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Reflets #136 | Céline Imart (M05) : « Les agriculteurs veulent du changement »

Interviews

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03/02/2021

Dans Reflets #136, Céline Imart (M05), qui a repris l’exploitation céréalière de sa famille après une carrière dans la finance, livre sa vision à contre-champ de l’agriculture moderne, à l’heure de la mondialisation et de la transition environnementale. On vous offre son interview en version digitale… abonnez-vous pour lire tout Reflets !

À l’origine, Céline Imart ne se destine pas à l’agriculture. Loin de là : après Sciences Po Paris et le Master in Strategy & Management of International Business (SMIB) de l’ESSEC, elle part en Amérique du Sud, à la direction financière de Bolloré Chili, puis s’installe à Paris, où elle occupe un poste de consultante chez PwC. Le déclic se produit lorsque son père annonce qu’il veut partir à la retraite. « Tout à coup, il m’a paru impossible de ne pas lui succéder. Il ne s’agissait pas d’une décision rationnelle, mais d’un cri du cœur. » Elle devient ainsi la sixième génération à reprendre l’exploitation familiale.

L’école agricole

La transition est brutale. « J’ai dû revenir dans un cadre rural, isolé, beau mais âpre. J’ai vu ma rémunération baisser drastiquement. Et la transmission dans le cadre familial n’est pas aussi simple qu’une passation de poste à poste, l’affect entre en jeu. »

Elle a beaucoup à apprendre. « Le cœur de métier, c’est l’agronomie. On passe beaucoup de temps à observer la terre, à faire le tour des parcelles, à surveiller les champs avec des techniciens. Ça demande de la patience et de l’humilité. » Elle doit autant se familiariser avec la nature qu’avec les machines. « Il faut savoir souder, meuler, mettre les mains dans le cambouis. »

Et il ne suffit pas d’intégrer les fondamentaux. « Les connaissances, les outils évoluent en continu. Je dispose aujourd’hui de logiciels de cartographie pour évaluer à quel point mes semis sont azotés, de systèmes de guidage avec coupures de tronçon pour gérer mes intrants, de sondes et de capteurs pour optimiser l’irrigation de mes terrains… Autant de dispositifs qui étaient encore à leurs prémices quand j’ai commencé. » Céline Imart se retrouve donc en formation permanente. « Heureusement, on dispose en France d’un réseau de chambres d’agriculture, d’instituts techniques et d’initiatives territoriales que le monde entier nous envie. On partage l’information, on fait des essais territorialisés pour comparer ce qui est comparable. L’intelligence collective fonctionne à plein. »

Ses compétences acquises en école de commerce et en entreprise ne lui sont pas inutiles pour autant – bien au contraire. « Gérer une exploitation exige de savoir faire des investissements, contractualiser des relations commerciales, optimiser ses coûts, recruter de la main d’œuvre… Sans oublier le volet réglementaire et administratif. »

La voie de la raison

Céline Imart pratique une agriculture raisonnée. « Ma philosophie : utiliser la meilleure solution existante pour mon terroir. Je peux aussi bien recourir à du fumier naturel qu’à des engrais chimiques, si ceux-ci m’évitent de faire trois épandages au lieu d’un sur mes sols, ce qui en définitive est meilleur pour mon bilan carbone. Je ne réfléchis pas en silo… Autre exemple : pour protéger mon colza, je plante une variété plus précoce en bordure de champ, afin que les parasites soient rassasiés avant que le reste n’éclose ; mais lorsque cette solution douce ne suffit pas, je passe aux pesticides. Car si ma récolte est détruite, la France devra importer pour compenser, depuis des pays situés à l’autre bout du monde, où de surcroît les conditions de production sont moins bien encadrées – donc les conséquences pour l’environnement seront encore pires. »

Champs de bataille

Céline Imart n’hésite pas à pointer les incohérences de la mondialisation agricole. « L’Union Européenne a interdit la production d’OGM, mais pas leur importation. Résultat : non seulement nos producteurs ne se battent pas à armes égales avec la concurrence internationale, mais en plus nos citoyens se retrouvent avec des OGM dans leur assiette. Si nous voulons vraiment protéger notre marché, nous devons imposer à nos partenaires commerciaux les mêmes contraintes qu’à nous-mêmes. Autrement, nous aboutirons dans les faits à une délocalisation de notre agriculture. Le processus est déjà à l’œuvre : la production de poulet, de porc ou encore de céréales baisse depuis plusieurs années en France, tandis que le tiers des volailles et la moitié des fruits et légumes que nous consommons viennent de l’étranger. On nous parle de souveraineté sanitaire à l’heure du COVID-19 ; quid de notre indépendance alimentaire ? » 

Un discours sans concession qu’elle a notamment défendu face à Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Hulot, respectivement dans Des Paroles et des actes et L’Émission politique sur France 2, ainsi que lors d’une conférence TedX affichant plus de 500 000 vues sur YouTube. « Je suis une fille, je suis blonde, j’ai fait des études, ça tranche avec l’idée que certains se font des agriculteurs et c’est ce qui intéresse les médias. Je ne suis pas dupe, mais je saisis l’occasion pour représenter ma profession, qu’on critique souvent mais à laquelle on donne rarement un droit de réponse. »

En campagne

La défense des agriculteurs est le cheval de bataille de Céline Imart. « Nous souffrons d’une forte déconsidération. Avec des conséquences terribles : chaque jour, deux agriculteurs se suicident dans notre pays. Des centres d’écoute dédiés ont dû être ouverts. » Elle veut faire entendre que les agriculteurs sont en première ligne de la transition environnementale. « Nous ne sommes pas opposés au changement. Au contraire, nous voulons l’impulser, plutôt que de le subir. Nous voulons qu’on nous laisse proposer nos solutions, basées sur notre expérience du terrain, plutôt que de nous imposer des réglementations hors sol. Nous voulons qu’on nous fixe des objectifs plutôt que des obligations, et qu’on nous donne les moyens de les atteindre, avec des formations, du financement, de la recherche.Nous voulons qu’on nous fasse plus confiance. » Et de donner en gage l'indice de durabilité des modèles agricoles et alimentaires dans le monde publié par The Economist, qui place la France première au palmarès depuis trois ans : « Notre pays a encore des exploitations à taille humaine, une grande biodiversité qui est bien protégée, une surface agricole utilisée vaste qui permet de stocker du CO2 en masse… Il reste beaucoup à améliorer, mais sachons aussi reconnaître nos réussites ! »


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

Extrait de Reflets #136. Pour voir un preview, cliquer ici. Pour recevoir les prochains numéros de Reflets ESSEC Magazine, cliquer ici.

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