Jérôme Barthélémy (E97), producteur : « Ce César représente l’aboutissement de 4 ans de travail »
Le César 2018 du court métrage d’animation a été décerné à Pépé le Morse, film réalisé par Lucrèce Andreae et produit par Jérôme Barthélémy (E97). Ce dernier nous raconte la genèse du projet et l’impact d’une récompense aussi prestigieuse.
ESSEC Alumni : Que raconte Pépé le Morse ?
Jérôme Barthélémy : Pépé le morse raconte l’histoire d’une famille réunie autour de la grand-mère pour honorer la mémoire de pépé, mort d’avoir trop fumé et trop bronzé. En Russie, on appelle les gens comme pépé des « morses ». Petit à petit, chaque membre de la famille va faire son deuil, chacun à sa façon. C’est un film pour tous les âges, avec de la comédie, de l’émotion, du surnaturel, plus léger que le sujet ne peut le laisser paraître.
EA : Comment avez-vous repéré la réalisatrice Lucrèce Andreae ?
J. Barthélémy : Daniel Sauvage, mon associé au sein de Caïmans Productions, faisait partie de son jury de diplôme de l’École Nationale de la Poudrière à Valence, l’une des meilleures écoles d’animation française. Lucrèce avait déjà cette idée en germe, et nous nous sommes revus quelques mois plus tard à l’occasion d’une séance de pitch organisée par le CNC à Paris. Nous avons eu un véritable coup de cœur pour son projet, tant d’un point de vue graphique que littéraire. Nous lui avons donc proposé de la produire.
EA : Quel a été votre rôle dans l’accompagnement de ce projet ?
J. Barthélémy : On pense souvent que l’unique fonction du producteur est de réunir les fonds pour que le film existe, mais en réalité c’est beaucoup plus que cela. Le producteur intervient à toutes les étapes de fabrication d’un film, c’est ce qui rend ce métier passionnant.
Dans le cas particulier d’un film d’animation, le processus est très long et assez rigide. On ne peut pas improviser comme il serait possible de le faire en fiction. Notre mission, c’est d’aboutir au meilleur film possible dans le respect des choix artistiques de l’auteur.
Il y a d’abord, et c’est primordial, le travail sur le scénario, auquel nous sommes très attachés car c’est ce qui fera la force du film in fine. Il y a ensuite l’étape du story-board qui permet de définir les cadrages, et de faire véritablement la mise en scène du film, affiner sa durée, etc. N’étant ni dessinateur ni animateur, j’interviens peu sur les choix graphiques ou de mise en scène qui sont de l’entière responsabilité de l’auteur, et en l’occurrence Lucrèce Andreae est très douée pour cela. Puis il y a l’étape du financement, sur la base d’un dossier artistique et technique que nous avons élaboré conjointement avec Lucrèce. Le film a été préacheté par Arte qui s’est immédiatement engagé, par le CNC et par trois fonds régionaux : la Région Centre (CICLIC), la Région Rhône Alpes, et la Ville de Paris. Après, il y a l’étape du « tournage ». Le film étant animé image par image à raison de 12 images par secondes, cette phase a duré très longtemps. La réalisatrice a pris en charge elle-même une grande partie du travail à compter du moment où le budget a commencé à s’épuiser. Enfin, il y a les finitions, l’enregistrement des voix-off, le montage, le mixage, la musique, autant d’étapes de fabrication où nous sommes très présents.
Notre rôle, c’est de dépenser intelligemment le budget en respectant le devis prévisionnel établi en préparation. Ce n’est pas toujours simple !
EA : Quel est l’impact d’un César pour un court-métrage d’animation ?
J. Barthélémy : Ce César représente l’aboutissement de 4 ans de travail et la conclusion d’une très belle carrière pour le film, commencée au Festival de Cannes 2017. C’est d’abord une grande fierté personnelle pour mon associé et moi-même, une forme de reconnaissance de la part de la profession. En outre, l’impact est réel pour Caïmans Productions, tant auprès de nos partenaires financiers que des talents, réalisateurs, comédiens, scénaristes, qui nous manifestent leur intérêt depuis. Enfin, pour la réalisatrice, c’est une très belle fenêtre d’exposition, et un véritable accélérateur pour son prochain projet.
EA : On entend beaucoup que la France fait partie des leaders mondiaux dans le domaine de l’animation… Vous confirmez ?
J. Barthélémy : C’est une réalité ! La France est non seulement un des leaders mondiaux en terme de production de films et de séries TV d’animation, mais c’est aussi un véritable vivier de talents que le monde entier nous envie. Il y a beaucoup d’explications à cette réussite. J’en retiendrai trois. D’abord, l’excellence des formations existantes, notamment les écoles nationales qui sont reconnues comme les meilleures au monde : Gobelins, la Poudrière et l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Ensuite, l’existence de quelques studios extrêmement compétents, regroupés dans des pôles d’excellence tels que le pôle Magelis à Angoulême, capable de gérer des productions internationales en mesure de rivaliser avec les Américains. Enfin, la présence sur le sol français d’un tissu très dynamique de producteurs indépendants.
EA : Ce n’est pas votre premier film d’animation primé. Comment en êtes-vous venu à vous spécialiser dans ce domaine ?
J. Barthélémy : Nous sommes venus à l’animation un peu par hasard – on nous a proposé un projet et nous nous sommes dit « pourquoi pas ». Mais nous ne sommes pas spécialisés dans le cinéma d’animation pour autant… Ni dans la fiction ou le documentaire, d’ailleurs ! Notre force, c’est d’être éclectiques. Nous défendons un certain type de cinéma indépendant, et parfois les auteurs que nous accompagnons ont choisi le dessin ou la peinture ou les marionnettes pour s’exprimer. Mais le cinéma d’animation reste avant tout du cinéma.
EA : Plus personnellement, comment êtes-vous passé de l’ESSEC à la production de films ?
J. Barthélémy : Grâce à une rencontre décisive pendant mon cursus à l’ESSEC. Je ne connaissais absolument personne dans le milieu du cinéma, ni famille ni réseau, c’était un milieu qui me paraissait impossible à pénétrer. Jusqu’à ce que je rencontre Benoît Valère, scénariste qui avait passé avec succès le concours du département production de la Fémis (école Nationale Supérieur des Métiers de l’Image et du Son), réputé extrêmement sélectif. À partir de ce moment, j’ai su que c’était possible. Je me suis présenté à mon tour au concours de la Fémis et j’ai été admis. Les choses se sont naturellement enchaînées par la suite.
EA : Être passé par l’ESSEC vous a-t-il aidé dans votre carrière ?
J. Barthélémy : Faire l’ESSEC m’a énormément aidé lors de la création de Caïmans Productions, car je connaissais les bases de la gestion d’une entreprise et cela nous a permis d’éviter les erreurs classiques qui auraient pu nous faire aller dans le mur les trois premières années. Paradoxalement, ce sont les cours les plus techniques de finance et de compta, que je détestais à l’époque, qui m’ont le plus servi ! Plus généralement, nous sommes aujourd’hui un petit groupe d’anciens ESSEC à travailler dans le cinéma, et sans parler de véritable réseau, cela peut s’avérer très utile.
EA : Quels sont les prochains projets de Caïmans Productions ?
J. Barthélémy : Nous avons de quoi nous occuper ! Dans les tuyaux, nous avons trois longs métrages en développement, à tourner en 2019, plusieurs courts métrages en production ou en postproduction, et également une activité de production pour la télévision avec une série documentaire de 26 minutes et deux magazines culturels.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11)
En savoir plus :
www.caimans-prod.com
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