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Francis Duan (M12) : « Dans 10 ans, les marques de luxe chinoises concurrenceront les maisons occidentales »

Interviews

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28/01/2020

Louis Vuitton à Shanghai, Christian Dior à Taipei et Singapour, Moynat et Chanel à Hong Kong… Depuis 10 ans, Francis Duan (M12) explore le marché du luxe chinois. Il nous raconte ses pérégrinations.

ESSEC Alumni : Vous êtes franco-chinois d’origine parisienne. Pourquoi avoir quitté la France pour la Chine ? 

Francis Duan : Le déclic a eu lieu en 2008, lorsque j’ai travaillé comme interprète pour les Jeux Olympiques de Pékin. J’ai pris conscience de la puissance et de l’attractivité économique du pays, de l’optimisme de ses ressortissants. Ça m’a séduit.

EA : Le marché chinois du luxe vous attirait-il particulièrement ? Pourquoi ? 

F. Duan : Je suis très sensible à la promotion et au rayonnement du savoir-faire français. Travailler dans le luxe me donne le sentiment d’être l’ambassadeur de la culture française en Chine.

EA : Le marché chinois du luxe vous a-t-il surpris ?

F. Duan : Le plus étonnant, c’est que les Chinois sont généralement très épargnants, mais qu’ils font exception pour le luxe. Nous avons des clients qui économisent pendant 6 mois pour s’acheter un sac. En France ça paraîtrait extrême, en Chine c’est au contraire source de fierté, un symbole de réussite sociale et économique. Et puis les consommateurs chinois ont confiance en l’avenir : ils sont convaincus qu’ils gagneront plus demain, donc ils se lâchent plus.

EA : Que est le potentiel du marché chinois du luxe ? 

F. Duan : Un seul chiffre : on estime qu’en 2024, 50 % des consommateurs de luxe seront chinois. Même à Paris, les touristes chinois dominent les ventes !

EA : Vous avez travaillé dans diverses villes chinoises. Les enjeux sont-ils les mêmes pour les marques de luxe d’une ville à l’autre ?

F. Duan : C’est très différent. À Taipei, le marché est très concurrentiel, très concentré autour d’une centaine de familles d’industriels très riches, qui sont arrivées à maturité. À Singapour, le challenge c’est le staff ; les métiers de la vente sont peu valorisés, du coup on manque de talents. Shanghai est plus mode, plus jeune, plus tendance, tandis que Pékin abrite plus de grosses fortunes moins initiées, moins sophistiquées. Hong Kong est florissante car il n’y a pas de taxe, les prix moins élevés attirent les Chinois du continent.

EA : Y a-t-il des marques de luxe chinoises ?

F. Duan : De jeunes créateurs chinois commencent à émerger, ainsi que des marques se revendiquant d’un luxe à la chinoise. Elles fonctionnent bien mais n’arrivent pas encore à s’exporter, pour trois raisons. Primo : la révolution culturelle a détruit une bonne partie de l’héritage et des savoir-faire – sur la céramique, la jade, la laque… Deuxio : les nouveaux entrants ont trop tendance à privilégier le retour sur investissement immédiat au lieu de construire une image de marque sur le long terme. Tertio : jusqu’à présent, les Chinois eux-mêmes avaient un à priori négatif sur le made in China. 

EA : C'est en train de changer ?

F. Duan : À grande vitesse ! Pour l’instant, on reste sur un marché de niche, mais d’ici 10 à 15 ans, les marques de luxe chinoises constitueront une véritable alternative aux maisons occidentales et auront gagné une aura internationale.

EA : Votre double culture vous aide-t-il à faire le pont entre les marques françaises et le marché chinois ?

F. Duan : Le fait d’avoir vécu d’un côté comme de l’autre aide à comprendre certaines nuances, comme les différences de rapport à l’argent ou à l’art. Cela me donne en outre une ouverture d’esprit précieuse dans tout contexte interculturel. Par ailleurs je parle et écris le mandarin, c’est évidemment un atout.   

EA : Pensez-vous retourner un jour en France ? 

F. Duan : J’y retournerai pour la qualité de vie, pour l’éducation, pour l’accès à la culture, pour les valeurs humanistes. La France est unique au monde à cet égard, on en prend toute la mesure quand on vit à l’étranger.

EA : L’ESSEC et le réseau des alumni vous ont-ils aidé dans votre carrière en Chine ?

F. Duan : J’ai reçu de l’aide des diplômés de tous les programmes ! Je pense en particulier à Nicolas Morineaux (E99), qui est mon mentor depuis mes années à l’ESSEC BBA. Je donne aussi en retour. Je participe à chaque événement ESSEC et je réponds à chaque sollicitation d’un ou une camarade.

EA : Quels conseils donnez-vous aux alumni souhaitant travailler en Chine ?

F. Duan : Faites preuve d’ouverture. S’installer en Chine, ce n’est pas exporter ses pratiques dans un environnement étranger. Si vous faites ça, vous n’apprendrez rien et vous vous aliénerez vos collègues locaux. Il faut s’intégrer, pas imposer son système de valeurs.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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