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Sébastien Thiam (E99), spécialiste des marchés à risques : « La résolution des conflits armés passe par la reconstruction économique »

Interviews

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03/06/2019

Qu’il mène des opérations pour la Marine Nationale ou qu’il porte des projets d’investissement dans des zones de conflit, Sébastien Thiam (E99)  tient toujours le même cap : œuvrer à la pacification et la stabilisation d’un monde de plus en plus complexe et volatile. Rencontre.   

ESSEC Alumni : Vous avez servi dans la Marine Nationale pendant trois années. Quelles missions avez-vous effectuées ?

Sébastien Thiam : Après mes études à l’École navale et une campagne d’application de quatre mois à bord de l’ex-Jeanne d’Arc au contact de cultures d’une dizaine de pays, jusqu’aux confins du détroit de Makassar, j’ai sillonné la mer Méditerranée comme chef de services opérationnels et chef de quart sur patrouilleur de haute mer puis sous-marin nucléaire d’attaque. Les missions incluaient par exemple le contrôle d’embargo en ex-Yougoslavie, le renseignement, l’assistance en mer, ou la représentation au Levant.

EA : Pourquoi avoir finalement quitté la Marine Nationale pour le conseil en stratégie ?

S. Thiam : L’évolution de ma myopie a fini par me fermer les portes du commandement à la mer. J’ai transformé ce challenge en opportunité, en intégrant l’ESSEC et en me formant à la Junior Entreprise pour m’orienter vers le conseil en intelligence stratégique.

EA : Quel rapport entre vos compétences militaires et celles nécessaires pour le conseil ?

S. Thiam : On y retrouve sens de l’organisation, capacité d’adaptation, problem solving, agilité et rigueur.

EA : Vous intégrez ainsi le cabinet Mars & Co. Cependant vous n’y restez que le temps d’une mission…

S. Thiam : Je suis intervenu sur une opération de M&A dans l’industrie. Après cette expérience stimulante que j’envisageais plutôt comme un stage, j’aspirais à entreprendre. J’ai fait un passage par le conseil en stratégie digitale, puis j’ai mis le cap sur la Californie, auprès des fondateurs d’un réseau mondial de photojournalistes focalisés sur les tendances de la mode de la rue. Nous visions la création d’un service multimédia sur la plateforme i-mode de l’opérateur mobile japonais NTT Docomo, dont j’ai élaboré le business plan. Mais l’éclatement de la bulle de 2000 a provoqué un recentrage. La société sert depuis les médias chinois leaders avec du contenu photo-éditorial à valeur ajoutée (cover story célébrités, tendances mode et lifestyle…). 

EA : De votre côté, vous avez fini par revenir vers le monde militaire…

S. Thiam : En effet, parallèlement j’ai intégré la réserve opérationnelle des Forces Spéciales. Ces dernières mènent des opérations sensibles et à haute valeur stratégique. Le Commandement des Opérations Spéciales m’a ainsi déployé plusieurs fois dans les Balkans et en Afghanistan. Puis, le ministère de la Défense m’a recruté dans son vivier de conseillers politiques – dits Polad, pour servir au Kosovo pendant les négociations internationales sur son statut politique. J’ai proposé d’enrichir le poste en œuvrant à la reconstruction économique, maillon essentiel de la résolution de conflits armés.

EA : Concrètement, quelles actions avez-vous menées pour reconstruire le Kosovo ? 

S. Thiam : Le Polad est un expert civil qui fournit à l’autorité militaire du théâtre d’opérations des outils d’aide à la décision ainsi qu’une appréciation de l’environnement complexe et mouvant au sein duquel la force en présence évolue. En plus de préparer mon général à ses entretiens politiques, j’ai travaillé à la facilitation des investissements internationaux, notamment dans le secteur prioritaire de l’énergie et des mines, avec les entreprises et ministres locaux et la communauté internationale. Mon action complétait celle des conseillers des Affaires étrangères en apportant une dimension conseil en intelligence stratégique et diplomatie d’affaires, et celle des actions civilo-militaires orientée petits projets. Mon atout : un accès à tout le marché.

EA : Quels résultats avez-vous obtenus ?

S. Thiam : Après avoir contacté en 2006 la direction générale d’EDF, j’ai suivi, accompagné et conseillé pendant 9 mois, jusqu’à sa préqualification, le consortium animé par sa filiale EnBW pour un appel d’offres pour des mines au charbon et une centrale électrique de 2500 MW qui devait faire du Kosovo un producteur d’électricité régional. Abandonné du fait de l’instabilité politique puis redimensionné à 500 MW, il a été remporté en mai 2019 par GE.  

EA : Au bout de deux ans, vous êtes envoyé en Afghanistan. Quelles similitudes et quelles différences entre ces deux missions ? 

S. Thiam : Les objectifs étaient similaires. Toutefois, chaque théâtre expose les officiers généraux que j’avais la charge de conseiller à un contexte et des circonstances tout à fait nouveaux. Au Kosovo, la mission portait sur le maintien de la paix. Celle d’Afghanistan était en revanche une opération combattante d’assistance au gouvernement local à la mise en œuvre de la sécurité, avec des enjeux internationaux. La FIAS, qui a été engagée dans une guerre dite « asymétrique » face à des insurgés, est la mission la plus longue et la plus difficile jamais menée par l’OTAN. Entre mon arrivée en 2009, au début du « surge », et mon départ en juillet 2011, début du transfert progressif de responsabilité de la sécurité nationale aux forces afghanes, la coalition est passé de 58 000 à plus de 130 000 militaires et civils, issus de 51 nations ; et le cabinet du général américain, dont je faisais partie, de 3 à 12 conseillers.

EA : Quels sont vos souvenirs les plus marquants de cette période ?

S. Thiam : Je suis particulièrement fier d’avoir obtenu la confiance des généraux McChrystal et Petraeus, pour les préparer et les accompagner dans leurs interactions quasi quotidiennes avec les ministres, parlementaires et chefs d’état-major des armées d’une quinzaine de pays de la coalition, dont la France. Je n’aurais pu rêver meilleur apprentissage du leadership.
Autre expérience marquante : le ministre afghan des Mines, à la tête d’un cluster interministériel de développement économique, m’a demandé de le conseiller et de l’accompagner pour ses roadshows investisseurs au Moyen Orient, en Europe, et sur site en Afghanistan.

EA : Comment cette mission s’est-elle passée ?

S. Thiam : L’aboutissement le plus notable : un appel d’offres lancé en 2010 pour une réserve de minerais de fer évaluée à 350 milliards $ a été remporté fin 2011 par un consortium indien qui envisageait d’investir près de 11 milliards $ sur une décennie – avant de se retirer en 2015, peu après le départ de la FIAS… Ce projet ambitieux aurait transformé une économie afghane si dépendante de l’aide internationale, et potentiellement renforcé la stabilité et la sécurité du pays. Pour mémoire, de 4 milliards $ en 2002, année qui suit le début de l’intervention militaire, son PIB est passé à près de 18 milliards $ en 2011, équivalent à celui de la Bosnie-Herzégovine, pour osciller autour de 19,5 depuis 2012. 

EA : De retour en Europe, vous passez à la diplomatie sportive en vous impliquant notamment dans les Jeux Olympiques de Londres, en tant que directeur de cabinet du président de la World Olympians Association (WOA) et de Peace and Sport…  

S. Thiam : J’ai animé le comité exécutif de la WOA, composée d’Olympiens des cinq continents, pour ses actions au profit de son réseau de plus de 100 000 alumni, pour ses relations publiques aux Jeux de Londres, ainsi que pour son Plan stratégique 2012-16, présenté au directeur du CIO. Parallèlement, à Peace and Sport, je me suis impliqué dans la construction d’une paix durable en utilisant comme levier la neutralité du sport. Cette approche complémentaire de la gestion de crise m’a ainsi conduit en Iran trois ans avant l’accord sur le nucléaire de 2015, à la rencontre de plusieurs ministres et autorités du sport et de l’olympisme.  

EA : Vous êtes désormais le dirigeant fondateur de Makassar Partners, qui conseille les entreprises désireuses d’investir dans des marchés frontières. Quelles solutions proposez-vous ?

S. Thiam : Nous sommes spécialistes des marchés à risques. Nous nous appuyons sur un réseau pertinent et efficace pour apporter à nos clients (fonds d’investissement, PME, grands groupes) des outils d’aide à la décision (études stratégiques d’entrée de marché, analyses à forte valeur ajoutée, assistance locale, coaching de managers et de dirigeants) pour leurs projets de croissance dans les zones sensibles, lesquelles tendent à se multiplier dans un monde devenu plus incertain.  
Sur le seul marché iranien, nous avons ainsi réalisé des centaines de missions de due diligence dans des secteurs aussi variés que l’automobile, le pétrole, le gaz, la métallurgie, les télécommunications, la logistique, l’agroalimentaire, le retail, le trading, l’industrie pharmaceutique, les services financiers ou encore le private equity.

EA : S’agit-il d’un changement radical de perspective, après avoir travaillé pour des organisations internationales et étatiques ?

S. Thiam : Il y a un fil rouge : je me suis intéressé très tôt à la gestion de crises internationales par une approche globale touchant la sécurité, la gouvernance et le développement économique et social. Par essence complexe à mettre en œuvre, et surtout fragile, cette approche est héritée du Français David Galula, qui a très largement inspiré la pensée américaine en matière de contre-insurrection.

EA : Quels sont vos principaux conseils à une organisation envisageant d’investir dans une zone à risque ?

S. Thiam : Maîtriser au plus tôt les risques au niveau stratégique et opérationnel pour réduire son exposition, pour maximiser son potentiel de croissance et pour protéger ses intérêts. Et mettre à jour ses connaissances, car ces environnements évoluent rapidement.

 

Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser  (E10), responsable des contenus ESSEC Alumni

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