leur expérience montre qu’on apprend de ses erreurs, que cela rend plus fort pour la suite de son parcours.

EA : Si vous deviez vous adresser particulièrement aux élèves de l’ESSEC ? 

D. Ringrave : Vous n’avez pas grand-chose à perdre, pas encore d’enfants ou de mensualités à rembourser pour votre logement ; en revanche vous avez beaucoup à découvrir et à gagner. Certes, on apprend beaucoup en cours, dans les stages et par l’apprentissage. Mais se lancer dans l’entrepreneuriat dès la fin de ses études, voire pendant, est le meilleur moyen de mettre en application toutes les matières de l’école, de se former en expérimentant et en se débrouillant.
Et même en cas d’échec, il vous sera tout à fait possible d’intégrer un cabinet de conseil ou une grande entreprise, fort d’une telle expérience, bien plus originale qu’un stage ou un poste d’auditeur junior. Le seul vrai risque, c’est de ne plus avoir envie de revenir sur un chemin plus traditionnel.

EA : Et aux diplômés ? 

D. Ringrave : Il n’est jamais trop tard ! J’ai toujours admiré ces jeunes qui créent leur boîte dès 20 ans, moi qui ai eu une révélation tardive. Cependant, ils commettent d’autres erreurs qu’un manager plus aguerri ne fera pas… De fait, il n’y a pas d’âge pour entreprendre : on le fait quand on est prêt. Que vous soyez poussés à la sortie, hésitants sur une opportunité, en recherche de sens ou de liberté… Osez franchir le pas.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)

 

À propos de David Ringrave

David Ringrave débute chez France Télévisions Publicité en tant que commercial, puis est nommé directeur media chez Universal Music. Il fait ensuite un passage éclair chez Bain & Cie, avant de devenir successivement responsable marketing chez Pathé Distribution et directeur commercial chez Carat Aegis. En 2005, il monte My Media avec Anthony Ravau, alors directeur de la marque Neuf Telecom. Après 13 ans de croissance organique et externe soutenue et de diversification par joint ventures et acquisitions, My Media Group est aujourd’hui l’une des agences référentes du conseil media et achat d’espace, leader du DRTV (Direct Response TV) avec les lancements réussis de Zalando, Edarling, Adopte un Mec, Trivago, Tripadvisor ou encore Blablacar, et leader français du conseil en référencement naturel.
David Ringrave est également investisseur et board member auprès de diverses start-up (Ykone, Once, Or du Monde…) et du fonds d’entrepreneuriat social Entreprendre &+ aux côtés d’Arnaud de Ménibus. Par ailleurs, passionné de cinéma, il co-produit le premier long métrage d’Emmanuel Gillibert, Les Dents, Pipi et au Lit, sur les écrans le 28 mars.

 

En savoir plus : 

www.reussites-francaises.fr

 

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