Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Jean Anglade (E77) : « J’ai toujours cru à l’avenir du Venezuela »

Interviews

-

04/10/2021

Jean Anglade (E77) vit au Venezuela depuis 45 ans. Il raconte la longue dégradation de la situation sur place – tout en continuant de croire à la possibilité d’un renouveau. 

ESSEC Alumni : Pourquoi avoir quitté la France pour le Venezuela ? 

Jean Anglade : Je suis parti en juin 1977, quelques jours après ma sortie de l’ESSEC, pour réaliser ma coopération militaire au sein des services économiques et commerciaux de l’Ambassade de France. Il n’y avait rien de définitif dans ma démarche à ce moment-là. Puis l’Ambassade m’a proposé de poursuivre ma carrière sur place, en tant qu’attaché commercial en charge des exportations de la France au Venezuela. Parallèlement, j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme, Martha, vénézolano-française. Ces deux facteurs ont été décisifs.

EA : Quel a été votre parcours au Venezuela ?

J. Anglade : J’ai abordé le Venezuela, non comme un expatrié classique, mais comme une sorte d’aventurier lâché dans les milieux d’affaires franco-vénézuéliens. Du milieu des années 1980 à celui des années 2010, j’ai pu naviguer dans divers secteurs (banque, planification urbaine, promotion immobilière, énergie, industrie) et dans des environnements très différents (PME locales, filiales de groupes multinationaux). J’ai également présidé la Chambre de commerce France – Venezuela à six reprises et ai été un membre actif de la Chambre Pétrolière vénézuélienne.

EA : Comment votre perception du pays a-t-elle évolué au fil des années ?

J. Anglade : J’ai toujours cru à l’avenir du pays, qui ne manque pas de potentiel : matières premières, agriculture, tourisme, capital humain… J’ai cependant vite constaté les limites d’une économie mono-productrice où tout tournait autour du pétrole, et surtout de la classe politique locale, peu préparée au déclin et plus sensible aux bénéfices immédiats du pouvoir qu’à la consolidation sur le long terme des richesses du territoire. Le Venezuela aura constitué pour moi une école de formation à la gestion de l’instabilité, aux relations humaines à la fois paternalistes et sous tension permanente, et aux rapports passifs-agressifs avec une administration envahissante.

EA : Vous avez exercé plusieurs fonctions diplomatiques. Comment ont évolué les relations économiques franco-vénézueliennes au fil du temps ?

J. Anglade : La présence française s’est maintenue autour de grands projets réalisés par des entreprises (métro de Caracas, construction de logements, transmission électrique, exploitation pétrolière) et dans le cadre du commerce de médicaments, de biens d´équipement et de produits de consommation (boissons, produits de beauté…). Actuellement, nous participons à des initiatives comme French Valley Caracas, qui vise au rapprochement des écosystèmes de startups français et vénézuélien, et Vision Venezuela, qui consiste à mener une veille active avec le patronat et les acteurs économiques locaux en préparation d’un futur plus optimiste.

EA : Aujourd’hui, quelles sont vos activités au Venezuela ?

J. Anglade : Je suis à mon compte depuis 2014. Je dirige Danexi, société de représentations industrielles et de conseil dans les secteurs de l’énergie et de l’environnement, et je m’implique dans le développement de la start-up Dinbog, place de marché des talents des industries créatives.

EA : À quoi ressemble l’écosystème entrepreneurial local ?

J. Anglade : Le monde des startups latino-américaines est en train d’exploser, malgré ou grâce à la crise qui touche la majorité des pays de la zone. La capacité d’initiative et d’innovation des nouvelles générations, ainsi que leur ouverture sur l’international, sont sans nul doute renforcées par le manque de perspectives offertes par le tissu entrepreneurial existant et par les frontières géographiques immédiates, qui sont plus synonymes de migrations, querelles régionales et misère.

EA : Pouvez-vous nous en dire plus sur la crise qui secoue le Venezuela depuis 2015 ? 

J. Anglade : La crise couvait depuis longtemps. On peut affirmer qu’elle est imputable aux politiques du groupe au pouvoir depuis plus de 20 ans – sachant que certains y voient non pas de l’incompétence, mais une stratégie délibérée de destruction pour favoriser un jour l’émergence d’une nouvelle société… Voulu ou pas, le résultat est là : perte de 80 % du PIB en 7 ans, chute de la production pétrolière qui est passée de 3 millions de barils par jour à moins de 500 000, hyperinflation… La politique de sanctions mise en place par les États-Unis n’a fait qu’accélérer la catastrophe.

EA : Quelles sont les conséquences de cette situation pour les habitants du pays ?

J. Anglade : Les conditions de vie se sont considérablement dégradées pour l’ensemble de la population autour de l’année 2015, avec des pénuries de nourriture et de médicaments notamment. Elles restent malheureusement très détériorées pour une grande majorité, dans la mesure où les revenus ne suivent ni l’inflation ni la dévaluation. L’émigration de plus de 5 millions de Vénézuéliens ces dernières années, dans des conditions souvent précaires, en constitue la preuve la plus évidente.

EA : En est-on aujourd’hui au même point qu’au plus fort de la crise ? 

J. Anglade : Certains problèmes tendent à se résorber – non pas cependant grâce à des mesures économiques pertinentes, mais du fait des stratégies de survie adoptées par les entreprises privées et par la population. Les nouveaux équilibres qui en résultent (dollarisation, entreprenariat, appui des membres de la famille ayant émigré…) n’en restent pas moins partiels et souvent très instables.

EA : Vos propres activités ont-elles été impactées par la crise ?

J. Anglade : Danexi s’est tournée vers des clients privés au-delà des frontières du Venezuela – en Colombie et au Panama notamment. Dinbog a pour sa part toujours été orientée vers le marché mondial ; le Venezuela joue surtout le rôle de marché d’expérimentation tout en offrant une main d’œuvre compétente en programmation et marketing à des coûts compétitifs.

EA : Quelles sont les perspectives pour le Venezuela dans les années à venir ? 

J. Anglade : À mes yeux, la défense de la libre entreprise et de la propriété privée ne sont pas des concepts désuets. Le virage pris par le Venezuela depuis une vingtaine d’années me paraît démontrer combien les entreprises privées constituent une base irremplaçable dans l’organisation et le développement des nations. Il est très difficile de prévoir l’évolution de la situation, tant l’emprise du régime en place est forte. Mais ce pays et ses habitants restent pour moi une source d’espoir.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

Vous avez aimé cet article ? Pour que nous puissions continuer à vous proposer des contenus sur les ESSEC et leurs actualités, adhérez à ESSEC Alumni !

2 J'aime
2195 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Interviews

Caroline Renoux (EXEC M10) : « À terme, on ne pourra plus faire carrière sans maîtriser la RSE »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

10 décembre

Interviews

Blandine Cain (M04) : « Mon livre répond à 80 % des problématiques des entrepreneurs »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

07 décembre

Interviews

Reflets #154 | Guillaume Heim (E21) & Emma Rappaport (E19) : « La France se positionne comme grande puissance de la deeptech »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

25 novembre