Vianney Basse (E97) : « Le système éducatif libanais risque l’effondrement »
Vianney Basse (E97) intervient au Liban dans les domaines de l'éducation et de la formation professionnelle en tant que directeur des opérations et délégué au Liban de l’Institut Européen de Coopération et Développement (IECD). Il raconte son combat pour éviter l’effondrement du système scolaire du pays.
ESSEC Alumni : Quelles sont les conséquences de la crise libanaise sur l’accès à l’éducation et à la formation dans le pays ?
Vianney Basse : Avant même la pandémie, la révolution libanaise du 17 octobre 2019 a perturbé toute l’année scolaire 2019-2020, avec seulement huit semaines de cours en présentiel du fait des blocages de routes, des manifestations et des fermetures administratives pour raisons de sécurité. Le COVID n’a évidemment rien arrangé. Les écoles n’ont rouvert qu’en décembre 2020 pour refermer avec un confinement complet du pays en janvier et février 2021, suivi d’une reprise progressive, pour un retour à la normale seulement fin mai. Ce sont donc deux années en tout que les enfants et les jeunes du Liban ont dû passer chez eux – tout en rencontrant de grandes difficultés d’accès à des ordinateurs, à des connexions Internet ou même à l’électricité. Sans oublier ceux qui ont dû trouver un travail à cause de la dégradation de la situation économique de leur foyer.
EA : Quel impact pour la qualité de l’enseignement et la continuité pédagogique ?
V. Basse : La plupart des professeurs et des élèves ne maîtrisent toujours pas les outils d’enseignement à distance, d’autant que les plateformes choisies s’avèrent parfois inadaptées du fait des mauvais débits Internet. Parallèlement, beaucoup d’enseignants ont dû quitter le pays ou prendre un deuxième emploi après avoir échoué à obtenir une revalorisation de leurs salaires face à la chute de leur pouvoir d’achat – qu’on estime à 90 % – du fait de la dévaluation de la livre libanaise. Plusieurs écoles risquent la fermeture, qu’elles soient publiques – du fait des réductions budgétaires étatiques – ou privées – faute de familles capables de payer les frais de scolarité. La formation professionnelle a elle aussi accusé le choc, avec un manque de pratique très marqué et l’annulation de nombreux stages et apprentissages.
EA : Quelles actions l’IECD mène-t-il face à cette situation ?
V. Basse : L’IECD intervient dans les domaines de l'éducation, la formation professionnelle, l’insertion et l’entrepreneuriat. Nous gérons une quarantaine de projets dans une quinzaine de pays en développement entre l’Afrique, le bassin Méditerranéen, Madagascar et l’Asie du Sud-Est. Présents depuis longtemps au Liban, nous avons dû sortir de notre périmètre habituel pour tenter d’éviter l’effondrement du système : accompagnement de l’enseignement à distance (soutien aux directeurs d’école, formation des professeurs, adaptation des contenus et ressources, livraison d’ordinateurs et de cartes de recharge pour l’accès à Internet), soutien aux établissements scolaires détruits par l’explosion (aide à la reconstruction, don d’équipement et de matériel, appui psychologique) et à leurs élèves (compléments de nutrition, livraison de paniers repas). Autant d’initiatives que nous prévoyons de renforcer cette année, vu que la crise continue de s’aggraver.
EA : Au-delà du champ d’action de l’IECD, quelles seraient selon vous les mesures à prendre pour enrayer la crise de l’éducation et de la formation au Liban ?
V. Basse : Insuffisance des infrastructures et des équipements (y compris numériques), faiblesse des rémunérations, mais aussi vétusté des curricula, lacunes des formations des enseignants, désorganisation des filières, déconnexion entre l’offre pédagogique et les besoins des entreprises et du marché de l’emploi… Les problèmes sont structurels et si certains sont récents, d’autres résultent de nombreuses années d’inadaptation et d’immobilisme. Côté formation professionnelle notamment, il faudrait selon moi améliorer les dispositifs d’orientation, mettre l’accent sur les soft skills, proposer des programmes courts dans les domaines où les besoins sont pressants comme les énergies vertes (pour les développer en alternative à la crise du mazout) ou l’agriculture et l’industrie (pour sortir le Liban de sa dépendance aux importations). Reste à voir si les obstacles politiques à ces réformes peuvent être levés.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni
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