Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Laure Verdeau (E08) : « La France est le bon élève du bio en Europe »

Interviews

-

26/01/2022

Laure Verdeau (E08) a récemment été nommée directrice de l’Agence Bio, groupement d’intérêt public dédié au développement et à la promotion de l’agriculture biologique. Elle explique ses missions et dresse un état des lieux du secteur.  

ESSEC Alumni : Comment avez-vous été menée à prendre la direction de l’Agence Bio ? 

Laure Verdeau : Après 10 ans de conseil auprès de PME agroalimentaires, j’ai acquis deux convictions. Primo, les petites exploitations ont tout intérêt à se convertir au bio : c’est la meilleure solution pour se différencier face aux centrales d’achat de la grande distribution, et retrouver du poids dans les fameuses négociations commerciales qui leur sont si douloureuses. Deuxio, il faut œuvrer au rapprochement de l’amont agricole et de l’aval industriel dans les chaînes de valeur du secteur, en adoptant une approche filière : c’est une nécessité pour sécuriser les approvisionnements dans un domaine où la matière première représente 55 % du chiffre d’affaires global, contre 35 % en moyenne dans les industries manufacturières. Ces deux positions, l’Agence Bio les défend. Il m’a donc paru logique de la rejoindre.

EA : Quelles sont les missions et activités de l’Agence Bio ?

L. Verdeau : Notre première mission d’intérêt général est d’informer les Français sur les vertus du bio. Tous les jours, nous rappelons que le bio produit sans OGM, sans chimie de synthèse, sans maltraitance animale, sans antibiotiques et sans brusquer les cycles naturels. Et nous sensibilisons les consommateurs aux impacts de leurs achats sur l’air, le sol, la biodiversité ou encore le moral des agriculteurs. Nous expliquons en outre pourquoi le bio est plus cher, et comment en manger plus sans changer son budget. Enfin nous publions les chiffres du secteur – toutes proportions gardées, nous sommes un peu l’INSEE du bio… Cet effort de pédagogie et de transparence est la condition d’une réelle démocratie alimentaire. 

EA : Comment rassemblez-vous ces données ?

L. Verdeau : Nous constituons le point d’entrée obligatoire de tous les acteurs qui se certifient en bio. Il s’agit d’une mine d’informations, qui nous permet d’une part d’avoir une vision globale du secteur et de son développement, d’autre part de tenir à jour l’annuaire des convertis au bio, consultable librement sur notre site.

EA : L’Agence Bio est aussi dotée de moyens de financement… 

L. Verdeau : En effet, nous investissons chaque année 13 M € avec notre Fonds Avenir Bio, aux côtés d’acteurs privés et publics, pour permettre à des projets de filière bio de passer à l’échelle industrielle ou de relocaliser leur production. Depuis 2008, nous avons soutenu plus de 300 entrepreneurs qui nous ont proposé des projets collectifs, liant agriculteurs et transformateurs bio. Nous avons ainsi contribué à l’essaimage de moulins, biscuiteries, maraîchages ou encore laiteries bio partout en France.

EA : Concrètement, que désigne l’appellation bio ?

L. Verdeau : Le label AB depuis 1985, et l’Eurofeuille depuis 2009, indiquent que l’aliment que vous tenez dans votre main a été produit en respectant le cahier des charges en agriculture biologique, et qu’il a été préparé conformément aux règles de la transformation biologique. Ce règlement public de plus de 300 pages énonce les principes de base et les pratiques obligatoires ou interdites, et sert de fondement à l’obtention de la certification bio, ainsi qu’aux contrôles annuels obligatoires et aux contrôles supplémentaires inopinés. Chaque jour, plus de 500 audits sont réalisés par 12 organismes certificateurs accrédités par l’État.

EA : En quoi consistent les principes et interdictions du bio ?

L. Verdeau : Premièrement, on cultive sans OGM, ni produits chimiques de synthèse, en recourant à des techniques agronomiques variées : la rotation des cultures pour enrichir les sols, l’utilisation d’auxiliaires de cultures comme les coccinelles pour lutter contre les insectes indésirables… Deuxièmement, on garde le lien au sol, que ce soit pour les légumes ou les animaux : pas de culture en bac par exemple. Troisièmement, on donne la priorité au bien-être animal : accès au plein air le plus possible, soins privilégiant les méthodes naturelles et le préventif (homéopathie, phytothérapie), alimentation bio et locale… Quatrièmement, on respecte les cycles naturels : fruits et légumes de saison, viande d’agneau en automne plutôt qu’à Pâques… Cinquièmement, on n’utilise qu’une liste d’ingrédients autorisés réduite pour les aliments préparés, qu’il s’agisse de biscuits, de saucissons ou de yaourts : pas de colorants, additifs limités et naturels…

EA : Où en est le secteur du bio en France ? 

L. Verdeau : Côté production, nous arrivons à presque 10 % des terres agricoles en bio, et 12 % des fermes, qui concentrent 18 % de l’emploi agricole. Les fermes bio affichent généralement une taille 20 % inférieure à la moyenne, et des activités orientées vers la polyculture et l’élevage, ce qui les rend plus résilientes car plus autonomes : les animaux fertilisent les cultures végétales, et les cultures végétales les nourrissent, les producteurs sont donc moins dépendants des intrants extérieurs. 

EA : Et du côté des consommateurs ? 

L. Verdeau : Le bio représente 6,5 % des achats alimentaires des Français, 5 à 6 % des assiettes des cantines, 2 % de l’offre en restaurant, pour un marché total de 13,2 milliards d’euros. Les ventes tendent à baisser en grande surface et en magasins spécialisés, et à augmenter en circuits courts et chez les petits commerçants. On attend encore les chiffres définitifs de 2021 pour confirmer, mais il semble qu’on assiste à un ralentissement. 

EA : Comment expliquer ce phénomène ? 

L. Verdeau : Parmi les raisons possibles : beaucoup de labels égarent le consommateur à coup de promesses qui concernent seulement un bout des valeurs du bio : on affiche ici du « sans pesticides », là du « bien-être animal », on fixe un prix légèrement inférieur au bio, et le tour est joué – alors que le bio labellise pour sa part une démarche globale, la seule qui coche toutes ces cases et requière 3 ans de conversion. 

EA : Comment agir contre ces dérives ?

L. Verdeau : Il faut que le véritable bio communique massivement, et il faut accueillir de nouveaux producteurs. Cependant la conversion prenant 3 ans, les arrivées sur le marché se font par à coups, alors que la courbe de la demande est moins accidentée. On a donc régulièrement une offre insuffisante. 

EA : Quelles sont les ambitions de la France pour le bio ?

L. Verdeau : Notre plan stratégique national décline les objectifs européens, qui visent 25 % de bio à horizon 2030. En France, l’objectif sera d’arriver à 18 % de surface agricole utile en bio. Le plan Ambition Bio national sur 5 ans tablait quant à lui sur 15 % de surface bio à horizon fin 2022.

EA : Comment la France se positionne-t-elle dans le bio par rapport au reste du monde ? 

L. Verdeau : Nous sommes carrément bons élèves ! Depuis l’été dernier, nous sommes même devenus les leaders européens en termes de capacité de production, en passant devant l’Espagne avec 2,5 millions d’hectares de terres dédiées au bio. Et nous représentons le 3ème marché mondial, derrière les États-Unis et l’Allemagne. Cet équilibre mérite d’être souligné. Nos voisins espagnols produisent du bio mais l’exportent, nos voisins allemands mangent du bio mais l’importent… De notre côté, nous consommons par exemple 100 % d’œufs bio français. 

EA : Est-ce le signe d’une bonne souveraineté alimentaire ?

L. Verdeau : Tout à fait. La France importe seulement un tiers des produits qu’elle consomme – 21,5 % si on exclut les produits qui ne poussent pas sous nos latitudes comme la banane, le cacao ou le café. Et ce taux reste stable malgré l’explosion de la demande. Cela démontre la magnifique capacité de l’agriculture française à conjuguer quantité et qualité. 

EA : Pour autant, gagnerions-nous à nous inspirer d’autres pays dans ce domaine ?

L. Verdeau : Le Danemark a passé ses cantines en 100 % bio. En Italie, les entrepreneurs du bio sont d’excellents ambassadeurs de leurs produits, très axés marketing, plus que leurs homologues français. Il n’en reste pas moins que le bio à l’échelle mondiale, c’est 2 % de l’agriculture… On peut donc légitimement pousser un cocorico bio. On voit d’ailleurs nos desserts au soja ou nos yaourts bio dans tous les supermarchés à l’étranger.

EA : Acheter bio d’origine étrangère a-t-il un sens sur le plan environnemental ?

L. Verdeau : Dans la mesure où le transport ne représente qu’un tiers de l’empreinte environnementale, oui ! Il vaut mieux un produit bio qui vient d’un autre pays, qu’un produit cultivé avec du glyphosate juste à côté. La pollution liée aux pesticides et engrais chimiques ne s’arrête pas aux frontières comme le nuage de Tchernobyl… Mais l’idéal reste bien sûr de consommer bio et local. Avec plus d’une ferme bio sur 2 qui vend en direct en France, soit 26 000 points de vente sur le territoire, c’est très souvent possible ! 

EA : Vous paraît-il envisageable – et souhaitable – de convertir toute la production française en bio ? 

L. Verdeau : Nous en sommes encore loin ! Voyons déjà ce qu’en dira l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), qui fait travailler 300 de ses chercheurs sur les implications d’un scénario où la majorité de la production passerait au bio d’ici 2026. Pour ma part, je pense qu’on peut pousser tranquillement vers 20 ou 25 % sans jouer aux talibios… 

EA : Quels sont les principaux freins à la conversion au bio pour les agriculteurs ? 

L. Verdeau : Le plus difficile, c’est la temporalité. D’abord quand on amorce la conversion : le processus prend au moins 3 ans – c’est pour ça que les candidats reçoivent une aide financière sur 5 ans. Et même quand on atteint sa vitesse de croisière : le manque de visibilité sur les débouchés reste structurellement important – ce qui empêche de réviser les prix tous les ans. Mais le jeu en vaut la chandelle : moins de 5 % des producteurs bio renoncent, c’est bien que ce choix les rend heureux !

EA : Comment lever ces freins ?

L. Verdeau : La solution : contractualiser sur plusieurs années, comme le font déjà certains acteurs de la grande distribution – une enseigne a même signé des partenariats sur 12 ans avec des éleveurs de porc bio. Il faut se détacher des fluctuations du marché en appliquant les principes du commerce équitable.

EA : Le bio n’est pas exempt de critiques. Certains pointent des prix plus élevés que la moyenne. Confirmez-vous ? 

L. Verdeau : De fait, les rendements baissent quand on passe en bio, parce qu’on ne peut plus « tuner » la terre, et parce qu’on perd plus souvent sa récolte quand on ne peut pas traiter les ravageurs avec de la chimie. De même, l’animal d’élevage bio vit plus longtemps, mange lui-même bio, et n’est pas stimulé avec des hormones. Toute l’équation économique s’en trouve changée. D’où effectivement des prix plus élevés.

EA : Comment remédier à ce surcoût pour rendre le bio plus accessible ?

L. Verdeau : Quand on se met à consommer bio, on adopte souvent d’autres pratiques en même temps, qui compensent la hausse du panier moyen en 18 à 24 mois : on privilégie les achats directs et de saison, on cuisine plus à la maison, on gaspille moins, on favorise le vrac, on opte pour des protéines moins chères… Par ailleurs, le procès du prix final est injuste, car il ne prend pas en compte les économies que le bio génère pour la société par ailleurs – par exemple sur le traitement des eaux.

EA : D’autres s’inquiètent des surfaces nécessaires au bio, qui seraient jusqu’à quatre fois supérieures à celles de l’agriculture conventionnelle pour le même rendement, menant à une plus forte artificialisation des sols tout aussi dommageable sur le plan environnemental. Qu’en est-il ?

L. Verdeau : Effectivement, on risque de devoir défricher de nouvelles terres quand on arrivera à 60 % de bio. Mais encore une fois, on en est encore loin. 

EA : Quid du recours au cuivre dans le bio ? 

L. Verdeau : Le cuivre est très encadré et restreint depuis 2018, que ce soit en bio ou non, particulièrement en viticulture, à hauteur de 4 kg par hectare et par an. Il faut distinguer les effets sur la santé des sols et ceux sur la santé humaine. Concernant les sols : le cuivre pose problème parce qu’il tue la vie microbienne. La recherche s’est emparée du sujet, et des solutions se dessinent pour réduire les doses. 

EA : Et concernant la santé humaine ? 

L. Verdeau : Le fait est que nous sommes tous carencés en cuivre, qui est vendu en pharmacie en tant que complément alimentaire… À ma connaissance, le cuivre n’est à l’origine d’aucune maladie ; il est même plutôt recommandé. C’est pour cette raison que les huîtres nous font du bien.

EA : Le bio est-il la seule forme d’exploitation agricole respectueuse de l’environnement ? 

L. Verdeau : Le bio est le meilleur élève de la transition alimentaire, certes, mais il ne prétend pas pour autant à la perfection. Il est idéal pour préserver l’eau et la biodiversité, a un business model qui rend ses agriculteurs heureux. Il peut en revanche s’améliorer sur la productivité, les gaz à effets de serre… Par exemple, en bio on traite les oliviers à l’argile pour les protéger des mouches. Or l’argile part à la moindre pluie. On passe donc 3 ou 4 fois avec le tracteur entre les arbres, là ou avec un produit chimique non-bio, on passe une fois, et basta. Il faut toujours regarder l’empreinte globale. 

EA : Peut-on imaginer un modèle d’agriculture mixte comme voie médiane pour concilier les enjeux environnementaux, économiques et politiques de la transformation agricole ?

L. Verdeau : Les démarches agricoles se réclamant de la transition alimentaire ne se limitent pas au bio, loin s’en faut. Les solutions proposées sont multiples. Par exemple, certains limitent le recours aux pesticides en mettant les cultures sous serres ultra surveillées… Ce n’est pas pour rien que nos ministres de l’agriculture rappellent souvent qu’ils sont ministres des agricultures.

EA : Quel regard portez-vous sur l’agriculture raisonnée ? 

L. Verdeau : À ma connaissance, il n’existe pas de cahier des charges en agriculture raisonnée. Pas de contrôles non plus… Il me paraît donc difficile de comparer cette branche avec un règlement européen de 300 pages, qui induit plus de 500 contrôles par jour en France, effectués par 12 organismes certificateurs accrédités par les pouvoirs publics. L’agriculture raisonnée se contente de doser plus précisément les produits chimiques de synthèse utilisés dans l’agriculture conventionnelle, avec l’aide de capteurs et de tracteurs à technologie embarquée. On est loin du bio. 

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni 

Vous avez aimé cet article ? Pour que nous puissions continuer à vous proposer des contenus sur les ESSEC et leurs actualités, adhérez à ESSEC Alumni !

1 J'aime
2460 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Interviews

Pierre Grateau (E10) : « Nos voiliers-cargos réduisent drastiquement notre impact environnemental »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

24 janvier

Interviews

Reflets Mag #150 | « Les transports en commun constituent l’un des principaux leviers de décarbonation des mobilités »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

20 décembre

Interviews

Jérôme Calot (E06) : « Votre argent à la banque peut financer des activités nocives pour l’environnement »

photo de profil d'un membre

Louis ARMENGAUD WURMSER

05 juillet