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Jean Colladon (E78), alias Jisseo, artiste entrepreneur : « Mon credo : faire exister, faire réfléchir, faire plaisir »

Interviews

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06.27.2017

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Jean Colladon (E78) est décédé le mardi 20 juin 2017 des suites d’un cancer. ESSEC Alumni lui rend hommage en republiant son interview parue en 2013 dans Reflets #99. Il y évoquait son parcours d’autodidacte rassemblant ses carrières d’artiste et d’entrepreneur dans une seule et même démarche créatrice.

ESSEC Alumni : Y a-t-il toujours eu une dimension artistique à vos activités ?  

Jean Colladon : Non. J’ai pris cette direction pour la première fois en 1990, lorsque j’ai fondé la maison d’éditions Djaï. Je proposais des livres pour enfants individualisés. J’avais conçu un procédé de fabrication capable de produire un texte spécifique et des illustrations mettant en scène l'enfant et l’histoire de sa famille.

EA : Était-ce également votre première aventure entrepreneuriale ? 

J. Colladon : Loin de là. A ma sortie de l’ESSEC et de la Bocconi, j’ai accompagné l’implantation d'entreprises, petites, moyennes ou grandes dans plusieurs Villes Nouvelles de la Région parisienne. Pris de passion pour les nouvelles technologies, j’ai développé diverses solutions d’informatisation sur mesure pour les utilisateurs d’IBM et d’Oracle. Puis j’ai rejoint une start-up d’e-learning, avant de lancer mon propre service de formation par logiciels pédagogiques.

EA : À quel moment l’art est-il devenu une composante de vos projets ?   

J.Colladon : J'enchaînais des postes riches et variés, accompagnant ou provoquant des créations d'entreprise, seul ou avec des associés. C’est seulement au début des années 2000 que j’ai compris le fil rouge qui guidait mon parcours : l’envie de créer. Ça a été un déclic. Pourquoi se limiter à la création d’entreprise ?
J’ai été rattrapé par mon goût pour le travail du bois, qui remonte à l’enfance : mon père, ancien exploitant forestier, m’a mis devant une scie circulaire à 15 ans. Encouragé par un conseiller emploi, je me suis inscrit aux cours du soir d’ébénisterie de l’Ecole Boulle.

EA : Comment vous êtes-vous établi en tant qu’artiste ? 

J. Colladon : En utilisant mes compétences d’entrepreneur ! J’ai créé l’association Viaduc 232 pour organiser des expositions collectives avec d’autres artistes et artisans d'art. J’ai intégré la coopérative d’activités et d’emploi Coopaname. Aujourd’hui, je suis membre de l’association du Génie de la Bastille, qui rassemble depuis 30 ans une centaine d’artistes liés au onzième arrondissement parisien. Je m’y occupe en particulier de recherche de mécènes.

EA : Quel est votre univers artistique ?

J. Colladon : Pour ma première œuvre, j’ai présenté un échiquier et un sac de 20 kg de riz. Je proposais aux visiteurs d'estimer le nombre de grains de riz nécessaires pour remplir l’échiquier en plaçant un grain sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite. Sur la troisième case de la troisième ligne ('c3' pour les connaisseurs),  le tas de riz s’est heurté au plafond, à six mètres de hauteur… Au total il faudrait l’équivalent d’un millénaire de production mondiale de riz !
On peut calculer la quantité nécessaire sans pour autant être capable de se la représenter. Cela révèle tout le paradoxe de l’esprit humain, la force comme la limite de l’imagination.
Je me suis inspiré de la légende de l’échiquier, bien connue des informaticiens, les puissances de deux étant largement utilisées dans la programmation. De cette manière également, mon expérience entrepreneuriale nourrit mon travail artistique.

EA : Vivez-vous de votre art ? 

J. Colladon : Indirectement, oui. Mes talents manuels m’ont ouvert la porte de ce qu’on appelle en France le bricolage… Je préfère l’appellation américaine : « Do It Yourself », moins réductrice. J’ai réalisé des vidéos pédagogiques et participé à l’élaboration d'une Encyclopédie du Bricolage chez France Loisirs. Depuis 4 ans, je conçois tous les cours du BHV. Par ailleurs, j’enseigne à l’Ecole Polytechnique Féminine. Surtout, je collabore à l’Établisienne.

EA : Quelles sont les activités de l’Établisienne ?

J. Colladon : Le concept a été imaginé par Laurence Sourisseau. Il s’agit d’un établissement hybride, articulant ateliers, espace de vente et d’exposition, et lieu de rencontres, d’échanges et de détente. On peut y chiner, y effectuer ses propres travaux de menuiserie ou de tapisserie, ou encore suivre des cours.
Pour ma part, j'ai accompagné ce beau projet dès son lancement. J’y suis animateur, et j’y ai domicilié ma propre structure, les Ateliers Jisseo.

EA : Quelle est l’offre des Ateliers Jisseo ? 

J. Colladon : Il s’agit d’une société d’innovation et d’amorçage de produits ou de services.
Par exemple, j’ai développé des meubles et des ateliers autour du recyclage des palettes. J'ai créé une console-établi, puis son manuel de fabrication, afin que l’acquéreur puisse décider de le commander tout fait ou de le produire lui-même. Puis Marie Siudak, jeune créatrice de mobilier, a repris le concept grâce à un système de participations et de royalties. C’est désormais elle qui développe l’activité.
Plus récemment, j’ai imaginé un service d’impression 3D et de découpe laser pour les particuliers : le Comptoir des Makers. Le client nous soumet un projet d’objet. Nous l'aidons à modéliser et à imprimer sa création en volume. Si l’objet est trop imposant pour notre imprimante 3D, nous avons un partenariat avec Sculpteo, start-up française leader dans l’impression 3D à distance.

EA : C’est ainsi que vous réalisez pleinement la synthèse de l’artiste entrepreneur… 

J. Colladon : Je ne suis pas entrepreneur au sens strict du terme, dans la mesure où je ne suis pas un money maker. J’aime passionnément l’acte de création, pas trop le business development. Mon moteur est affectif et esthétique, mais pas financier.
A l’inverse je ne souscris pas au caractère souvent solitaire de la création artistique. Je lui préfère un art collectif – d’où mon engagement associatif. Un art participatif également, exigeant mais populaire. J’aime travailler sur commande, partager mes idées, proposer des œuvres interactives.

EA : Quels sont vos prochains projets ?

J. Colladon : Avec mes amis du Génie de la Bastille, je vais exposer à Vienne en juin et en août à Rio de Janeiro.
Partant de l’idée que l’art sauve l’homme de lui-même, j’ai conçu des machines en bois de récupération pour survivre dans le monde futur – une machine à sentir le vent tourner, et une machine à respirer l’intelligence.
Je prépare en outre une œuvre autour du personnage de Marie-Madeleine. La variété de ses représentations et des rôles qu’on lui attribue me fascine. J’y trouve une résonance avec les modes de vie contemporain, où nous semblons mener plusieurs existences de front, et où nous changeons régulièrement de métier, de partenaire, de logement.
J'adore mélanger le bois et les images, les matières et les nouvelles technologies. Manier les mots, les idées, les langues. Imaginer, faire exister. Pour toucher, étonner, faire réfléchir. Faire plaisir, aussi. Créer des œuvres et des objets pour « importe qui ».

 

Faire-part de décès

Les filles de Jean Colladon, Nathalie et Carole, informent la communauté ESSEC Alumni que ses obsèques seront célébrées le vendredi 30 juin 2017. La cérémonie civile aura lieu à 10h00 à la salle Mauméjean, Crématorium du Père Lachaise, 71, rue des Rondeaux, 75 020 Paris. L’inhumation aura lieu à 11h30 au Cimetière Parisien de Pantin, 164, avenue Jean-Jaurès, 93 500 Pantin.
À partir de 18h, une réunion amicale sera organisée en son honneur à l’Établisienne, 88 boulevard de Picpus, 75 012 Paris.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11). Article paru dans Reflets #99. 

 



Illustration : Jean Colladon (2009)

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