Reflets Mag #141 | Philippe Dariel (EXEC MBA 18), l’éducateur explorateur
Dans Reflets Mag #141, Philippe Dariel (EXEC MBA 18) raconte comment il bouscule l’Éducation nationale avec ses innovations dans les institutions scolaires qu’il dirige – qu’il s’agisse d’un collège au milieu de la forêt guyanaise, d’un lycée professionnel menacé de fermeture, d’une section olympique en Savoie ou encore d’un établissement français à Pondichéry ou à Maurice. On vous met l’article en accès libre.
Dès son adolescence, Philippe Dariel affirme sa capacité à mener les troupes. « Je me suis hissé jusqu’en sélection nationale de football amateur dans les catégories jeunes, et j’ai assumé le rôle de capitaine dans la plupart des équipes que j’ai intégrées. » Une double appétence pour le sport et le leadership qui le conduit en STAPS pour devenir professeur d’éducation physique et sportive. « J’ai décroché mon CAPES à 21 ans, devenant ainsi le plus jeune enseignant d’EPS de France. »
Sa première affectation sera… à l’armée au 7ème BCA, à sa demande – dans le cadre de son service militaire. « Je me suis retrouvé seul Breton parmi les chasseurs alpins à Bourg Saint Maurice, à 1000 km de ma région natale ! La semaine, je faisais le moniteur de ski pour mes co-légionnaires, et le week-end, le guide de randonnée pour les généraux et leurs familles. »
Puis Philippe Dariel gagne la capitale, où il débute sa carrière dans les beaux lycées parisiens. « Je me rappelle du jour où j’ai reçu un mot d’excuse signé d’Alain Chabat… Sa fille faisait partie de mes élèves et devait se rendre sur le tournage d’Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. »
Changement d’horizon
Un virage s’opère lorsque la compagne de Philippe Dariel intègre à son tour l’Éducation Nationale. « Elle n’a pas eu beaucoup de choix pour son premier poste : Créteil, les outre-mer ou la Guyane française. » Ils optent pour la dernière destination. « Nous avons atterri à Sinnamary, à 10 km du pas de tir de la fusée Ariane. »
Une terre d’exploration, peut-être plus propice que d’autres tropiques aux expérimentations. « Nous nous sommes mis à proposer plein de projets inédits dans notre établissement : des courses de pirogue sur le fleuve qui longeait la ville, des trails dans les zones inondables du Pripri Yiyi au milieu des cabiai et des caïmans, des tournois d’échec avec damier et pions à échelle humaine… » Il met aussi en place des entraînements de tennis et de golf à destination d’élèves en grande difficulté scolaire et sociale. « Une façon de les sortir de leur environnement et de les empêcher de se dire que ce n’était pas pour eux. »
Ses initiatives finissent par attirer l’attention d’un certain Jean-Michel Blanquer, alors recteur sur place, qui lui confie bientôt la mission d’ouvrir à 32 ans un collège à Grand-Santi, village isolé au milieu de la forêt amazonienne, à la frontière avec le Suriname. « Les habitants descendaient pour la plupart d’esclaves des plantations surinamaises qui, une fois affranchis, s’étaient retranchés dans cette zone reculée pour y reproduire leur mode de vie traditionnel djuka. Nombre d’entre eux parlent à peine français aujourd’hui encore. »
D’autres difficultés l’attendent. « J’attendais une cinquantaine d’élèves de 6ème. Mais plus de 150 enfants de tous les niveaux du secondaire se sont présentés pour la rentrée. J’ai dû créer des classes en catastrophe, pousser les murs… » Si la demande est forte, elle est aussi entravée par l’inaccessibilité de la région. « La majorité des élèves vivait à plusieurs kilomètres du village, le long du fleuve Maroni, impraticable à cause de dangereux rapides aux noms évocateurs – Gran Manfin (la fin des hommes), Man Bali (tout le monde crie)… Or les parents n’avaient pas les moyens de faire ce trajet tous les jours pour amener leurs enfants. » Qu’à cela ne tienne : en quelques semaines, Philippe Dariel mobilise la population locale pour dégager des sentiers contournant les rapides, faire fabriquer une dizaine de pirogues et ainsi mettre en place une desserte scolaire. « Non seulement on a garanti l’accès de l’éducation à tous, mais en plus on a créé de l’activité et de l’emploi. »
De la forêt aux sommets
Bientôt, Philippe Dariel rentre en France pour prendre la direction d’un lycée des métiers de la montagne en Savoie, associé à un pôle d’activités olympiques. « J’ai accompagné jusqu’au baccalauréat toute une future génération de champions : Tessa Worley, Alexis Pinturault, Niels Allègre… » L’ambiance peut parfois être… sport. « Il fallait régulièrement recadrer Kevin Rolland qui descendait les escaliers de l’internat en ski, ou Mathieu Faivre qui s’absentait des mois entiers pour ses premières compétitions. »
Nouveau départ
Philippe Dariel renoue avec l’international lorsqu’il décroche le poste de second à la direction du lycée français de Pondichéry. Un nouveau défi – d’autant qu’à son arrivée, un cyclone dévaste cet ancien collège royal datant de 1826. « Tous les membres du personnel, et même le consul et l’ambassadeur, ont dû mettre la main à la pâte pour réparer les dégâts. »
La crise soude les équipes, qui se mobilisent pour redynamiser l’établissement, dont les effectifs tendent alors à la baisse. « Nous avons lancé un concours dans une dizaine de villes indiennes. Objectif : développer notre notoriété et recruter de jeunes talents pour une nouvelle filière scientifique d’excellence. Pari réussi : sur les dix élèves de la première promo, huit ont obtenu leur baccalauréat avec la mention très bien, et deux ont rejoint les classes prépas du lycée Louis Le Grand à Paris. »
Direction assistée
Au bout de cinq ans, Philippe Dariel apprend que Jean-Michel Blanquer a pris la tête du Groupe ESSEC. « C’est cette nomination qui m’a encouragé à revenir en France pour suivre l’Executive MBA. » Un choix atypique dans le milieu de l’enseignement, mais qu’il recommande vivement. « Primo, il existe des solutions pour ceux qui ne peuvent pas faire financer leur cursus par leur entreprise – je remercie d’ailleurs Thierry Graef à l’ESSEC Executive Education qui m’a aidé à obtenir des bourses. Deuxio, ce programme m’a permis de passer d’un management intuitif, à un management méthodique, plus rigoureux mais aussi plus serein. Avant, j’improvisais avec intuition ; aujourd’hui, j’anticipe, car je connais les grands principes de la négociation, de l’accompagnement, de la conduite du changement. Toute personne exerçant des responsabilités devrait en passer par là. Cela ne transforme pas forcément la trajectoire professionnelle, mais cela bouleverse la posture et le rapport aux collaborateurs, aux projets. »
Philippe Dariel le vérifie immédiatement sur le terrain : en parallèle de sa formation, il dirige le lycée professionnel D. Diderot à Besançon – qu’il sauve de la fermeture en s’inspirant des préceptes appris à l’ESSEC. « Pour chaque métier auquel nous préparions, nous avions des formations en déshérence qui peinaient à remplir leurs rangs, et une formation très demandée avec liste d’attente. Je les ai regroupées dans une seule section avec un système d’options – modèle plus lisible, proche des secondes communes qui se développent aujourd’hui. Résultat : nous avons pu intégrer les bons profils sur liste d’attente que nous devions refuser jusque là, augmentant ainsi le volume et le niveau général des effectifs. Parallèlement, j’ai noué des partenariats avec de grands groupes comme Alstom et GE pour que nos ateliers se mettent à travailler sur des produits de qualité. Enfin, j’ai rebaptisé l’établissement en lycée des métiers des technologies numériques. Devenus plus attractifs, nous sommes restés ouverts. »
Passage de cap
Aujourd’hui, Philippe Dariel a repris le large : il exerce sur l’île Maurice – où il préside le chapter local d'ESSEC Alumni – au lycée des Mascareignes. « J’apprécie l’univers particulier des lycées français. Il s’agit non seulement du réseau de ce type le plus étendu au monde, permettant à nos ressortissants de bénéficier dans 138 pays de la même offre d’éducation que sur le territoire national, mais aussi d’un puissant vecteur d’influence et de valorisation de la francophonie et de la francophilie. 60 % des élèves des lycées français sont étrangers – soit près de 225 000 jeunes de toutes les nationalités, souvent issus des élites locales et destinés à leur succéder, qui sont sensibilisés à notre état d’esprit et à notre langue, et qui s’imprègnent de notre modèle éducatif, de ses valeurs. »
Ce souci du rayonnement français a d’ailleurs inspiré à Philippe Dariel une nouvelle initiative, grâce à laquelle il combine sa mission diplomatique avec sa passion première : « J’ai créé une section d’excellence sportive, dispositif sans équivalent à Maurice et 1ère mondiale dans le réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), pour faire émerger de futurs médaillés olympiques mauriciens. »
Programme scolaire
Philippe Dariel résume sa vision de l’éducation en recourant à l’image d’un véhicule : « L’estime et la confiance en seraient les moteurs ; la bienveillance, l’éveil à l’autonomie, l’incitation à l’initiative et la responsabilisation par l’action en seraient les quatre roues ; et l’équilibre entre savoirs académiques et savoir-être en serait le carburant. Ajoutons que l’élève devrait piloter seul le véhicule, tandis que parents et instructeurs le guideraient à distance, en fournissant manuel d’utilisation et carte routière, mais sans imposer le trajet, ni la destination. Car comprendre vaut mieux qu’apprendre, chercher vaut mieux que trouver, tenter vaut mieux que réussir, faire vaut mieux que voir et expérimenter vaut mieux qu’appliquer. Dans cette optique, le travail des adultes consiste à accompagner l’émancipation et les choix des jeunes, à faciliter l’expression de leur créativité, à libérer leurs talents. »
Une approche dont Philippe Dariel a lui-même bénéficié de la part… de son épouse. « Je n’aurais pas pu avoir un tel parcours sans la compréhension, l’encouragement et l’abnégation de Cécile. Merci à elle et à mes enfants Raphaëlle et Malo qui, depuis le début, font le voyage avec moi ! »
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser, responsable des contenus ESSEC Alumni
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