Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Kieran Ferragu (E19) et Pierre Fischer (E19) : « La Chine est un pays viticole méconnu »

Interviews

-

17/03/2021

Pierre Fischer (E19) et Kieran Ferragu (E19), co-fondateurs du service de constitution de cave à vins Cellart, partagent la même passion du vin. Parmi leurs trouvailles : le potentiel insoupçonné des vignobles chinois. 

ESSEC Alumni : Comment vous êtes-vous initiés au vin ?

Kieran Ferragu : Dès l’ESSEC, nous avons participé aux dégustations et séjours œnologiques de l’association étudiante Elyxir, puis effectué un voyage d’étude à la découverte des domaines chinois, qui a donné lieu à la rédaction d’un mémoire avec le professeur Xavier Pavie. Nous avons aussi visité 75 domaines en Australie à la fin de notre cursus.

Pierre Fischer : Cette passion commune a rapidement influé sur nos ambitions. J’ai réalisé mes deux stages chez Bollinger Diffusion puis chez Moët Hennessy à Bruxelles, tandis que Kieran a débuté sa carrière chez Sowine, agence de conseil en marketing et communication dédiée à l’univers du vin, co-fondée par Sylvain Dadé (E97). 

EA : Pourquoi vous être intéressés dès vos débuts au secteur du vin chinois ?

P. Fischer : La Chine est un pays viticole méconnu. Les publications sur le sujet manquent de fiabilité, et les domaines chinois communiquent peu ou mal. Nous avons eu envie d’y voir plus clair.

EA : Comment avez-vous dépassé ces obstacles ?

P. Fischer : Le voyage a commencé à Hong Kong, où nous avons rencontré Arnaud Bardary, chef sommelier des restaurants Black Sheep, Apolline Martin, marketing manager chez Nimbilty, et Natalie Wang, journaliste très reconnue dans le métier.

K. Ferragu : Puis nous nous sommes rendus sur le terrain – dans le Yunnan, où certains vignobles culminent à plus de 2000 mètres d’altitude et où les vignerons travaillent dans des conditions parfois extrêmes ; dans le Ningxia, région désertique au centre du pays qui est devenue l’eldorado viticole chinois en quelques années grâce à une politique étatique volontariste ; ou encore dans le Shandong, province côtière où les domaines rivalisent de créativité et de grandeur, certains atteignant plusieurs milliers d’hectares.

P. Fischer : Nous avons ainsi eu la chance de visiter des domaines très différents, depuis Emma Gao, vigneronne très respectée, jusqu’au mastodonte Changyu, qui possède 8 châteaux dans le pays, en passant par Long Dai, le nouveau fleuron du groupe Lafite.

EA : Qu’avez-vous appris au fil de votre enquête ? 

P. Fischer : Nous avons été surpris par l’accueil à bras ouverts qui nous a été réservé, et impressionnés par la technicité et l’expertise de nos interlocuteurs.

K. Ferragu : Malgré leur jeunesse, beaucoup de vignerons font montre d’une grande capacité d’apprentissage, et accordent beaucoup d’importance à la compréhension du sol, du climat, et des cépages qui s’épanouissent le mieux sur leur sol. C’est impressionnant, presque intimidant même, de constater une telle rapidité de progression !

EA : Quelles sont les caractéristiques des vignobles et terroirs chinois ? 

K. Ferragu : La Chine se situe précisément entre les deux latitudes propices à la culture de la vigne. À ce climat favorable s’ajoutent un véritable savoir-faire ancestral et une appropriation progressive de la notion de terroir. On trouve donc des vignobles aux quatre coins du pays, tous très différents. Dans le Yunnan, les vignobles sont très morcelés du fait de l’altitude, et leur culture est souvent paysanne et ancestrale. Dans le Ningxia, la vigne existe depuis une vingtaine d'années seulement, mais les exploitations atteignent déjà plusieurs milliers d’hectares. Le Shandong constitue de son côté la première région viticole du pays, en assurant 40 % de la production nationale.

EA : Quel est le rapport des consommateurs chinois aux vins ? 

P. Fischer : Le vin reste peu consommé en Chine (1,5 litres par habitant et par an en moyenne) mais gagne du terrain. La nouvelle génération, influencée par la culture occidentale et plus ouverte sur le monde, cherche une alternative à l’alcool de riz encore plébiscité par les plus âgés. La lutte active de l’État contre les ravages sanitaires du Baijiu joue d’ailleurs un rôle majeur dans cette évolution.

K. Ferragu : Autre facteur de changement, lui aussi lié aux politiques publiques : il y a encore 10 ans, le vin paraissait réservé aux membres de cercles privilégiés, qui le servaient et l’offraient pour revendiquer un certain statut social ; mais la campagne de lutte anti-corruption initiée par Xi Jinping a bouleversé ces pratiques, et le vin est devenu plus populaire, quittant les seules villes côtières pour atteindre les villes de second et troisième rang.

EA : Quels vins les Chinois consomment-ils ? 

P. Fischer : La typologie dépend largement des profils. Les vins rouges chiliens et australiens ont certes la cote, mais les jeunes générations se montrent très ouvertes et recherchent surtout un bon rapport qualité prix. L’élite chinoise, de plus en plus experte, s’enthousiasme encore pour des bouteilles rares et chères et collectionne les vins du monde entier.

EA : Quelles sont les perspectives pour le secteur du vin en Chine dans les années à venir ? 

K. Ferragu : En 20 ans, la Chine a fait la démonstration de sa capacité de progression, passant de novice à actrice crédible de la scène viticole. À ce rythme, elle devrait jouer un rôle majeur d’ici 5 à 10 ans. Les seuls freins que nous identifions à l’heure actuelle sont la connaissance du terroir et la maturité des vignobles, pour lesquels le facteur temps est incompressible. Les vignes ne se développent pas en un jour, et il faut des années voire des décennies pour appréhender parfaitement les différents terroirs et comprendre la culture de chaque cépage.

EA : Le vin chinois peut-il se faire une place sur le marché international ? 

P. Fischer : La capacité de la Chine à produire des vins de terroir et à les exporter dans le monde entier ne fait pas de doute – on trouve déjà aujourd’hui des vins chinois dans certaines caves européennes. Une réserve cependant : les vins chinois coûtent encore très chers à la production, en raison de contraintes climatologiques considérables (enterrement des vignes en hiver, irrigation…). Il leur reste donc à rationaliser les coûts pour espérer concurrencer les vins des Amériques ou d’Australie, qui battent tous les records en termes de rapport qualité prix.

EA : Quid de la France ? Est-elle prête à boire du vin chinois ?

P. Fischer : Les réticences risquent d’être grandes. Les consommateurs français sont très attachés à la tradition et fiers de leur patrimoine viticole emblématique. Il suffit de voir que nous refusons encore de déguster une bouteille de vin fermée avec une capsule à vis, alors qu’en Australie c’est devenu la norme…

EA : La France tend aussi à regarder d’un œil méfiant les investissements chinois dans ses vignobles…  

K. Ferragu : Il est vrai qu’un nombre croissant d’investisseurs chinois s’offrent des vignobles français, mais ils le font souvent davantage par passion que par intérêt financier. Beaucoup apportent des fonds nécessaires pour restructurer une propriété en difficulté et perpétuer un savoir-faire. On ne peut d’ailleurs pas en dire autant de certains investisseurs français. Lorsqu’un grand groupe hexagonal acquiert un domaine emblématique, il agit plus pour son image que par amour du produit ou pour sauvegarder un terroir.

EA : Le vin comme passion plutôt que comme un placement financier : est-ce la vision que vous défendez également avec votre offre Cellart ? 

P. Fischer : Nous nous adressons effectivement à des amateurs qui ont l’envie mais pas le temps de constituer une cave qui leur ressemble, avec des vins pépites et des découvertes. Nous leur proposons un accompagnement sur mesure, de A à Z, tout au long de l’année, basé sur leur profil de consommation. Nous entretenons des relations étroites avec eux – aussi étroites qu’avec les vignerons que nous sélectionnons. Notre ligne directrice : l’amour du vin.

EA : Recommandez-vous des vins chinois à vos clients ? 

P. Fischer : Pour l’heure, nous concentrons nos efforts et nos moyens sur des domaines français – principalement pour des raisons logistiques. Mais les vins de Chine pourraient rapidement faire leur entrée dans nos accompagnements. Nous en avons déjà parlé à nos contacts sur place, qui se disent très enthousiastes. Nous avons nous-mêmes éprouvé de réelles émotions avec des vins chinois ; il nous paraît tout naturel de les partager.


Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

Vous avez aimé cet article ? Pour que nous puissions continuer à vous proposer des contenus sur les ESSEC et leurs actualités, adhérez à ESSEC Alumni !

1 J'aime
3908 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Interviews

Alexandre Chieng (E05) : « En 2025, la Chine représentera la moitié du marché mondial du luxe »

photo de profil d'un membre

Louis Armengaud Wurmser

30 novembre

1

Interviews

Jing Jin (E11) : « Rien n’est facile en Chine, mais tout est possible ! »

photo de profil d'un membre

Louis Armengaud Wurmser

13 octobre

1

Interviews

COVID-19 : Un ESSEC à Hong-Kong raconte

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

06 avril