Karen Aiach (E93), fondatrice de Lysogène : « Notre mission est de combattre les maladies orphelines »
Mère d’une enfant atteinte de la maladie de Sanfilippo, maladie neurologique rare et incurable, Karen Aiach (E93) a décidé de fonder la société de biotechnologies Lysogene pour mettre au point un traitement thérapeutique. Rencontre à l’occasion de la diffusion sur TF1 d’un téléfilm inspiré de sa vie.
EA : Comment avez-vous fait pour vous reconvertir dans un domaine aussi poussé que les biotechnologies ?
K. Aiach : Je me suis éduquée. Grâce à des associations de patients comme Eurordis, à des congrès très pointus et formateurs, à des rendez-vous avec des médecins, des chercheurs, des sociétés de biotechnologie… J’ai aussi eu la chance de siéger au sein du Comité de l’Agence européenne du médicament et d’un Comité éthique. Plus généralement, ma formation à l’ESSEC et mes années d’expérience chez Arthur Andersen m’ont bien préparée à assimiler des concepts nouveaux et à piloter une équipe constituée de personnes expertes.
EA : Quels obstacles avez-vous dû lever ?
K. Aiach : Je me suis heurtée à des obstacles émotionnels, financiers, méthodologiques… J’ai aussi dû lutter contre des préjugés.
EA : Quelles actions avez-vous mené avec Lysogene ?
K. Aiach : Nous avons mis au point le premier traitement expérimental pour traiter cette maladie dévastatrice qu’est la maladie de Sanfilippo. Il s’agit d’une approche de thérapie génique. Cette maladie, comme des milliers d’autres, est liée à la déficience d’un seul gène. Notre stratégie consiste à introduire dans l’organisme une version fonctionnelle de gène sain.
EA : Avez-vous uniquement agi sur le plan scientifique, ou également sur le plan politique et médiatique ?
K. Aiach : Les médias se sont intéressés assez tôt à cette aventure hors norme et leur soutien perdure. Ils voient dans notre combat l’expression d’une envie farouche de ne pas baisser les bras, dans un monde où le progrès devrait avant tout viser à améliorer la condition humaine, la santé des personnes faibles, le devenir des enfants.
Sur le plan politique en revanche, même si l’on a pu observer des avancées en faveur des maladies rares à certaines périodes, je crains que la France ne se donne pas les moyens de ses ambitions, en particulier au niveau de l’innovation thérapeutique.
EA : Quels résultats avez-vous obtenu ?
K. Aiach : Nous avons obtenu des résultats très encourageants sur le plan thérapeutique lors d’un essai clinique mené en 2011 auxquels participaient 4 enfants. Dans une maladie qui, avant de tuer le patient au cours de l’adolescence, a des conséquences extrêmement dures sur le plan comportemental et cognitif (les enfants atteints de la maladie de Sanfilippo régressent dès l’âge de 2 ans), nous avons permis une amélioration de la qualité de vie. Depuis, nous travaillons extrêmement dur pour optimiser notre approche et délivrer un bénéfice encore plus important au patient.
EA : Quelles étapes vous reste-t-il à franchir ?
K. Aiach : Nous sommes prêts à lancer un essai dit de phase 3 en Europe et aux États-Unis, dans 8 hôpitaux de pointe, dont l’hôpital Necker à Paris. Si les résultats sont à la hauteur de nos attentes, alors le produit pourra être homologué et mis à la disposition des patients.
EA : Aujourd’hui, comment votre fille se porte-t-elle ?
K. Aiach : C’est une petite jeune fille polyhandicapée, donc très fragile, qui a besoin d’énormément d’attention. C’est aussi une petite jeune fille qui me montre quotidiennement le chemin de la dignité et du courage.
EA : En dehors de Lysogene, quelles autres actions avez-vous dû mener pour assurer le bien-être de votre fille ?
K. Aiach : Nous avons eu la chance de rencontrer des acteurs sociaux très engagés au sein des IME (Instituts pour enfants polyhandicapés) comme le CESAP, l’USEP qui ont pris en charge ma fille. En dehors de cela, nous avons évidemment pu nous trouver confrontés à la bêtise humaine. C’est malheureusement inévitable.
EA : Lysogene semble créer un précédent dans la prise en charge des maladies orphelines, appelées ainsi précisément parce qu’elles sont délaissées par la recherche. Avez-vous connaissance d’autres initiatives similaires dans le monde ?
K. Aiach : Un exemple m’a inspirée – celui d’un père américain qui a créé une société de biotechnologie pour essayer de sauver ses enfants. Depuis, d’autres parents ont dû prendre le même chemin, faute d’intérêt pour la maladie de leur enfant. Cela pose de graves questions. En même temps, j’y vois aussi un signe des temps, où le patient, qu’il soit atteint de maladie rare ou non, souhaite être acteur de sa propre vie.
EA : Pensez-vous que votre exemple peut amener à une amélioration de la prise en charge des maladies orphelines ?
K. Aiach : Je pense que l’innovation thérapeutique dans les maladies rares est une avant-garde. Certaines thérapies, comme la thérapie génique que nous développons, devront être validées dans des petites populations avant de pouvoir être considérées pour des maladies plus répandues. Autrement dit, nous ouvrons aussi la voie à des thérapies pour le plus grand nombre.
EA : À terme, imaginez-vous élargir votre combat aux maladies orphelines en général ?
K. Aiach : Lysogene développe déjà deux autres traitements en sus de celui pour la maladie de Sanfilippo. C’est notre mission et effectivement, j’aimerais lui donner encore plus d’ampleur. Mais pour cela, il faut beaucoup d’argent…
EA : TF1 a produit un téléfilm inspiré de votre parcours. Quelle est votre implication dans ce projet ? Et comment celui-ci peut-il aider votre cause ?
K. Aiach : Ce film m’a été proposé sans que je le sollicite. J’en ai accepté le principe car en effet, je pense que cela sert la cause de toutes les personnes concernées par les maladies rares – au nombre de 4 millions en France ou de 30 millions en Europe ! Je suis intervenue pour valider le langage médical et scientifique. J’espère qu’il touchera le plus de monde possible. Le réalisateur et les interprètes sont formidables.
Propos recueillis par Louis Armengaud Wurmser (E11), responsable des contenus ESSEC Alumni
En savoir plus :
www.lysogene.com
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