Diego Dabène (E14), professeur en REP : « Le système éducatif français est caractérisé par l’inégalité »
Après 3 ans en entreprise, Diego Dabène (E14) enseigne les mathématiques en Réseau d’Education Prioritaire. Une reconversion éclair qu’il a pu mener avec l’aide de l’organisation Le Choix de l’École. Témoignage.
ESSEC Alumni : Qu’est-ce qui dans votre parcours vous a mené à envisager l’enseignement en collège ?
Diego Dabène : Dès mon arrivée à l’ESSEC, je me suis éloigné des parcours classiques d’école de commerce pour me spécialiser dans l’Économie Sociale et Solidaire. Pendant ma scolarité et au-delà, tous mes choix académiques et professionnels ont suivi cette même logique : donner du sens à mon travail. Les questions d’éducation m’intéressant tout particulièrement, j’ai voulu faire l’expérience de l’enseignement en REP pour connaître au mieux les conditions dans lesquelles évoluent les jeunes élèves de notre pays qui n’ont pas la chance d’être nés dans des milieux aisés.
EA : Pourquoi être passé par le programme Le Choix de l’École ?
D. Dabène : Le Choix de l’École offre une préparation et un accompagnement au métier de l’enseignant dont je n’aurais pas bénéficié en accédant à l’Éducation Nationale de manière traditionnelle. Cela se traduit d’abord par une université d’été d’un mois avant la première rentrée scolaire, ce qui permet d’aborder cette dernière de manière plus sereine. Puis le Choix de L’École propose un tuteur qui nous suit tout au long de l’année, notamment à travers l’observation d’heures de cours, ce qui facilite grandement la progression et l’amélioration des techniques d’apprentissage et de gestion de classe des enseignants.
EA : À quelle étape du programme en êtes-vous aujourd’hui ?
D. Dabène : Je viens de terminer ma première année d’enseignement à Montfermeil (93) en tant que professeur de mathématiques. Je m’apprête à participer une nouvelle fois à l’université d’été organisée par Le Choix de l’École, cette fois en tant qu’enseignant de deuxième année, notamment pour partager mon expérience avec les jeunes enseignants récemment recrutés. La programme durant 2 ans, j’effectuerai à partir de septembre prochain ma deuxième (et donc a priori dernière) année d’enseignement. Je resterai a priori dans le même collège que cette année.
EA : Le métier de professeur correspond-il à ce que vous imaginiez ?
D. Dabène : Les conditions en REP sont très différentes de celles que j’ai connues en tant qu’élève. Finalement, je suis beaucoup plus « éducateur » que professeur de mathématiques. Nombre des situations que je rencontre n’ont rien à voir avec la discipline que j’enseigne, mais touchent plutôt aux notions de savoir-vivre, de respect, de travail et de discipline. Les codes scolaires sont tellement loin d’être acquis, les heures de cours peuvent souvent beaucoup tourner autour de l’acquisition de ces codes plutôt que de la compréhension des mathématiques elles-mêmes.
Autre source d’étonnement : l’inventivité dont il faut faire preuve pour trouver la bonne manière d’expliquer une notion selon l’élève auquel on s’adresse. Il n’y a pas de remède universel aux difficultés d’apprentissage. Il faut s’adapter à la manière de penser de chacun. C’est une dialectique très intéressante.
EA : Et la situation dans les réseaux d’éducation prioritaire ressemble-t-elle à l’image que vous en aviez ?
D. Dabène : Globalement, oui. Mais je n’en ai pas moins été très marqué par l’impact qu’ont les difficultés familiales et personnelles sur la scolarité. Pour certains élèves, l’exigence d’un travail régulier s’avère inappropriée, tant la situation à la maison est compliquée. C’est alors l’avantage d’enseigner en REP, puisque des dispositifs existent pour pallier ces inégalités – par exemple, des heures supplémentaires sont offertes aux professeurs pour faire de l’aide aux devoirs, dispositif auquel j’ai moi-même participé. Cela dit, la différence entre l’objectif théorique et la réalité peut parfois être immense…
EA : Quel est votre souvenir le plus difficile en classe ?
D. Dabène : J’ai été cette année le professeur de mathématiques de la 3ème Prépa Pro, une nouvelle classe censée faire découvrir à un groupe d’élèves (volontaires) le monde de l’entreprise avant l’entrée au lycée professionnel. Le principe semble bon, mais la réalité est toute autre : il s’agissait dans les faits d’une classe où sont regroupés tous les élèves dont l’orientation était incertaine et dont le comportement était problématique tout au long de leur scolarité. J’ai vécu des heures de cours extrêmement difficiles, surtout en début d’année. En particulier, vers novembre, un même élève a, pendant mon cours, montré ses fesses à la classe, craché sur la fenêtre et frappé violemment une autre élève, avant de quitter la salle sans autorisation…
EA : Et votre souvenir le plus satisfaisant ?
D. Dabène : Ils sont beaucoup trop nombreux pour n’en citer qu’un. Disons qu’il n’y a pas plus satisfaisant que d’entendre un élève passer de « Je comprends rien aux maths ! » à « Ah mais en fait c’est facile ! ».
EA : Comment un profil comme le vôtre est-il reçu par le reste du corps professoral et administratif ?
D. Diabène : J’ai eu la chance de travailler dans un collège où l’équipe des professeurs a été accueillante et ouverte. Tous ont accueilli mon parcours différent comme une opportunité et non une menace. Grâce à mes études managériales, j’ai notamment pu prendre une part active à des ateliers de création d’entreprise avec les 3èmes en collaboration avec l’équipe de technologie. Il est à noter en revanche que compte tenu de la zone où j’enseigne (Seine-Saint-Denis), le nombre de professeurs jeunes (et aussi contractuels) est assez élevé, ce qui facilite le travail en commun et l’acceptation des différences.
EA : Le fait d’avoir participé au programme Pourquoi Pas Moi (PQPM) pendant vos études à l’ESSEC vous aide-t-il dans votre nouveau métier ?
D. Diabène : PQPM m’a énormément préparé à ce métier. Même si la tranche d’âge est différente, l’activité elle-même de gestion d’un groupe est très similaire. Il s’agit de s’adresser à tous d’une manière unique, tout en adaptant son discours à chaque cas particulier. Aussi, dans les deux cas, j’ai été amené à organiser des activités à la fois pédagogiques et suffisamment ludiques pour intéresser des jeunes.
En revanche, là où la différence est plus marquée, c’est le contexte dans lequel évoluent les jeunes. Dans le programme PQPM, les jeunes sont volontaires, et ils sortent du lycée pour se rendre à l’ESSEC. Dans mon travail actuel, le contexte est scolaire, et pour bon nombre d’élèves, le problème part déjà de là…
EA : À quoi ressemble le réseau du programme Le Choix de l’École ?
D. Dabène : Le profil-type de l’enseignant du Choix de l’École est très similaire au mien : jeune diplômé d’une école française prestigieuse (Sciences Po, Polytechnique, HEC…) avec peu ou pas d’expérience professionnelle préalable. La cohésion du groupe est très forte. Nous sommes une trentaine et travaillons beaucoup ensemble, notamment au sein d’une même discipline. Cela se traduit par un partage complet de nos travaux, des réunions de réflexion et de travail, ou tout simplement des séances de correction de copies ensemble. C’est sans doute l’un des points les plus importants de l’expérience du Choix de l’École : l’entraide entre enseignants.
EA : À ce stade de votre expérience, quel état des lieux dressez-vous de l’enseignement en France ?
D. Dabène : Le système éducatif français est caractérisé par l’inégalité. Les élèves en REP de Seine-Saint-Denis sont grandement désavantagés par rapport à d’autres enfants issus de milieu plus favorisés. Le capital culturel est pauvre, le goût de l’école et de l’apprentissage est souvent inexistant, l’appui des parents est rare, les situations familiales sont très compliquées voire parfois dramatiques, et les conditions d’apprentissage peuvent être épouvantables. Malgré les moyens mis en place dans le type d’établissement dans lequel j’enseigne, les différences se creusent déjà bien avant le collège, et les enseignants que nous sommes ont parfois le sentiment qu’il est déjà trop tard.
EA : Quelles sont vos perspectives à l’issue du programme Le Choix de l’École ?
D. Dabène : Je compte passer le CAPES l’année prochaine afin de pouvoir continuer à enseigner dans de meilleures conditions que celles qui me sont offertes avec le statut de contractuel. Je prévois donc de continuer l’enseignement en REP, mais pour quelques années tout au plus. Je souhaite ensuite rester dans le domaine de l’éducation, mais cette fois à plus grande échelle que celle de la salle de classe. Reste à voir par quoi cela se traduira : association, fondation, ONG, secteur public, organisation internationale…
EA : Quels conseils donneriez-vous à un ESSEC souhaitant suivre votre exemple ?
D. Dabène : L’expérience d’enseignant en REP est incroyable et je la conseille à tout jeune diplômé, quelles que soient les aspirations professionnelles. J’ai l’impression d’avoir plus appris en 3 trimestres que pendant mes 3 années de carrière en entreprise après l’obtention de mon diplôme. Savoir gérer un groupe, adapter son discours et ses méthodes à son interlocuteur ou encore travailler en équipe… Voilà autant de compétences que j’ai développées en classe et qui sont également essentielles à la vie en entreprise. Cette première année d’enseignement m’a en outre beaucoup appris sur moi-même, notamment en termes de gestion des émotions, de patience et de self-control. Il faut avoir la carapace dure pour exercer ce métier et ne pas se laisser affecter ni emporter. Mais ce que les élèves nous rendent n’a pas de prix…
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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