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Eric Barritault (E14), en mission humanitaire pour Life Project 4 Youth : « On ne peut plus se permettre d’ignorer les grands défis de notre époque »

Interviews

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27/05/2018

Depuis deux ans, Eric Barritault (E14) s’engage dans les bidonvilles de l’Inde avec l’ONG Life Project 4 Youth, qui accompagne l'insertion professionnelle de jeunes adultes exclus. Il dresse le bilan de son expérience avant son retour en France. 

ESSEC Alumni : Qu’est-ce qui dans votre parcours vous a mené à l’humanitaire ? 

Eric Barritault : Je voulais m’engager à temps plein pour une cause qui me touchait et qui avait du sens pour moi. Mon quotidien était épanouissant sur le plan professionnel, confortable d’un point de vue matériel, mais restait parfois pauvre en véritables interactions humaines. Par ailleurs, je suis convaincu qu’il faut régulièrement quitter sa zone de confort, sortir des sentiers battus et questionner les certitudes qui nous guident sans que nous en ayons conscience.

EA : Pourquoi avoir choisi de vous engager chez Life Project 4 Youth ? 

E. Barritault : Life Project 4 Youth accompagne chaque année l’intégration professionnelle et sociale de 600 jeunes adultes entre 17 et 24 ans en situation de grande précarité et frappés d’exclusion (jeunes mères, jeunes des rues, handicapés, prisonniers, jeunes déscolarisés…). Elle leur propose un cursus de 12 mois, durant lesquels ils suivent des cours d’anglais, d’IT et de business, qu’ils mettent à profit en gérant une micro-activité économique. Cela leur donne une première expérience positive du monde professionnel, tout en leur rendant confiance et en leur faisant gagner en autonomie.
Avec ma formation à l’ESSEC et mon parcours en entreprise, je me sentais légitime pour porter cette approche pédagogique – et j’étais naturellement convaincu de sa pertinence.

EA : Quelles missions avez-vous effectuées ?

E. Barritault : En tout, Life Project 4 Youth gère 23 centres et incubateurs à proximité de bidonvilles dans quatre pays d’Asie : les Philippines, l’Inde, le Vietnam et l’Indonésie. Pour ma part, j’ai d’abord passé 18 mois à Delhi, d’abord en tant que coach accompagnant une équipe de 15 jeunes femmes exclues vers leur intégration professionnelle, puis en tant que coordinateur des partenariats entreprises dans le cadre d’une mission transverse. Puis j’ai piloté pendant 6 mois le démarrage d’une antenne à Chennai, entre suivi des accréditations administratives et du chantier de construction, création de l’écosystème d’intégration (entreprises, ONG partenaires, institutions) et lancement du programme avec les jeunes.

EA : Pourquoi avoir fait le choix d’une immersion aussi longue ? 

E. Barritault : Le cheminement vers l’intégration professionnelle et le monde décent est long. Il faut l’accompagner dans la durée pour être sûr de casser définitivement le cercle vicieux de l’exclusion. Par ailleurs, en tant qu’étranger, il m’a fallu du temps pour trouver ma place au sein de la communauté, tisser des liens avec les jeunes et enfin parvenir au lâcher-prise.

EA : Comment vous êtes-vous adapté à ce nouvel environnement ? 

E. Barritault : Life Project 4 Youth est une ONG résolument tournée vers le monde de l’entreprise. Elle en parle le langage et l’organisation du travail entre volontaires et avec les jeunes reflète celle du monde corporate. Je m’y suis donc rapidement senti à l’aise.

EA : Quel est votre souvenir le plus difficile ?

E. Barritault : On a parfois l’impression que la réalité dépasse la fiction – que le sort s'acharne sur ces jeunes, ravagés par la violence (si souvent domestique) et en proie à toutes les formes de trafic criminel. Le plus frustrant, c’est quand un jeune quitte prématurément le programme, happé par ses anciens démons – drogue, trafic, drame familial. Heureusement, les succès sont nettement majoritaires et donnent confiance en l’avenir.

EA : Et votre plus grande émotion ? 

E. Barritault : Difficile de répondre ! La transformation qui s’opère chez les jeunes du programme Life Project 4 Youth est particulièrement touchante. À leur arrivée, certains paraissent des cas désespérés. Malgré leur âge, on se demande si la vie n’a pas déjà été trop dure avec eux, si la métamorphose peut encore avoir lieu. Puis on les recroise après quelques mois, et on rencontre un nouvel homme, une nouvelle femme – quelqu’un qui a la tête haute, qui vous regarde droit dans les yeux et qui vous serre la main avec fermeté. Retrouver sa dignité, regagner l’estime de soi, c’est une étape majeure vers l’insertion sociale. Et c’est très beau à voir. Je reste fasciné par l’extraordinaire capacité de résilience de ces jeunes. C’est une chance. Il faut la saisir !

EA : Plus largement, quel état des lieux dressez-vous du secteur de l’humanitaire, à la lumière de votre expérience ? Partagez-vous les constats de Paul Salvanès (E07), qui en a tiré un roman noir, La Haine qu'il faut ?

E. Barritault : Le parcours de Paul Salvanès est impressionnant et ses engagements sur des théâtres d’opérations militaires ou de catastrophes naturelles m’inspirent un profond respect. À partir de son expérience, il semble dresser le portrait ambivalent d’une machine humanitaire bureaucratisée, industrialisée, aux idéaux parfois trahis par l’argent.
De mon côté, je crois en un humanitaire frugal, enraciné localement et durablement. Mon expérience m’a démontré que la création d’un écosystème d’intégration par la mise en mouvement des acteurs locaux (chez Life Project 4 Youth, nous nous considérons comme des « catalyseurs ») produit des résultats incroyables.
Cela dit, je n’ai passé que deux années sur le terrain, dans une structure de taille réduite, spécialisée dans le développement plutôt que dans l’urgence… Peut-être mon optimisme tient-il à la candeur du novice ?

EA : Votre formation de manager et vos expériences préalables vous ont-elles aidé dans vos missions ?

E. Barritault : Oui, indéniablement. Pour donner à ces jeunes l’envie de s’intégrer professionnellement, il faut soi-même avoir le goût de l’entreprise, de la gestion de projets et du travail en équipe. J’ai d’innombrables souvenirs à l’ESSEC de ces fameux travaux en groupe, qui nous forment autant à un savoir-faire qu’à un savoir-être, et qui sont également au cœur de la pédagogie de Life Project 4 Youth.
Ma connaissance du fonctionnement des entreprises m’a aussi beaucoup aidé à trouver des partenaires corporate et à les convaincre que l’intégration de jeunes exclus dans leurs rangs pouvait s’inscrire dans leurs objectifs RSE.
Par ailleurs, travailler au sein d’un ONG implique de gérer des équipes, des budgets et des projets. C’est équivalent à une aventure entrepreneuriale, qui plus est dans un environnement difficile où le facteur humain prédomine. Le socle de compétences acquises à l’ESSEC est un vrai atout pour prendre des décisions dans ce contexte complexe.

EA : Comment envisagez-vous le retour à la vie en entreprise et en France ? 

E. Barritault : Avec sérénité car je suis persuadé que l’on ressort grandi d’une telle expérience, et que l’on peut faire valoir ce type d’engagement auprès des recruteurs. Je serai d’ailleurs très attentif dans mes recherches aux valeurs de l’entreprise. Je ne pourrai plus travailler pour un employeur qui ne respecte pas son environnement.

EA : Quels conseils donneriez-vous à un ESSEC souhaitant suivre votre exemple ?

E. Barritault : Appelez-moi ! Et plus largement parlez-en autour de vous, questionnez vos proches pour nourrir votre réflexion… Vous vous rendrez compte que vous n’êtes pas le seul à vouloir vous engager. Notre génération est très mobilisée – tout simplement parce que nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer les grands défis de notre époque… Identifiez la cause qui vous tient à cœur, et foncez !

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser(E11), responsable des contenus ESSEC Alumni

 

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