Luc Dagognet (E11), co-fondateur du Side Car, et Maxime Wagner (E09), co-fondateur de Captain Contrat, sont tous deux passés par de grandes entreprises avant de se lancer dans l’entrepreneuriat. Antoine Bachès (E12), lui, a créé YouMiam dès la fin de ses études. Leur point commun : ils ne regrettent pas leur choix. Témoignages croisés.
ESSEC Alumni : Luc et Maxime, vous avez chacun quitté la sécurité d’une grande entreprise pour lancer votre start-up. Pourquoi ce choix ?
Maxime Wagner : À dire vrai, je ne me suis jamais vraiment soucié de la sécurité de l’emploi. Seul m’importait d’être passionné par mon travail. Comme ce n’était toujours pas le cas après plusieurs tentatives dans différentes entreprises, j’ai fini par me dire qu'il me fallait un changement plus drastique, et c’est là que j’ai créé ma boîte.
Luc Dagognet : Pour ma part, ce n’était pas une finalité pour moi de lancer une start-up. Après l’école, je suis arrivé chez BETC, l’une des (très) grosses agences de pub de Paris, en racontant à qui voulait l’entendre que l’entrepreneuriat, ce n’était pas pour moi, et j’y ai passé 6 ans. Je m’y sentais à ma place, j’apprenais beaucoup en termes de méthode, de rigueur, d’outils, de créativité. Et puis j’ai eu deux déclics. D’abord, j’ai travaillé avec un entrepreneur brillant, le fondateur de Drivy, qui avait une approche complètement différente de celle des grands groupes que je comptais habituellement parmi mes clients : tout challenger, aller vite, se donner des ambitions énormes, prendre la mesure du risque et la responsabilité du résultat. Et puis un vendredi après-midi, j’ai dû suivre un workshop particulièrement long et stérile ; ça a été le coup de pied aux fesses qui me manquait.
EA : Antoine, vous avez pour votre part fondé votre start-up dès la sortie de l’école. Pourquoi ne pas avoir préféré faire vos armes dans une grande entreprise ?
Antoine Bachès : Créer mon entreprise n'était pas un objectif en soit en sortant de l'ESSEC, mais l'opportunité s'est présentée… Comme j’hésitais, on m’a exposé le théorème de l’escalier : concrètement, j’étais tout en bas de l’escalier de ma carrière professionnelle, et le risque que je prenais en me lançant était minime comparé au risque que je prendrais quelque années plus tard avec un job stable, un bon salaire, peut être un enfant à charge et un crédit sur le dos… L’argument m’a convaincu. Au pire, quoi ? J’échouais et je retrouvais un job sans trop de problème, en capitalisant sur mon expérience d’entrepreneur. Avec le recul, je mesure cependant avec beaucoup de lucidité ce qui a pu me manquer en me lançant directement après l’école : des économies, un réseau, une crédibilité.
EA : Pour autant, vous ne regrettez pas votre choix ?
A. Bachès : Le chemin de l’entrepreneuriat n’est certes pas évident tous les jours, et j’aurais probablement gagné en confort de vie et en sérénité en privilégiant la voie du salariat. Mais je n’ai aucun regret. Monter sa boîte est la plus belle école de management qui puisse exister. Je pilote aujourd'hui une équipe d’une douzaine de personnes, ce qui ne serait certainement pas le cas si je travaillais au sein d’une grande entreprise.
EA : Et vous, Luc et Maxime ? À l’épreuve des faits, vous préférez la vie en grande entreprise ou la vie en start-up ?
L. Dagognet : Difficile d’opposer les deux mondes, l’un ne va pas sans l’autre dans mon cas. Sans l’enseignement d’un grand groupe, je n’aurais pas suffisamment confiance en moi pour les décisions nécessaires à notre développement. Bien sûr, je me doutais que ce serait très engageant, angoissant parfois, fatiguant. Ce que je n’imaginais pas en revanche, c’est la pression constante de l’arbitrage : on doit tout le temps faire des choix forts, trancher, décider, qu’on parle d’appels d’offres, de recrutement, d’idées de campagnes. Quand on réussit, le levier de gratification est extrêmement fort. Quand on se plante, on ne peut pas s’empêcher de le prendre personnellement.
M. Wagner : À mon sens, la question du risque est assez facile à résoudre : vous posez l’équation « réserve + recettes – charges » et cela vous donne combien de temps vous pouvez tenir. Vous n’avez plus qu’à vous engager sur cette durée, et à intégrer qu’au-delà, vous devrez arrêter et revenir au salariat. Après tout, une start-up, comme son nom l'indique, doit décoller à un moment donné.
EA : Imaginez-vous un jour (ré)intégrer une grande entreprise ?
A. Bachès : Tout à fait. En réalité, ce n'est pas tant la taille de l’entreprise qui pourrait me poser problème après 5 années passées à mon compte, mais plutôt le retour au modèle classique du salariat « à la papa » et de la hiérarchie très verticale. Et en l’occurrence, il me semble que ce modèle tend à disparaître. Les grandes entreprises s'adaptent aux nouvelles formes de travail en offrant une plus grande autonomie à leurs employés, ainsi que des nouvelles formes de travail ou d'organisation. L'intrapreneuriat et le télé-travail se développent. J’ai l’impression que les acteurs historiques de notre économie ont eux aussi compris qu’ils devaient adapter leur culture et leurs pratiques aux nouvelles aspirations de notre génération.
L. Dagognet : De mon côté, la porte n’est pas fermée – mais seulement pour une nouvelle aventure, pour apprendre de nouvelles choses, pour changer de vie ou de secteur. C’est seulement à cette condition que je pourrais envisager le retour à la hiérarchie après avoir goûté à l’autonomie.
M. Wagner : Je ne pense pas retourner un jour dans une grande entreprise. En revanche, je me vois bien rejoindre une PME ou une ETI – une structure où je peux avoir de l'impact. J’ai besoin d'être responsable, autonome, impliqué dans les objectifs et les décisions. J’apprécie aussi pouvoir choisir les gens avec lesquels je travaille.
EA : Comment pensez-vous réagir si votre start-up devient elle-même une grande entreprise ?
A. Bachès : Encore une fois, ce n’est pas tant la taille que la culture de l’entreprise qui importe. Devenir une grande entreprise ne constitue pas une sorte de vilaine maladie inéluctable pour une start-up. Tout dépend de votre capacité à gérer la croissance de votre société tout en restant fidèle à votre esprit. Je ne redoute pas que le moment où ma start-up deviendra une grande entreprise – et par certains aspects, elle en est déjà une. Je pense au contraire que les start-up ont tout intérêt à s’inspirer des grandes entreprises, notamment au niveau de l’organisation et des process.
L. Dagognet : Au début, on était trois : mon ami Nelson Burton (E07), mon frère et moi. Aujourd’hui, on est 10, et je sens déjà la différence. On met longtemps à comprendre ce que les professeurs entendaient par « management » sur les bancs de l’école. On met longtemps à comprendre qu’on ne peut pas jouer au punk éternellement et que refuser de cadrer les choses est contre-productif. Et puis un jour, on finit par adopter plein de bonnes pratiques existant dans les grandes entreprises, et on se rend compte qu’on ne s’est pas compromis pour autant ; on a simplement grandi, dans le double sens du terme. Pour autant, on n’a quand même pas la vision d’une grande entreprise ; on cherche plutôt à créer un petit studio de grande qualité, avec une équipe expérimentée et une vraie satisfaction client, quel que soit le point d’entrée.
M. Wagner : On oppose souvent start-up et grande entreprise, en faisant un amalgame entre la taille et l'esprit de l'entreprise. Chez nous, on veut garder l'esprit start-up tout en recrutant le nombre de collaborateurs qu'il faut pour soutenir notre forte croissance. Si ca veut dire embaucher plus de 1000 personnes, ce n'est pas un problème ; on adaptera l'organisation et les process pour que cela continue de fonctionner et pour que les employés puissent rester autonomes, responsables et impliqués. Google y arrive très bien, alors pourquoi pas nous ? Quant à mon rôle là-dedans… Ça dépendra : si je suis capable d'évoluer aussi vite que ma boîte, de garder une vision avec un coup d'avance, d’apporter une valeur ajoutée dans l'exécution, de renforcer la culture d’entreprise, alors je resterai dirigeant. Sinon, il y aura certainement d’autres postes en interne où je pourrai me rendre utile. Et si on perd l'esprit start-up, je m'en irai fort de tous les apprentissages acquis pour les mettre à profit d'une nouvelle entreprise.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11), responsable des contenus ESSEC Alumni
C’est les vacances ! L’occasion de faire le bilan de l’année écoulée, et de se replonger dans les archives de Reflets ESSEC Magazine. Cet article a été initialement publié début 2018, dans le n°122, au sein du dossier « Start-up et grandes entreprises : compétition ou collaboration ? ». Pour accéder à l’intégralité des contenus de Reflets ESSEC Magazine, cliquer ici.
Illustration : Antoine Bachès (E12), Luc Dagognet (E11) et Maxime Wagner (E09)
Commentaires0
Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.
Articles suggérés